Il était son meilleur ami, il est devenu son pire ennemi. Le président Recep Tayyip Erdogan a demandé officiellement, dimanche, à Washington d'extrader Fethullah Gülen qu'il accuse d'être l'instigateur du coup d'Etat manqué de vendredi dernier et qui a fait près de 290 morts parmi les civils et les militaires ainsi qu'une vague massive d'arrestations. Ennemi juré du président turc, le prédicateur islamiste Fethullah Gülen mène, depuis 1999, une vie paisible en exil aux Etats-Unis. Cependant, malgré la distance et son âge avancé, il a conservé des liens et des contacts de premier plan dans tous les hauts rouages de l'Etat turc, à commencer par l'armée et la justice où il compte encore des amis fidèles. Agé de 75 ans, Fethullah Gülen vit reclus dans la montagne de Pennsylvanie, au nord-est des Etats-Unis. Mais ce prédicateur demeure un personnage très influent dans son pays. Il est à la tête d'un puissant mouvement religieux et culturel qui renferme des écoles, des entreprises, des ONG et même des médias. Ce qui lui donne une assise financière substantielle pour pouvoir espérer jouer les trouble-fête dans la Turquie à la fois moderne et conservatrice d'Erdogan. C'est dans les années 1970 que ce prédicateur, qui jouit d'un certain charisme auprès des Turcs, a commencé à construire sa pensée religieuse et politique et en même temps sa fortune. La confrérie Gülen a su attirer des professeurs, des étudiants, des hommes d'affaires, des chefs d'entreprise, des ingénieurs et toutes les autres forces vives de la Turquie au point de représenter un danger certain pour l'Etat turc, qui voit les ramifications de cette confrérie s'étendre jour après jour. Ce sont ces mêmes ramifications et ces mêmes contacts qui permettront plus tard à M. Erdogan de tisser lui aussi son réseau, lorsqu'il planifiait de conquérir le pouvoir avec l'aide du PJD, parti islamo-conservateur proche des Frères musulmans égyptiens. L'intellectuel le plus influent au monde en 2008 Gülen, qui vit isolé à 10 000 kilomètres de sa terre natale, est un imam à la retraite, adulé par des millions de sunnites en Turquie et ailleurs. Son regard droit et sa voix faiblarde ont conquis des millions de musulmans dans tous les appareils d'Etat turcs, au point de constituer une sérieuse menace pour le pays, selon M. Erdogan. Il est vrai qu'il dispose de relais dans la justice, les services de police et au sein de l'armée, mais cela est-il suffisant pour qu'Erdogan évoque à plusieurs reprises «un Etat dans un Etat». En 2006, il a été poursuivi par la justice pour avoir demandé à ses disciples de s'engouffrer dans les artères du pouvoir sans faire trop de bruit et d'attendre le temps qu'il faudra, jusqu'au moment où ils se sentiront prêts pour prendre le pouvoir. C'est une technique connue chez les islamistes, notamment les Frères musulmans en Egypte qui ont tout de même réussi à prendre le pouvoir dans le sillage du Printemps arabe. En 2008, Fethullah Gülen a été élu «l'intellectuel le plus influent au monde» par la revue américaine Foreign Policy, et ce, grâce à la mobilisation de ses sympathisants sur les réseaux sociaux. Il ressemble à bien des égards à un gourou qui a réussi à mettre tous les militants du mouvement Hizmet («service» en turc, ndlr) à ses pieds. Ce mouvement est implanté dans 160 pays au monde et possède des représentants au sein même de l'Union européenne et l'Administration américaine. Ces dernières années, il s'est attelé à conquérir l'Afrique, usant des réseaux de la diplomatie turque sur place. Pour Erdogan, il est clair que c'est l'homme à abattre, car il ne peut y avoir deux personnages avec les mêmes ambitions.