Un demi siècle après la mort de l'écrivain Albert Camus, le film "L'étranger " de Luchino Visconti adapté de son roman éponyme est visible depuis le 11 novembre dernier dans les salles françaises. Le 23 octobre l'avant première de cette œuvre s'était déroulé en présence de Merzak Allouache et des comédiens, au Festival international du Cinéma méditerranéen de Montpellier. Si Luchino Visconti a songé très tôt à adapter L'Etranger de Camus, publié en 1942, c'est seulement en 1966 que le producteur Dino de Laurentis lui en a donné l'occasion. Signé Visconti, Suso Cecchi d'Amico et Georges Conchon, avec la collaboration d'Emmanuel Roblès, le "frère de soleil" d'Albert Camus, le scénario initial se proposait d'utiliser la guerre d'Algérie comme cadre du film. Mais l'adaptation a été récusée par Francine Camus, la veuve de l'écrivain. Visconti se résoudra à tourner L'Etranger en se résignant à la fidélité la plus littérale au texte. Projeté pour la première fois en public au Festival de Venise 1967, Lo Straniero ne fit pas recette. Visconti a longtemps regretté le refus de voir tourner une interprétation moderne du roman. "Mais mon interprétation, mon scénario existe, soutiendra-t-il plus tard. je l'ai écrit avec la collaboration de Georges Conchon, c'est une toute autre chose, c'était un film qui avait les échos de L'Etranger, mais des échos qui arrivaient jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à l'O.A.S., jusqu'à la guerre d'Algérie, c'est vraiment ce que le roman de Camus signifiait. Le roman de Camus, je dirais qu'il prévoyait ce qui est arrivé, et moi, cette prévision qui est dans le roman, je la réalisais cinématographiquement." Auteur d'une oeuvre cinématographique étudiée et célébrée mondialement, Luchino Visconti (1906 - 1976) a fait ses débuts aux côtés de Jean Renoir dont il fut l'assistant. Celui qui fut l'un des maîtres du néo-réalisme italien mit également en scène quarante-cinq pièces de théâtre et vingt et un opéras. Il fut en outre l'auteur de deux ballets et d'un livret d'opéra. Disparu après L'Innocent, adapté de Gabriele d'Annunzio, l'ancien militant du Parti communiste italien nourrissait le secret projet de porter à l'écran À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Le 04 janvier 2010, le monde littéraire célébrera le 50ème anniversaire du décès d'Albert Camus, un homme de lettres très controversé à l'époque où la France sortait à peine de sa défaite allemande alors qu'elle gardait intégralement ses colonies dont l'Algérie. Au Centre culturel français, José Lenzini a présenté la semaine dernière une conférence sous le titre, "Les trois derniers jours de Camus. "Ancien journaliste et ancien enseignant à l'Ecole de journalisme et communication de Marseille, José Lenzini a évoqué les trois derniers jours de ce prix Nobel autant apprécié que " maudit ". Pour cela, il a mit à profit cet ultime voyage pour révéler l'angoisse dans laquelle se trouve Camus qui doute de ses capacités à écrire, alors qu'il travaille sur l'un de ses plus beaux livres, Le Premier Homme. Pourtant, il envisage d'abandonner la littérature pour le théâtre, et souhaite même devenir acteur de cinéma. C'est la découverte d'un homme qui se remet profondément en question. José Lenzini est né en 1943 à Sétif (Algérie). Ancien journaliste (" Var-Matin ", "Le Monde ", " La Tribune " et BFM), il anime des ateliers d'actualité internationale. Spécialiste de Camus, il lui a consacré de nombreux colloques et conférences en Algérie ainsi que des écrits dont " L'Algérie de Camus " , " Aurélie Picard princesse Tidjani ", " Jules Roy et Barberousse " (réédité chez Barzakh), " Camus, le silence de la mère ", (coédition Actes Sud - Barzakh). Le nom d'Albert Camus est intimement lié à l'Algérie pour laquelle il a pris des positions absolument mitigées pendant la guerre. A un étudiant musulman qui lui posait une question sur la justice, Albert Camus a répondu que s'il avait à choisir entre la justice et sa mère, il choisirait sa mère. Cette réaction avait plutôt choqué d'autant qu'Albert Camus selon les écrits de Simone de Beauvoir n'était pas très clair sur son engagement pour la liberté totale et indéfectible du peuple algérien. Contrairement à ce qui se dit par rapport à son roman "La peste ", l'auteur n'y a pas développé à partir de la ville algérienne d'Oran les malheurs d'une occupation par la France de l'Algérie, mais plutôt le débarquement des Allemands en France, un débarquement d'ailleurs métaphorisé par la peste. Il comparait donc l'occupation à une maladie et ça rappelle vaguement " Rhinocéros " d'Eugène Ionesco. Le 3 janvier 1960, Albert Camus quitte sa maison de Lourmarin pour rejoindre la capitale. Alors qu'il avait décidé de prendre le train, son éditeur Michel Gallimard réussit à le convaincre de faire la route en voiture. Ce voyage est pénible pour Camus, qui a des difficultés à écrire et se demande s'il sera jamais capable de mener à terme Le Premier Homme. Célèbre, riche, en pleine force de l'âge (quarante sept ans), il devrait être comblé. Mais il est préoccupé par la guerre d'Algérie, dont il ne voit pas l'issue. Très marqué par la polémique qui a suivi la publication de L'Homme révolté et le prix Nobel de littérature, il doute, au point de vouloir abandonner l'écriture. Au cours du voyage, Albert Camus renoue avec les souvenirs de sa vie, notamment à Alger. Jusqu'au moment où, dans une ligne droite, la voiture de Gallimard quitte la route. Camus est tué sur le coup. Dans sa sacoche, on retrouve le manuscrit inachevé du Premier Homme, un horoscope lui prédisant de belles créations, quelques photos, et un billet de train inutilisé. José Lenzini a écrit une quinzaine d'ouvrages, dont trois consacrés à Camus, qui est pour lui un sujet de prédilection et de travail depuis plus de vingt ans. Albert Camus trouve une mort absurde dans un accident de voiture à bord d'une Facel-Véga (très luxueuse et très puissante automobile de marque française, atteignant facilement les 200 km/h) conduite par son ami Michel Gallimard, le neveu de l'éditeur Gaston. La voiture quitte la route et percute deux des arbres parmi la rangée qui la borde. Les journaux de l'époque évoquent une vitesse excessive (180 km/h), un malaise du conducteur, ou plus vraisemblablement, l'éclatement d'un pneu, mais René Etiemble - autophobe comme beaucoup d'intellectuels - affirme : " J'ai longtemps enquêté et j'avais les preuves que cette Facel-Véga était un cercueil. J'ai cherché en vain un journal qui veuille publier mon article… " Albert Camus est enterré à Lourmarin, village du Luberon, - où il avait acheté une propriété grâce à son prix Nobel - et région que lui avait fait découvrir son ami le poète René Char. En marge des courants philosophiques, il s'est opposé au christianisme, au marxisme et à l'existentialisme. Rachida Couri