Dioul, élément incontournable durant le Ramadhan. Bourek, samsa, m'hencha ou baqlawa expresss… tout se fait avec. Une journée avec des confectionneuses de douil. Une véritable industrie. 15h. A Scala, sur les hauteurs d'Alger, devant un local très modeste, une file de voitures avec chauffeurs sont stationnées. Ils attendent tous la livraison «spéciale»… Le bourek tout prêt. A l'intérieur, derrière un rideau, Dalila, 41 ans, peaufine les dernières retouches. Elle entrepose les bourek les un sur les autres dans des boîtes à pâtisserie. La commande est prête. Les chauffeurs les récupèrent et repartent vers les endroits huppés de la capitale. Des journées comme ça, Dalila les connaît bien. Sa clientèle vient de partout. La livraison diffère d'une clientèle à l'autre. Des feuilles de dioul pour les plus modestes jusqu'au bourek farcis pour les «chics». Pour Dalila, c'est une vraie industrie. Elle commence ses journées très tôt le matin. Pour le Ramadhan, elle déplace cette activité de chez elle au local, puisqu'elle fait autre chose aussi, comme le pain et les gâteaux. Mais elle est surtout une «experte» en dioul. «J'ai commencé à les faire à l'âge de 20 ans. J'étais fiancée et je voulais aider mon mari qui ne travaillait pas. 20 ans plus tard, j'en fais encore», confie Dalila. Son métier, Dalila le tient de sa mère, pâtissière et cuisinière hors pair. Elle raconte : «Je suis titulaire de trois diplômes en cuisine. Je les ai obtenus dans des centres spécialisés à Alger. Mais ma première école reste ma mère. Elle nous a appris, à mes sœurs et à moi, le métier depuis toutes petites.» A 8h, elle est déjà dans son local. 8h30. Dalila finit de préparer sa pâte. Pour commencer, quelques kilos de semoule mélangés à un peu d'eau et quelques gouttes d'huile. La pâte est prête. Dalila allume son feu sur la tabouna. Chic Le temps que le feu prenne bien, elle en profite pour porter un bas de pyjama sous sa djeba. «Je porte le pantalon pour éviter les brûlures, car je dois mettre la tabouna entre mes jambes. En 20 ans de métier, j'ai eu de nombreux accidents.» Dalila porte en elle de nombreuses cicatrices de brûlure. Sur le bras, l'avant-bras, les mollets. Elle raconte : «Le plus dangereux sans doute était quand la tabouna qui fonctionne avec le gaz butane m'a explosé au visage. J'ai alors perdu mes sourcils. C'est vraiment un métier difficile.» Le plateau de cuivre mis à l'envers sur la tabouna, la température doit être moyenne. Dalila la oint avec une boule de suif. Elle commence à préparer les feuilles de dioul. A un rythme soutenu, elles s'empilent les unes sur les autres. Il est 11h. La moitié du sac de 25 kg de semoule est déjà consommée. Une feuille après une autre en quelques heures, elle en fait presque une montagne. Arrive l'étape de séparer les feuilles en douzaines et de les emballer dans des sachets transparents. Il est 16h40, Dalila marque une petite pause à la prière d'El Asr pour rentrer chez elle. F'tour, elle s'occupe de ses deux enfants. Vers 21h, sa deuxième journée est déjà entamée chez elle. Pâte, cuisson et emballage des dioul. Mais cette fois-ci c'est chez elle. Dalila confie : «Si durant les jours ordinaires, j'arrive à cuisiner et à faire mon ménage, durant le Ramadhan, je ne suis plus en mesure d'assurer les tâches ménagères, et ce, tant que je suis prise par la préparation des dioul. Ce n'est que le soir après le f'tour que je fais mon ménage. Ce rythme est épuisant. J'ai juré de ne pas en faire cette année. Mais dès que je commence une première fournée, il m'est impossible de m'arrêter. Avant, je faisais ça à la maison. Mais mon mari étant asthmatique, j'étais obligée de louer, car il ne supportait plus.» Mais combien valent tous ces sacrifices ? Calcul Confession : «La vente de dioul rapporte gros. Cependant, on dirait que cet argent provient de la vente de drogue. On en gagne beaucoup mais ça part tellement vite qu'on ne s'en rend même pas compte.» Mais concrètement combien génère la vente de dioul ? Un peu plus de 30 millions par mois ! Un simple calcul : On peut produire 250 douzaines de dioul à partir d'un sac de 25 kg de semoule. Etant donné qu'une douzaine est vendu à 50 DA, cela veut dire que la vente des 250 douzaines rapporte 12 500 DA. En un mois, la vente de dioul peut rapporter une somme conséquente. Mieux encore, pour certains clients, ils prennent des bourek tout prêts. Ça coûte 70 DA la pièce, si c'est le client qui achète les ingrédients. Si ces derniers sont supportés par Dalila, la pièce est cédée à 120 DA. Même calcul pour les samsa, m'hancha faits avec des dioul farcis aux amandes. Mais concrètement, combien ça lui rapporte ? «Une de mes sœurs, célibataire, a pu s'acheter des bijoux en or. Ce n'est pas mon cas étant donné que j'aide mon mari et je subviens aux besoins de mes enfants. Mais quand on ne travaille que pour soi, on se rend mieux compte des bénéfices qu'on fait», avoue-t-elle. Et contrairement à certaines idées, les dioul ne sont pas consommés uniquement durant le mois sacré, mais bien tout un long de l'année, comme l'a confirmé Dalila. «On me sollicite tout au long de l'année pour des grosses commandes, notamment pour les occasions familiales, il faut savoir que de nos jours, on fait du bourek lors des mariages, sans oublier les gâteaux tels que samsa, mhencha ou même cigares», dit-elle. Et d'ajouter : «Mais c'est vrai que durant le Ramadhan les demandent augmentent.» Cela veut dire que les bénéfices qu'on en tire sont tout au long de l'année et non exclusivement durant le Ramadhan. Génération Mais ce travail reste épuisant. Dalila va jusqu'à employer des termes forts. «Aujourd'hui, je préfère faire le ménage plutôt que les dioul.» Dalila vend ses dioul à des jeunes de son quartier au prix de 50 DA. Ces derniers les revendent dans les marchés à 70 DA. Je fais aussi quelques douzaines pour mon fils et mes neveux afin qu'ils se fassent un peu d'argent de poche. Les dioul sont ainsu devenus une affaire de famille. On apprend à les faire de mère en fille et ce sont les hommes de la famille qui les vendent. D'ailleurs, Dalila a une fille. Va-t-elle lui transmettre le métier ? «Absolument pas. Je ne lui apprendrai jamais à les faire. Surtout que les hommes sont des opportunistes. J'ai peur que son futur mari l'oblige à travailler uniquement pour qu'il vende. Je veux que ma fille fasse des études.» Un avis largement partagé par Randa, sa soeur : «Je veux que ma fille parle des dioul dans des articles comme vous, mais n'en fera pas.» D'ailleurs, Randa se rappelle d'une jeune étudiante en droit venue pour apprendre à confectionner les dioul. «Elle m'a confié que son fiancé gérait une supérette. Il lui a demandé d'apprendre à faire les dioul afin qu'il les vende dans son commerce. J'étais outrée. Je lui ai déconseillée de le faire. J'ai eu peur pour elle, car si elle l'habitue, elle ne pourra plus faire autre chose. Elle fera ça toute sa vie et ce n'est pas le meilleur avenir pour elle, elle qui a fait des études universitaires. Elle est venue une seule fois et n'est plus revenue.» Une industrie qui peut être concurrencée par ceux qui se vendent dans les commerces. Et nombreux sont ceux qui font de leurs maisons des «usines» de dioul. Ils redoublent même d'efforts tant la demande est importante. Hassina, 70 ans, fait partie de ces confectionneurs d'occasion. Résidante dans un quartier populaire, elle confectionne des dioul depuis 40 ans chez elle. Elle raconte : «J'ai appris à faire les dioul avec ma mère. Aussi bizarre que ça puisse paraître, je faisais ça avec plaisir. Aujourd'hui, malgré mon âge, je continue à les confectionner occasionnellement, car mes filles ne me laissent plus les faire. Je leur ai passé le flambeau. Elles les réussissent aussi bien que moi. La célèbre citation l'élève qui dépasse son maître prend tout son sens.» Métier Autre exemple de ces confectionneurs d'occasion : Malika. Elle travaille dans une entreprise étatique. Elle prend son congé durant le mois de Ramadhan juste pour faire les dioul. Dalila la connaît bien : «Etant donné que ça rapporte gros, elle préfère prendre son congé annuel à cette période afin de mettre cet argent de côté en prévision d'un gros achat.» La confection et la vente des dioul ont connu au cours des derniers Ramadhans un accroissement effréné. Beaucoup de familles ont misé sur ça, d'autant plus que les dioul artisanales restent les préférés des Algériens. Nesrine, 24 ans, affirme : «Je préfère de loin les dioul que fait ma mère à la maison. Non seulement on sait comment ils sont fait et en plus, ils sont meilleurs une fois cuits.» Sa mère, Karima, 54 ans, confectionne ses dioul elle-même chaque Ramadhan, et ce, depuis plus de 10 ans. Elle raconte : «J'ai appris à faire les dioul grâce à ma mère. Et à mon tour, j'ai appris à ma belle-mère et deux de mes amis. Je préfère les confectionner moi-même car je les fais fines. Et leur avantage comparés aux feuilles de dioul industriels et qu'elles n'absorbent pas beaucoup d'huile lors de la cuisson.» De son côté, Souhila affirme : «Avant, on ne jurait que par les dioul industriels. Le côté esthétique des bourek faits avec celles-ci est meilleur. De plus, dans les industriels, on a différentes saveurs qu'on ne trouve pas forcément dans les dioul ordinaires. Cependant, après avoir mangé des bourek cuisinés à base de dioul artisanales, on ressent vite que le goût est meilleur. Ils sont plus légers et fondent dans la bouche.» Mais ce n'est pas tout le monde qui maîtrise cet art. Nombreux sont ceux qui s'essayent à le faire mais n'y arrivent pas. La cause ? L'appât du gain. Hassina met en garde : «Si on cherche à confectionner les dioul juste pour les rentrées pécuniaires que ça génère, on ne peut pas réussir. Il faut vraiment s'appliquer et prendre le temps d'apprendre afin de les réussir. Généralement, la confection se fait dans les familles et ce sont les mamans qui apprennent à leurs filles. Dans certaines familles, cela est une tradition qu'on suit chaque année, c'est pour cela qu'on transmet notre savoir-faire à nos enfants. Mais si cela est fait dans un but purement intéressé, on ne peut pas réussir.» Mais Qu'en est-il de l'industrialisation des dioul ? «Il existe une petite industrie des dioul qui produit et conserve dans la chambre froide ses produits en perspective du Ramadhan pour 70% de la production et cela est rentable. Il suffit de penser qu'un kilogramme de farine, même non subventionnée à 32 DA, produit 1,2 kg de dioul, soit 6 paquets de 200 grammes à 50 DA en gros. Le sachet hermétique représentant la moitié du coût de revient, qui ne dépasse pas les 8 DA toutes charges incluses. L'équipement, étant des plus rudimentaires, n'est pas très coûteux, un pétrin, une façonneuse à cylindres et un séchoir à ventilation, ce n'est pas plus cher que 4 millions de dinars pour la meilleure unité. Ceci dit, même si cette activité est utile et crée quelques emplois productifs, ce n'est pas une activité de relance économique», explique l'analyste financier Ferhat Aït Ali.