Des dizaines de milliers de personnes défilent de nouveau dans les rues de Turquie pour dénoncer la corruption du régime du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Partie dans une dizaine de villes, la vague de contestation s'est poursuivie à Istanbul et Ankara aux mêmes cris de "Gouvernement, démission !" et "Au voleur !", après la diffusion de conversations téléphoniques qui, pour la première fois, mettent directement en cause le chef du gouvernement islamiste, au pouvoir depuis 2002. Selon ces coups de fil, Erdogan aurait ordonné à son fils Bilal d'abord de faire monter la sauce (chipa) puis de "cacher l'argent" ! Le chiffre de 30 millions d'euros est cité. La dernière conversation téléphonique remonte au 17 décembre 2013, deux heures après le coup de filet ordonné par la justice contre des dizaines de proches du régime soupçonnés de corruption. Généralement considérés comme sympathisants de Fethullah Gülen, qui vit aux Etats-Unis, chef du mouvement religieux Hizmet, allié puis ennemi juré d'Erdogan, juges et officiers de police avaient lancé une vaste opération anticorruption qui a pris dans ses filets quatre ministres et atteint maintenant le fils du Premier ministre Recep Erdogan. Par la suite, certains seront relâchés lorsque Erdogan donnera un coup de balai chez les juges accusés par lui de lui rendre la vie difficile et de ne pas s'être accommodés avec les mœurs de l'APK (chipa et protection des puissants). Les forces de l'ordre également "assainies" par le Premier ministre, interviennent dorénavant sans retenue, bastonnant à tout va, arrosant copieusement de gaz lacrymogènes et raflant sans distinction dans les cortèges. Cette nouvelle série de manifestations intervient à un mois du scrutin municipal du 30 mars et s'est élargie au monde du travail. Hormis les syndicats proches de l'AKP, la formation islamiste, les autres se sont solidarisés avec les laïcs et les républicains pour exiger la démission d'Erdogan. Celui-ci a vigoureusement contesté l'authenticité des révélations téléphoniques et dénoncé un complot attribué à ses ex-alliés de la confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen, très influente dans la police et la justice. Les militants de l'AKP balaient volontiers les accusations lancées par l'opposition, ânonnant le slogan de leur chef : "Notre Premier ministre travaille pour le bien du pays". Dans ce climat de forte tension, le président Abdullah Gül, numéro deux de l'AKP, a finalement donné son feu vert à la fin de l'indépendance de la justice avec la mise sous tutelle du Haut Conseil des juges et procureurs sous les crocs du ministre de la Justice, un militant de l'AKP. Cette réforme d'Erdogan avait déchaîné les critiques des juges, de l'opposition et suscité les mises en garde de l'Union européenne à Ankara au nom de l'indépendance de la justice. Pourtant, Gül s'était éloigné de la ligne intransigeante suivie par Erdogan qui ne cache plus son ambition de lui ravir sa place de président de la République. Il avait souhaité remanier la Constitution pour instaurer un régime avec plus d'attributions au président, aujourd'hui considéré comme une force morale et un arbitre. L'armée, qui a son mot à dire, le lui a fortement déconseillé et, aujourd'hui, il n'a plus le lustre d'il y a trois ans. Erdogan n'est pas encore à terre, mais il a bien moins de choix depuis l'été dernier, avec les manifestations de la place Taksim. Peut-il encore retourner la situation à son avantage ? D. B Nom Adresse email