Ce qu'on présente depuis une dizaine d'années comme une vogue passagère du manga subsiste en Algérie et prend de l'ampleur auprès d'une base de férus de la culture japonaise avec des événements fédérateurs et des initiatives innovantes. Si le manga est apparu au Japon à l'aube du siècle dernier, du fait d'un savant mélange entre traditions picturales nipponnes et bande dessinée occidentale, son rayonnement international ne se dément pas avec ses inévitables produits dérivés et ses adaptations visibles sur les écrans de télévision, d'ordinateur ou de smartphone. L'Algérie ne fait pas exception à la règle. Après la bd franco-belge et les comics, la tendance est au manga chez la nouvelle génération d'amateurs du neuvième art. Les séries animées diffusées depuis des décennies sur la Télévision nationale, comme sur les chaînes étrangères, ont initié les téléspectateurs aux codes visuels du genre. De Goldorak à Naruto en passant par Dargon Ball Z ou Nicky Larson, plusieurs générations se sont abreuvées de mangas en tous genres avant même que le terme ne soit popularisé sous nos cieux. Les amateurs de mangas refusent qu'on leur parle de «mode» et considèrent le genre comme un art à part entière qui s'inscrit dans la durée dans le paysage de la bande dessinée. La chose se vérifie d'ailleurs à chaque édition du Festival international de la bande dessinée d'Alger (FIBDA), où le concours de Cosplay devient un événement incontournable. Ce concours de costumes inspiré de l'univers manga (et plus généralement de la bd et des jeux vidéo) connaît un succès durable. Les jeunes participants créent leurs propres costumes et se transforment en super héros, en zombies ou en princesses… L'annonce de la prochaine édition, du 4 au 8 octobre, est d'ores et déjà lancée par le FIBDA en collaboration avec les éditions Z-Link. Tout récemment, en juillet dernier, la journée du manga connaissait un succès certain lors de sa cinquième édition. Les fans du genre ont fait le déplacement des quatre coins du pays pour se réunir à l'Institut français d'Oran en quête d'un album, d'un jeu vidéo, de goodies ou simplement d'échanges avec d'autres passionnés. Le manga est décidément partout. A Alger, on tombe sur une véritable caverne d'Ali Baba du manga dans la petite rue Ramdane Sekhi, près de l'entrée supérieure de l'hôpital Mustapha. Entre un snack et une cafétéria, HB Manga Kissa affiche la couleur avec des personnages de Dragon Ball Z, qui vous interpellent de derrière la petite porte vitrée. A l'intérieur, pas moins de 6000 mangas tapissent les murs, en plus de produits dérivés, de matériel de dessin… Bref, tout ce qui peut faire rêver l'otaku (passionné de manga) s'y trouve exposé. Le concept Manga Kissa, apparu en 1979 à Tokyo, est à cheval entre la librairie et la bibliothèque. C'est une sorte de cybercafé du manga, où la consultation d'ouvrages est tarifée à 100 da/h (ou abonnement de 4000 da/mois). Depuis sa création, en 2014, HB Manga Kissa a manifestement rencontré son public. Si la cible est relativement restreinte, elle n'en est pas moins régulière et puis, c'est bien connu, quand on aime, on ne compte pas. «Le manga touche tous les âges et toutes les classes sociales, son public progresse avec l'évolution des créations et tant que cette croissance subsistera, le public lui restera fidèle», explique Hocine Ben Amar, fondateur de HB Manga Kissa dont les premières lettres ne sont autres que les initiales de son nom… «ou alors les crayons HB», ajoute-t-il. Après une première tentative avortée dans l'édition spécialisée, en 2007, le jeune entrepreneur ne s'est pas découragé et la formule Manga Kissa, lancée avec son frère, lui a permis de partager sa passion du manga. Le concept se décline également en site internet. «L'ouverture de notre boutique d'e-commerce hbmangakissa.com nous a permis de développer notre activité en dehors des murs de l'Algérois. Nous comptons plus de 500 clients répartis sur l'ensemble des 48 wilayas qui reçoivent leurs colis directement à domicile. Nous sommes très fiers de notre parcours !», conclut Ben Amar. En plus des lecteurs, des joueurs ou des cosplayers, l'Algérie a aussi ses propres mangaka (auteurs de manga). C'est dans ce créneau que s'est lancé Salim Brahimi avec ses éditions Z-Link et son magazine Laabstore. «L'idée tournait dans mon esprit depuis l'enfance, je lisais des revues spécialisées ramenées d'Europe. Je me disais : pourquoi ne pas créer une revue à nous ? Ce n'est qu'en 2007 que nous avons créé les éditions Z-Link (premier éditeur algérien spécialisé dans la BD) et la revue Laabstore, la première du genre dans notre pays. En ce moment 57 numéros sont parus ainsi qu'une cinquantaine de BD 100% algériennes et l'aventure continue…», résume-t-il. Différents genres sont représentés dans le catalogue des mangas made in Algeria. Des exploits footballistiques aux idylles romantiques et de la Révolution algérienne à la science-fiction, tous les goûts sont dans le catalogue de mangas dz écrits en français mais aussi en arabe dialectal et littéraire. «Je pense que le type ‘shônen' (bd pour ados) fantastique est très demandé en Algérie, du moins selon notre expérience éditoriale, mais aussi les ‘Shojo' (bd pour jeunes filles) qui plaisent à pas mal de lectrices…», déclare Brahimi. Il estime, par ailleurs, que le manga est potentiellement ouvert à tous les publics. En bandes dessinées, en scans téléchargés sur internet, en films d'animation, en séries animées ou en jeux vidéo, l'univers du manga est désormais bien implanté et ce n'est pas la déferlante Pokémon Go qui va démentir cet engouement. L'application de Nintendo, lancée le 6 juillet dernier avec un succès fulgurant, n'est pas officiellement disponible en Algérie. Mais nos internautes ont déjà trouvé le moyen de la télécharger et le groupe Facebook «Pokémon Go Algérie» réunit actuellement plus de 2000 membres !