Le feu consomme en moyenne 32 000 ha d'espace forestier chaque année. La direction générale des forêts souhaite mettre en place une stratégie de veille pour anticiper les scénarios prospectifs alarmants mis par les experts internationaux. C'est la fin du Ramadhan. La fête de l'Aïd bien consommée, les familles sortent pour s'aérer et improvisent des pique-niques dans les forêts. Après le festin, le barbecue semble bien éteint. Mais manque de bol, un pic de sécheresse combiné avec un violent sirocco (vent chaud venant du sud) ranime les braises encore incandescentes et ce sont 300 hectares de forêt qui partent en fumée. Le scénario développé par la direction générale des forêts favorise l'acte involontaire pour expliquer le déclenchement de l'incendie qui a touché Boumerdès le week-end dernier. «Nous n'avons pas d'incendie criminel. L'élément déclencheur est presque toujours la négligence. C'est l'acte involontaire qui est d'ailleurs la principale raison de départ de feu dans le monde et pas uniquement en Algérie», assure le directeur de la protection de la flore et de la faune à la direction générale des forêts (DGF). Abdelkader Benkheira nie énergiquement le déclenchement volontaire d'incendies pour des raisons sécuritaires ou autres. «L'armée n'a rien à voir avec ces feux de forêt. Au contraire la DGF travaille en étroite collaboration avec les militaires, souvent on s'appuie sur leurs dispositifs. En fait, ils interviennent en premier», insiste-t-il. L'idée que des exploitants agricoles s'improvisent pyromanes pour gagner des surfaces supplémentaires sur les espaces forestiers est également écartée par le directeur. «C'est insensé. Ils ne peuvent pas le faire car la loi l'interdit. Et il faut savoir que personne ne peut prétendre à une superficie incendiée parce qu'il s'agit d'un domaine public de l'Etat. Après le feu, cet espace doit être reconstitué et cela même s'il est une propriété privée», affirme M. Benkheira. Donc, à croire le directeur de la protection de la flore et de la faune, les causes des incendies de forêt sont presque toujours involontaires contrairement à ce qu'affirment de nombreux riverains des espaces boisés. Prévention Avec ses 4,1 millions d'hectares de forêt (répartis sur les 40 wilayas du Nord), l'Algérie qui enregistre une moyenne annuelle de 32 000 hectares d'espace forestier incendiés avec un pic en 2012 (99 000 ha) est appelée à renforcer sa vigilance et ses effectifs pour faire face aux scénarios prospectifs alarmistes émis par le groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (GIEC) pour toute la Méditerranée en particulier celle du Sud. «Nous sommes impactés significativement par le réchauffement climatique. Et cet impact sera encore plus pesant dans le futur car il va y avoir une augmentation du stress hydrique, de canicule et les vents chauds (siroccos) seront plus fréquents ce qui va peser lourdement sur la dynamique incendiaire», développe le responsable forestier. Mais, malgré ces sombres prévisions la DGF garde la tête froide rassurée par les derniers résultats qui indiquent une forte réduction des espaces brûlés (13 000 ha en 2015) enregistrés dans les 40 wilayas du Nord. Ces résultats ont été permis, selon ses responsables, par l'application du plan de lutte contre les incendies de forêt. Un plan national d'intervention est structuré en 6 grands axes : la législation et la réglementation ; l'organisation ; la sensibilisation ; les travaux de prévention ; le plan opérationnel de lutte et la coopération avec les partenaires. Pour ce qui est du plan opérationnel, la Commission nationale de protection des forêts, réunie le 17 mai dernier, a mis en place 411 postes de vigies opérationnelles avec un effectif de 1025 éléments répartis sur les 40 wilayas du Nord. Il s'agit également de 485 brigades mobiles mobilisant 2921 éléments et dotée de 301 camions-citernes feux de forêt légers, de 27 camions ravitailleurs de grande capacité, de 2455 points d'eau ainsi que de 21 540 ouvriers mobilisés sur le terrain. Par ailleurs, 40 comités opérationnels de wilayas, 420 de daïras, 1187 de communes et 2013 de riverains sont installés. Dans le volet coopération, la DGF travaille en étroite collaboration avec six organismes nationaux et étrangers. D'abord avec l'Agence spatiale algérienne (ASAL), la direction a signé une convention pour l'utilisation satellitaire dans la prévention et la gestion des feux de forêt. «Il s'agit d'évaluer les superficies parcourues par les feux et la reprise végétative», explique M. Benkheira. Ensuite, la direction des forêts, avec l'Institut national de la cartographie et de la télédétection (INCT), lance le projet de conception d'un système d'information géographique (SIG) pour la prévention et la lutte contre les feux de forêt. Dans la même optique, la DGF s'engage dans le projet EFFIS (système européen d'information sur les feux de forêt), qui est un logiciel cartographique et de télédétection intégrant la totalité des pays du bassin méditerranéen. «Ce système suit les incendies en temps réel, donne l'évaluation post-incendie et permet d'assurer la veille», instruit le directeur de la protection de la flore et de la faune. Avec l'Office national de la météorologie (ONM), la DGF travaille également sur la conception d'un indice de prévention de risques de feux de forêt (IFM). Coopération «C'est un projet important sur lequel on travaille avec l'Union européenne. Appelé climasouth, ce système consiste à réaliser une carte des risques incendies de forêt. C'est de la modélisation climatique. L'Algérie va avoir son indice forêt météo. On a commencé le projet et la wilaya-pilote est Tlemcen», informe Benkheira. L'autre organisme avec lequel coopère la DGF est la Gendarmerie nationale avec l'objectif de traiter du domaine de la protection du parc forestier dans son ensemble. «On a été formé par la Gendarmerie nationale sur l'investigation post-incendie» affirme M. Benkheira qui met en relief «l'excellente» collaboration sur le terrain avec la Protection civile. Le dernier volet de coopération mis en valeur par la DGF est le projet d'assistance technique et de renforcement des capacités en matière de gestion des feux de forêt prodigué par la FAO. «Il s'agit de chercher les causes principales des incendies. On est convaincus que les moyens seuls ne suffisent pas pour lutter contre les feux. Il faut chercher les véritables causes de leur départ. Les origines sont soit naturelles soit dues à l'activité humaine. L'Algérie n'a pas d'activité volcanique et la foudre est rare pendant la période estivale. Il reste donc à déterminer ces raisons humaines pour diminuer de façon significative les risques», explique Abdelghani Boumessaoud, sous-directeur de la protection du patrimoine forestier à la DGF et coordinateur du projet FAO. Ainsi, d'après les premières recommandations du projet, il s'agira de mettre en place un plan national des incendies de forêt, de renforcer les capacité en termes d'investigation post-incendies, d'élaborer des cartes de sensibilité et de constituer un pôle de chercheur sur la question des feux de forêt. En plus d'affiner la cible des campagnes de sensibilisation prévues durant la période estivale, il s'agira également de travailler pour la prévention, en étroite collaboration avec différents organismes et secteur à l'instar des travaux publics pour réaliser ou nettoyer les bandes antimégots. «Il faut par exemple optimiser les accotements de pistes, nettoyer les bois gisants, remplir les points d'eau et aménager les postes de vigiles. On doit aussi réaliser des tournières autour des champs agricoles mitoyens aux espaces forestiers pour éviter l'embrasement pendant les campagnes de récoltes, nettoyer les couloirs de passage des lignes à haute tension…», énumère M. Boumessaoud. «Notre souhait le plus cher est de déclencher une véritable stratégie de veille contre les incendies de forêt», conclut Abdelkader Benkheira.