Par Ali Haroun Membre de la direction du FLN en France durant la guerre d'indépendance ; membre du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) Parmi les dates historiques qui jalonnent l'histoire de sa guerre de libération comme le 1er Novembre 1954, jour du déclenchement, le 20 Août 1956 du Congrès de la Soummam, ou le 17 Octobre 1961 marquant les manifestations de Paris, celle du 25 Août 1958 n'évoque aucun souvenir particulier. Et pourtant, cette nuit, une guérilla urbaine d'un genre nouveau marque l'ouverture d'un second front de la lutte armée du FLN sur le territoire de la France métropolitaine. Parmi les nombreuses actions, celle menée contre les dépôts pétroliers de Mourepiane près de Marseille a particulièrement marqué l'opinion interne et internationale, alertée par les médias, surpris par l'événement et stupéfaits par ses répercussions. Mais l'attaque de Mourepiane s'inscrit dans le cadre global de ce second front ouvert par la Fédération du FLN en France, «la 7e Wilaya historique», selon les directives du CCE. En ce mois de juillet 1958, dans un village de la banlieue de Cologne, sur la rive droite du Rhin, l'auberge des «Falken» abrite une réunion qui semble s'éterniser. Elle dure depuis plus d'une semaine, et le Comité Fédéral élargi aux chefs des quatre wilayas du FLN en France, tiennent une séance extraordinaire. S'y trouvent : Omar Boudaoud, chef du comité fédéral ; Saïd Bouaziz, responsable de l'OS ; Ali Haroun, responsable de la presse-information, de l'organisation et de la défense des détenus ; Kaddour Ladlani, responsable de l'organisation-mère ; Abdelkrim Souici, responsable des finances et des organismes annexes (SU, AGTA, etc.) ; ainsi que Moussa Khebaïli, chef de la wilaya I (Paris-Centre) ; Hamada Haddad, chef de la Wilaya II (Paris-Périphérie) ; Amor Ghezali, chef de la wilaya III (Centre-Lyon-Grenoble-Saint-Etienne) ; Smaïl Manaa, chef de la Wilaya IV (Nord et Est) et Bachir Boumaza, responsable du collectif et du Comité de soutien aux détenus (CSD), une sorte de Croissant-Rouge clandestin, ainsi que Mohamed Harbi qui devait peu après quitter le groupe. Ce comité des «onze» estime que le FLN est arrivé à installer sur le territoire français une organisation politico-administrative et paramilitaire permettant le passage à une forme supérieure de combat. A cet effet, Boudaoud rappelle qu'il est arrivé, investi d'une mission bien précise qui inclut, parmi les directives données par Abane Ramdane, au nom du CCE, celle d'ouvrir en France, au moment opportun, un second front. Le but : élargir le champ du combat pour contraindre le gouvernement français à accroître ses dépenses militaires et son budget de répression, rendre sa politique impopulaire, et disperser ses forces, ce qui soulagerait les maquis. Les participants se donnent alors un délai d'un mois pour préparer, chacun dans son domaine, l'action envisagée. Levant la séance le 25 juillet, ils fixent le déclenchement au 25 août 1958 à 0 heure. Il est convenu que la date restera connue seulement des participants, l'OS et les «groupes de choc» devant être prêts à l'action au jour J. Et chacun prend le chemin du retour vers sa circonscription : les responsables de wilaya par leurs filières respectives, et, un peu plus tard, Bouaziz, Haroun et Ladlani transitent par la Belgique où depuis Bruxelles une filière doit les conduire à Paris. Dans la capitale belge où se tient l'Exposition universelle, Kaddour Ladlani apprend que «Spoutnik», le chef de la wilaya du Nord, semble traîner la patte. Il s'en inquiète d'autant plus que le temps presse et que cette wilaya, où le MNA est encore puissant, ne sera pas aisée à mobiliser. Aussitôt il désigne Benaïssa Souami, dit «J3», comme chef de la wilaya. Une filière va déposer à Paris vers minuit, dans le tohu-bohu des Halles, rue de Rivoli, au milieu des caisses de fruits et légumes face à la Samaritaine, Haroun et Ladlani qui seront aussitôt pris en charge par le réseau «hébergements». En vue de l'action à déclencher – qui va sans aucun doute déchaîner une répression telle que les contacts entre les diverses wilayas de France deviendront impossibles –, il convient de doter chacune d'elles de tous les moyens en hommes et accessoires nécessaires à une vie autonome. La wilaya de Paris et celle de Paris-Périphérie constituent pratiquement l'épine dorsale de la Fédération. Le chef de l'OS doit s'occuper principalement de préciser avec «Madjid» Aït Mokhtar, les objectifs visés et de trouver un remplaçant à Omar Harraigue, complètement «grillé». Le responsable à la presse va rechercher pour chaque wilaya un délégué à la presse et information – le DPIW. Ainsi seront désignés Mejdoub Benzerfa (dit Marcel, dit aussi Armstrong), pour Paris-Centre, Ali Kara-Mostefa (dit Karl) pour Paris-Périphérie, Mustapha Francis (dit François) pour le Nord et l'Est, Abdelatif Rahal (dit René) pour Lyon et le Sud. Le 22 août se tient à Sceaux, dans la banlieue sud de Paris, la réunion ordinaire mensuelle pour l'examen des rapports organiques et financiers. Chantal Lambla de Saria, qui seule connaît l'adresse, est chargée de véhiculer les participants au nombre de sept : Bouaziz, Haroun et Ladlani pour le Comité Fédéral, Kebaïli, Haddad, Ghezali et Souami, chefs des quatre wilayas. Mais cette fois-ci, l'ordre du jour de la réunion compte en outre l'ultime vérification du dispositif avant l'heure H. Tout est au point. Aucun imprévu n'a perturbé le planning établi à Cologne. On confirme : 25 août, 0 heure, et on se sépare. Le compte à rebours peut commencer. Bilan le 26 au matin Coup de tonnerre dans un ciel serein. Le peuple français dans sa grande masse découvre par la presse, le 26 au matin, que la guerre vient de franchir la Méditerranée, au moment même où il commençait à s'en accommoder. Commissariats, postes de police et casernes attaqués, dépôts de carburants incendiés, voies ferrées sabotées, objectifs économiques atteints, raffineries en flammes et quartiers entiers évacués… tout cela en une seule nuit. Quel en est le bilan exact ? Dans la région parisienne, les commandos, sous les ordres directs de Mohand Ouramdane Saâdaoui et Mohammed Mezrara dit «Hamada», passent à l'attaque. A 2h05, l'annexe de la préfecture de police, 66, boulevard de l'Hôpital à Paris, est visée. Quatre policiers sont mortellement atteints. Les hommes pénètrent dans les lieux, allument des bidons d'essence. L'incendie fait diversion et l'épais nuage de fumée qui s'en dégage va protéger leur fuite. Menée par Diafi et Messerli, l'action aura permis la prise d'un pistolet-mitrailleur 38 et d'un pistolet automatique de 9 mm. Le commissariat du XIIIe arrondissement est arrosé de rafales de mitraillette. Quai de la Gare, un dépôt d'essence est touché. La Cartoucherie de Vincennes est visée. On se propose de la faire sauter. L'attaque, dirigée par Larbi Hamidi dit «Amar», a lieu à 3 heures du matin. Mais des policiers alertés quelque temps auparavant patrouillent. Elle se solde par une intense fusillade : un policier tué, plusieurs blessés, et du côté FLN deux tués et huit blessés. Des dépôts de pétrole à Gennevilliers et à Vitry en région parisienne sont incendiés. Toujours à Vitry est attaquée une usine de montage de camions militaires. Sont aussi visés, mais sans succès, un hangar à l'aéroport du Bourget ainsi qu'une usine à Villejuif. Dans le découpage géographique de l'OS, la Normandie constitue une région militaire confiée à Omar Tazbint, dit «Abdou», chef de région avec Arab Aïnouz comme adjoint et Abderrahmane Skali comme artificier. Ces trois hommes, avec leurs éléments – une trentaine au maximum – vont mener les opérations du 25 août et des jours suivants jusqu'à leur arrestation, intervenue le 29 septembre. A Port-Jérôme près du Havre, la raffinerie Esso-Standard est sabotée. Muni d'un bâton de nitroglycérine, un fidaï détruit la cuve, son compagnon Abdelmadjid Nikem, chargé d'en faire sauter deux autres, est déchiqueté par l'explosion. La centrale de gaz de Rouen est attaquée et l'affaire ne sera jugée que les 6,7 et 8 février 1961, les auteurs du sabotage ayant dû comparaître pour de nombreuses autres affaires. Dans une note à «Alain» (Ali Haroun), responsable des détentions, Serge Moureaux, avocat à Bruxelles, rapportait fin décembre 1960 : «L'affaire du Gaz de France (attentat du 25 août à Rouen) avec Tazbint, Aïnouz, Skali et Bourenane, déjà condamnés à mort dans d'autres affaires, est venue les 4 et 5 décembre 1960 devant le tribunal militaire de Lille. Après deux jours de procédure (à la barre Oussedik, Zavrian, Marie-Claude Radziewski, Moureaux, Cécile Draps, Merchies), nous avons obtenu le renvoi sine die. Malgré leur situation critique, les quatre accusés brandissent à l'audience de février le drapeau FLN, ce qui – on s'en doute – n'incitera pas des juges militaires survoltés à plus de clémence.» Une tentative d'attaque contre le commissariat central de Rouen est stoppée par la police qui intercepte la voiture du commando et saisit la bombe destinée à détruire le bâtiment. Lors du désamorçage, l'engin explose, tuant et blessant plusieurs policiers. Le commando compte un mort : Omar Djillali. A Elbeuf, un brigadier-chef sera grièvement blessé. Plusieurs attaques seront menées à Evreux pour lesquelles les «fidayne» Mohamed Tirouche et Ali Seddiki, condamnés à mort, seront guillotinés en 1960. Au Petit-Quevilly, près de Rouen, le dépôt pétrolier est saboté. Malgré la présence de la police qui, faisant usage de ses armes, tue un militant et en blesse un autre, le commando parvient à incendier quatre cuves de carburant d'une contenance de 4000 m3. La zone du Midi Compte tenu des nombreux objectifs économiques et militaires recensés par l'OS dans le Midi de la France, cette zone est subdivisée en plusieurs circonscriptions ou «régions militaires». Le chef en est Ouahmed Aïssaoui, aidé par l'artificier Ouznani Mohamed et Belhaouès M'hamed responsable de l'armement. Deux agents de liaison, Yamina Idjerri, dite «Antoinette» et Rabia Dekkari, dite «Djamila», assurent un contact permanent avec Paris où se tient l'état-major de la «Spéciale». Nadia Seghir et Halima Kerbouche servent aux contacts locaux. Les quatre subdivisions ont respectivement à leur tête : Chérif Meziane, dit «Allaoua», pour la première région ou Marseille-Centre ; Ali Boulbina pour la deuxième région ; Ahmed Belhocine pour la troisième ou Port-de-Bouc ; enfin Ali Betroni, dit «Abdelaziz», pour la quatrième, englobant Bordeaux et Toulouse. Ces cadres avec leurs hommes – moins d'une centaine pour toute la zone sud – vont en quelques jours déclencher une vague de sabotages impressionnante. Ouahmed Aïssaoui raconte : «Mardi 20 août, je reviens de Paris informé de l'heure H (cinq jours pour tout préparer). Convocation des chefs de groupe à la ferme de Baghdadi, située dans les environs de Miramas. Le jour même nous y avons transporté les armes et explosifs. Nous ne disposons pas suffisamment d'explosifs pour prétendre attaquer tous les objectifs au même moment, mais notre artificier a su confectionner les bombes et charges nécessaires pour chaque équipe en faisant un mélange de cheddite et de nitroglycérine, dont il avait seul le secret. Samedi 24, nous avons remis tous les moyens disponibles, désigné les équipes, initié les éléments à l'utilisation des charges télécommandées, procédé aux essais des détonateurs. Dimanche, tout le monde était consigné. Ce n'est qu'à 22h que les chefs de groupe eurent connaissance de l'heure H. Nous quittâmes la ferme, chacun partant vers son but. L'artificier et moi-même rejoignîmes une villa de la banlieue de Marseille, munis des bombes destinées aux objectifs de Marseille. Le chef de groupe de cette ville nous y attendait. L'artificier met la dernière main aux engins, règle la minuterie sur l'heure H et charge le tout dans la voiture. Il faut signaler que les frères du FLN nous ont prêté deux tractions avant. Ces deux véhicules devaient servir au transport des équipes depuis Marseille vers les lieux à attaquer. Nous avons quitté la villa vers 23h50. Ben Djaghlouli, chef de groupe, nous précède de quelques minutes à bord de la traction. L'artificier et moi-même suivons dans celle du frère Samet, conduite par Rabah L… Nous devions rejoindre le chef de groupe en ville pour lui remettre les bombes. A peine avons-nous fait quelques centaines de mètres que nous tombons en panne. Rien n'y fait. La boîte de vitesse est complètement bousillée. L'explosion des bombes allait se produire dans moins de trois heures. Il n'était plus possible de les désamorcer, les ouvertures étant soudées. La sœur Saliha, après une longue attente, peut enfin rejoindre la ville par auto-stop et ramener un taxi dans lequel nous faisons le transbordement. En cours de route, nous trouvons le chef de groupe qui lui aussi était tombé en panne. Finalement, nous avons utilisé des taxis pour atteindre nos destinations. Les onze objectifs visés furent tous attaqués. Malheureusement, plusieurs charges n'ont pas fonctionné. Cela provenait de la défectuosité des détonateurs et des explosifs récupérés dans les carrières de la région, qui avaient été enterrés durant de longs mois. Nos responsables nous avaient promis trois tonnes de plastic. S'ils avaient tenu parole, ç'aurait été la catastrophe pour la France…». Puis Aïssaoui dresse, sans enjoliver, le détail des objectifs attaqués cette même nuit du 25 août et le bilan – somme toute modeste à ses yeux – de l'action dans sa zone. Froid et peu enclin à l'exagération, Aïssaoui est d'une modestie qui ne traduit sans doute pas les résultats réels de la «nuit rouge», ni l'impact certain qu'elle obtint sur les médias. Si la presse souligne les attentats manqués contre les dépôts des sociétés Shell et British Petroleum à Saint-Louis-Les-Aygalades près de Marseille, à La Mède, au Cap Pinède, à Frontignan près de Montpellier, à la raffinerie de Lavéra, elle informe sans le vouloir que le FLN dispose désormais de techniciens capables d'utiliser des engins sophistiqués et des bombes télécommandées. Elle ne peut davantage passer sous silence que, simultanément à ces actions manquées, le dépôt de la Mobil Oil près de Toulouse brûle encore. Deux réservoirs ont sauté, provoquant un incendie dont les flammes atteignent plus de cent mètres de hauteur et les colonnes de fumée sont visibles à vingt kilomètres alentour. Mobil Oil perdait ce jour 8000 m3 de carburant. Les incendies de Mourepiane Les rapports établis par l'organisation et les articles publiés par la presse des 26-27 et 28 août 1958 sont suffisamment éloquents pour décrire cette nuit du 25 Août marquante dans l'histoire de la guerre d'indépendance algérienne. Mais c'est l'affaire de Mourepiane qui, tant par ses conséquences immédiates que par les péripéties judiciaires qui s'ensuivent, caractérisera dans les mémoires ce «second front» ouvert la nuit du 25 août 1958. Considéré alors comme crédible et sérieux, le journal Le Monde qui, généralement, répugne au sensationnel, écrit alors : «Après la véritable panique provoquée lundi soir à Mourepiane par la recrudescence de l'incendie allumé la nuit précédente au dépôt pétrolier le calme semble revenu ce matin. Mais en fin de matinée la grande cuve de protection qui a pris feu lundi soir brûlait encore. Les pompiers se tenaient à l'écart. Les dangers d'explosions nouvelles ne sont pas écartés. Une dizaine de bacs de chargement menacent à tout moment de s'enflammer. Ce sont les seules installations épargnées par l'incendie. Tous les réservoirs, ainsi que les dépendances administratives de l'entrepôt, ont sauté et brûlé. Sur plusieurs centaines de mètres le dépôt est complètement dévasté. A travers l'épaisse fumée noire qui s'élève des bacs depuis bientôt trente-six heures, on ne voit que des tôles tordues et des canalisations déchiquetées. C'est à 19h50, lundi soir, que par une explosion d'une violence extrême, l'incendie s'est subitement communiqué à l'ensemble des installations. Jusque-là, l'extension du sinistre avait paru facile à éviter… Il ne semblait pas que la vaste cuve dite de ‘‘rétention'' pratiquée au centre du réservoir dût être contaminée. Aussi son explosion soudaine a-t-elle surpris les sauveteurs et les curieux. Visibles depuis Notre-Dame de la Garde et l'esplanade de la gare Saint-Charles, des flammes de plusieurs dizaines de mètres de hauteur se sont élevées. Une folle panique s'est emparée des habitants du port de Mourepiane. Les sirènes des voitures de police et de pompiers ont retenti à travers la ville. On parlait déjà de plusieurs morts. En réalité, la déflagration a seulement blessé des pompiers qui se trouvaient aux abords de la cuvette… Sur ordre des autorités, qui ont établi leur poste de commandement dans les locaux de la gendarmerie maritime, l'évacuation de 800 personnes a été assurée lundi soir. Les boutiques et les bars du boulevard du Littoral ont fermé leurs portes. Le mur de protection en terre que les pompiers et la troupe avaient édifié dans l'après-midi permettait d'espérer que le feu ne s'étendrait pas au-delà de l'entrepôt. Mais la chaleur dégagée par le brasier était telle que, de proche en proche, les habitants et les curieux, venus par milliers, refluaient d'heure en heure, bientôt contenus à plus d'un kilomètre du dépôt par des cordons de police. A 22h15, une nouvelle explosion s'est produite : les dernières cuves épargnées par le feu sautaient à leur tour, provoquant une nouvelle vague de panique. Finalement, à part les petits bacs de chargement dont l'embrasement est toujours à redouter, tous les bacs de l'installation ont brûlé, ce qui représente plusieurs millions de litres d'essence et de gas-oil… Pendant ce temps, cent cinquante hommes de troupe veillent sur les différentes raffineries de Martigues-Lavéra, où des engins explosifs ont été découverts à temps à l'aube de lundi. Une jeep du service de déminage a pris feu alors qu'elle venait d'enlever les dispositifs des saboteurs et qu'elle quittait la raffinerie. Un militaire a été blessé.» Ainsi s'exprimait Le Monde. Quatorze ans plus tard, Albert-Paul Lentin décrit ainsi l'action : «L'opération capitale est cependant celle qui est dirigée contre le plus grand dépôt de stockage de carburant du sud-est de la France, celui de Mourepiane, dans la banlieue nord de Marseille, non loin du port. Là, l'attaque est précédée par une manœuvre de diversion. Des Algériens allument, à 21h, plusieurs foyers d'incendie dans les forêts de l'Estérel de manière que plusieurs équipes de pompiers chargées de combattre le sinistre s'éloignent de Marseille. A 3h15, l'explosion fait sauter les deux réservoirs et secoue tout le quartier de l'Estaque. Un incendie qui éclaire tout le ciel de Marseille ravage sept des quatorze bacs. Nouvelle explosion à 8h45 après que l'on eut fait évacuer en toute hâte les habitants des quartiers en danger, puis le soir, à 20h20, formidable explosion qui détruit toutes les installations qui avaient jusque-là échappé aux destructions. Un pompier périt dans l'incendie. On relève dix-neuf blessés, parmi lesquels, le maire de Marseille Gaston Defferre, qui s'étant rendu sur les lieux est touché au pied. Le feu brûle encore à Mourepiane pendant dix jours… 16 000 m3 de carburant ont été détruits.» L'analyse politique du FLN Le lendemain matin, dès l'annonce par la presse et la radio des premiers résultats de la vague d'attentats, le Comité Fédéral, qui avait déjà fait préparer par la commission de presse une déclaration explicative sur les buts de la «nuit rouge», la fait rectifier à la lumière des incendies gigantesques qui continuent d'embraser le ciel du Midi : «Par la guerre à outrance en Algérie et la répression en France, les gouvernements français ne laissent plus aux Algériens d'autres moyens que l'action directe pour manifester leur conviction patriotique […]. C'est pourquoi, conscient de ses responsabilités […], après avoir pesé les risques et envisagé toutes les conséquences de ses actes, le FLN a décidé la destruction, partout où il se trouve, du potentiel de guerre ennemi et en particulier de ses réserves en carburant.» Le triomphalisme présomptueux de la déclaration n'apparaissait guère à ses auteurs dans l'euphorie des informations reçues. Mais il faut dire qu'ils étaient à l'unisson de la base capable alors de renverser, par sa foi, les montagnes qui lui barraient le chemin de l'indépendance. La Fédération ne perdait pas de vue pour autant son but politique permanent : faire comprendre à la grande masse que seul le colonialisme est à abattre. Quant au peuple français, dont certains fils sont des alliés effectifs, il ne sera jamais visé. «L'émigration algérienne, ajoute la déclaration, réaffirme toute son estime aux Français et Françaises qui, pour avoir compris l'idéal de liberté du FLN, sont jetés dans les prisons ou traînés dans la boue par les journaux et radios colonialistes», car ils seront demain «les véritables défenseurs des valeurs françaises en Algérie», contrairement aux colonels qui sont à l'honneur, «à Soustelle et ses complices du 13 mai, à Guy Mollet et ses acolytes socialo-colonialistes». Le texte affirme solennellement que «les civils ne seront pas intentionnellement visés […], à l'inverse de ce que fait l'armée française en Algérie qui bombarde indistinctement des régions entières». Car il faut bien s'en persuader, l'action menée dans la nuit du 25 août sur le territoire français ne constitue ni une «vaine et stérile entreprise terroriste» ni «un acte de désespoir». Comme il fallait s'y attendre, la répression se durcit. Un couvre-feu pour les Nord-Africains est instauré dès le 27 août dans le département de la Seine, le 3 septembre dans le Rhône, et le 4 en Seine-et-Oise. Les «chasses au faciès» se multiplient à Paris, Marseille, Lyon, Belfort, et les «transferts» en Algérie se développent. Tout «basané» devient suspect, et les Algériens emplissent les hôpitaux désaffectés, comme Beaujon, ou les casernes spécialement aménagées pour eux. Des milliers d'entre eux sont «triés» au Vélodrome d'hiver, avant d'être internés dans les camps d'Algérie. «Retour aux sources», écriront les rares journalistes encore courageux, rappelant que naguère, au même Vél' d'hiv, les juifs étaient, avec la complicité d'une partie de la police française, raflés puis parqués, avant d'être envoyés, dans des wagons plombés, vers les camps de la mort. L'action se poursuit Ni les contrôles renforcés ni les arrestations préventives n'empêchent l'action déclenchée le 25 août de se poursuivre, avec moins d'éclat peut-être mais non sans efficacité. A Paris, accrochage, dans la nuit du 27 au 28 août, d'une cellule de l'OS avec un groupe de policiers. Trois d'entre eux sont sérieusement blessés place Denfert-Rochereau, et un adjudant-chef est atteint à la station de métro Bonne-Nouvelle. Le 31 août, attaque de dépôts d'essence à Arles et de l'usine à gaz d'Alès, qui explose. Le 1er septembre, les commandos essuient un échec devant le siège de l'Office algérien d'action économique (Ofalac), avenue de l'Opéra, à Paris. Le 2 septembre, explosion d'une bombe près de Rouen. Le 3, sabotage de la voie ferrée Paris-Le Havre. Les commandos s'attaquent, le 4 septembre, à l'aérodrome de Melun, et, le lendemain, un sabotage entraîne le déraillement d'un train de marchandises à Cagnes-sur-Mer dans le Midi. Ainsi, les éléments de la «Spéciale», aussi bien que les «groupes de choc» de l'organisation – car de nombreuses actions contre les services de répression leur échoient –, continuent à se manifester sur l'ensemble du territoire français, surtout contre certains commissariats où les Algériens sont soumis à des interrogatoires «musclés». Le 7 septembre, une action mineure est menée contre l'aérodrome de Villacoublay. A Lyon, le poste de police de la place Jean-Macé est attaqué : un brigadier succombe. Espérant rééditer leurs prouesses du 25 août contre les installations pétrolières, les «fidayine» du Midi visent les dépôts des banlieues de Marseille et de Bordeaux, à Bègles, ce même 7 septembre. Le résultat est mince. Le lendemain, c'est le tour de la centrale électrique de la Boisse, dans l'Ain. En rade de Toulon, les hommes de l'OS tentent vainement de fixer des charges explosives sur les coques du cuirassé Jean Bart, de l'escorteur Bouvet et du sous-marin Dauphin. Cependant, le sabotage du paquebot Président de Cazalet, qui assure la liaison Marseille-Algérie et sert à l'occasion pour le transport des troupes, fait quelque bruit. Le 5 septembre 1958, le navire quitte Marseille vers 11h à destination de Bône. A midi, alors qu'il se trouve à une vingtaine de miles au large, il signale une explosion dans le compartiment des ventilateurs de chauffe, immobilisant les machines, causant d'importants dégâts et soufflant les cloisons. Un commencement d'incendie vite enrayé suit la déflagration. Le navire, en difficulté, est pris en remorque par le Djebel Dira qui se trouve dans les parages. Treize personnes sont blessées et un chauffeur, André Barreda, qui souffre de graves brûlures, succombe deux jours plus tard. L'enquête établit qu'une bombe placée dans le compartiment des ventilateurs en était la cause. Lors de l'arrestation du groupe de Mourepiane, la police découvre qu'il s'agit des mêmes éléments. En tout, quatorze personnes dont deux femmes. Réactions du CCE et de l'ALN L'offensive du 25 août se poursuivait. Entre-temps, parvenait à Paris le communiqué du CCE publié au Caire en date du 31 août 1958. Intitulé «Déclaration du Comité de coordination et d'exécution de la révolution algérienne à propos de la guerre portée en France par le Front de libération nationale», le texte trahit, par la grandiloquence du titre, le soulagement de la direction établie en Egypte de voir le FLN reprendre un second souffle, après une lutte de quatre années, caractérisée, surtout les derniers mois, par un affaiblissement momentané mais certain de l'ALN, consécutif au «rouleau compresseur» passé sur l'Algérie par les 800 000 hommes de l'armée française. A la veille des actions d'août en France, l'ALN marque militairement le pas en Algérie. La saignée qu'elle vient de subir affecte le moral des troupes. Ainsi, dans la wilaya III (Kabylie), les opérations commencées à l'époque avec 12 000 combattants se terminent avec 3000 survivants. Au point que le chef du département de la guerre, au nom du CCE, sentait le besoin de diffuser par radio un ordre général n° 1 destiné à soutenir, à encourager et à fortifier la combativité des djounoud : «Grâce à votre dévouement, à votre esprit de sacrifice, à votre ardeur et votre discipline, vous réaliserez la victoire […].» Assurément, le style ne salue pas un bilan triomphal.Le piétinement du combat, l'arrivée de De Gaulle au pouvoir proclamant l'intégration des «Français à part entière» dans le giron de la mère-patrie…, tout cela n'était pas pour faire monter la cote du CCE auprès des «Frères et Alliés» arabes. Apprenant la nouvelle du 25 août, rapportée par les radios internationales et amplifiée par la presse du Moyen-Orient, la direction l'a reçue «comme un véritable ballon d'oxygène», au 32, rue Abdelkhalek-Sarwat, siège central du FLN au Caire . Alors que les dirigeants égyptiens, doutant d'une issue conforme aux aspirations algériennes, manifestent depuis plusieurs mois une attention moins soutenue à l'égard du Front, ils demandent à rencontrer, dès le 26, les membres du CCE présents dans la capitale. Les Egyptiens paraissent réconfortés de n'avoir pas joué une carte perdante, en soutenant la lutte du FLN. Dès l'annonce de la nouvelle, Fethi Dib – du groupe des «officiers libres», compagnon et homme de confiance de Nasser et aussi chef des services de renseignements égyptiens – souhaite rencontrer Krim et Bentobbal pour leur exprimer sa satisfaction de constater «que la Révolution n'a pas perdu son souffle». En Tunisie, les deux hommes, en compagnie de Mahmoud Cherif, autre membre du CCE, sont également sollicités par Ahmed T'lili et Tayeb Mehiri, membres du gouvernement. Ils les assurent que le combat continuera «quel que soit l'homme au pouvoir en France» et «jusqu'à l'indépendance». Des wilayas d'Algérie, les messages arrivent qui traduisent le contentement des djounoud, particulièrement sensibles au fait que l'action du 25 août immobilise en France même 80 000 soldats. La wilaya II (Constantinois), quant à elle, accueillait avec une satisfaction évidente «l'élargissement du Front constituant un encouragement pour l'ALN». Le moral des combattants algériens, rapporte un témoin, s'est élevé du fait que tous les nationaux s'avèrent alors mobilisés à l'intérieur des frontières, comme à l'extérieur, pour atteindre le même but : l'indépendance du pays. «Le fardeau est partagé par tous et devient donc moins lourd». Ainsi, la déclaration du 31 août entend-elle expliquer les buts stratégiques de l'opération : «La première offensive des commandos algériens s'est fixé un objectif essentiellement pétrolier pour une double raison : 1) frapper les réserves de carburant […] ; 2) prolonger sur le territoire français même la guerre que […] l'ALN mène méthodiquement en Algérie. Il y a un an, le FLN avait promis de détruire le pétrole saharien en France même. Il a tenu sa promesse. Il réaffirme sa volonté de rendre infructueux tous investissements tendant à l'exploitation des richesses de l'Algérie, y compris le Sahara». On devine qui sont les destinataires du communiqué : les compagnies pétrolières et les investisseurs étrangers qui entendaient faire cause commune avec le capital français. «Par suite, ajoute le texte, toute participation étrangère, sous forme d'investissements, de capitaux ou d'autres moyens ne peut être considérée par le FLN que comme acte d'hostilité vis-à-vis de l'Algérie combattante». Et à l'égard du peuple français, le CCE appuie la déclaration de la Fédération en soulignant «le caractère strictement stratégique de notre combat. Le choix des objectifs et des méthodes démontre notre désir d'épargner les populations civiles». Si des atteintes à ces populations se produisent, elles n'auront pas été voulues, «les nécessités de notre lutte sont impératives». Le paragraphe final s'adresse aux «moudjahidine des commandos et aux patriotes de la colonie algérienne en France […]» : «Combattez farouchement l'ennemi en épargnant ceux qui sont sans défense. Vous savez mourir en respectant les femmes et les enfants. C'est cet idéal qui est le gage de notre victoire». Préserver l'opinion publique La direction du Front réaffirme le souci constant, à tous les niveaux, de se ménager l'opinion publique française pour la désolidariser de ses représentants politiques du moment. Ces politiciens apparaissent aux yeux du FLN, au même titre que les chefs de l'armée, personnellement responsables des malheurs du peuple algérien et des morts inutiles du côté français. Certains sont donc inscrits, au même titre qu'un dépôt de carburant ou une usine d'armement, comme objectifs stratégiques. Sur la liste, l'ancien gouverneur général d'Algérie, Jacques Soustelle. Difficile de comprendre l'itinéraire politique du spécialiste de la civilisation aztèque qui, d'intellectuel de gauche ouvert aux idées d'égalité des hommes et du droit naturel des peuples à leur liberté, se mue par son proconsulat algérien en champion de la domination coloniale, en défenseur d'un système fondé sur l'exploitation des ressources du pays conquis. On comprend encore moins le résistant qui fut aux côtés du général de Gaulle à Londres renier ouvertement ses options sur le combat du juste contre l'occupant étranger. Or, il emploie son intelligence, comme ministre de l'Information du nouveau gouvernement, à convaincre l'opinion que le résistant algérien, devenu par les subtilités d'un vocabulaire sciemment dénaturé «fellagha» (étymologiquement : briseur de crânes), ne mérite guère plus de considération que n'en inspire le sens originel du terme. En tout cas, quelque scrupule que l'on ait à porter la main sur un homme de science, celui qui est visé ce 15 septembre 1958, avenue de Friedland, à Paris, par Mouloud Ouraghi et Abdelhamid Cherrouk, n'a plus rien de commun avec l'éminent ethnologue. Il s'est placé de lui-même parmi les Lacoste, les Massu et les Aussaresse. A 9h30, alors que le ministre, à bord de sa DS noire, arrive à son ministère, Ouraghi lui tire plusieurs balles de colt dont l'une troue le veston à sept centimètres du cœur. L'ancien gouverneur d'Algérie se jette au plancher. Il se relève. Une rafale de mitraillette tirée par Cherrouk crépite. Il replonge. La voiture s'arrête. Soustelle en sort pratiquement indemne. Chaque homme a, dans sa vie, un jour de «baraka». Pour Jacques Soustelle, ce fut ce jour-là. Ouraghi est ceinturé par la foule dans les couloirs de la station de métro Etoile. Cherrouk tire pour protéger sa fuite. Blessé, il est alors arrêté. Après la fusillade échangée avec les policiers, on relève un passant tué – Jean Pacaut – et trois autres blessés : Marcel Breton, Henri Martin et Jean Tardieu. Le jour même de l'attentat de l'avenue de Friedland, les cars de police sont systématiquement mitraillés, à Paris rue de Rivoli, à Vanves, à Issy-les-Moulineaux et à Boulogne-Billancourt. Un militaire est tué et deux autres blessés, rue Jean-Mermoz, à Joinville-le-Pont. A Metz, un capitaine de parachutistes est grièvement atteint. Le 21 septembre, le mitraillage des voitures de police se poursuit : à Villejuif, à l'Haÿ-les-Roses, à Aubervilliers. Tandis que les «groupes de choc» attaquent le commissariat d'Aulnay-sous-Bois, où un inspecteur est blessé, l'OS fait sauter des usines de caoutchouc de Kléber-Colombes et sabote le relais de télévision du Havre. Ce sont également deux éléments de la «Spéciale», deux femmes, Aïcha Aliouet et Marcelle X…, qui tentent le sabotage du poste émetteur clandestin de la DST, installé au troisième étage de la tour Eiffel. Cette action va soulever un tollé général d'indignation, présentant le FLN en France comme dirigé par «une équipe de terroristes». Les moins indignés lui dénient tout sens politique. «Voyez donc, ils ne respectent même pas le symbole universel et innocent de la Ville Lumière !» On omet de mentionner l'existence du relais radio spécial de la police au sommet du monument. De toute façon, la bombe à retardement est préparée par Chaïeb avec une charge calculée pour ne détruire que le poste, sans aucun risque pour la stabilité de la tour. L'engin est découvert avant qu'il n'explose. Les réactions de l'immigration Pour suivre de l'intérieur de l'organisation les résultats de l'offensive du 25 août, la désignation des DPI auprès de chaque wilaya s'avère une heureuse initiative. Le premier message parvient de la III : «Lyon, le 22 août 1958. Je suis bien arrivé ici après mon court voyage. Malheureusement le temps n'est pas clément : orages nombreux, mais de courte durée (entendez : rafles, perquisitions sans gravité). Nos amis vont très bien et s'occupent de moi en me faisant visiter la ville (entendez : le contact est pris avec le responsable local qui s'occupe de mon hébergement). Rien de particulier à te dire. Bien fraternellement. Signé : René». Ainsi, le 22, lorsque Abdelatif Rahal prend contact avec le chef de wilaya, il est très décontracté et ignore encore tout du déclenchement fixé au 25. Le 30, nouveau rapport : «[…] La réaction de la police est aveugle et désordonnée : rafles continuelles, contrôles d'identité en de nombreux points des villes, séquestrations, survols du territoire par les hélicoptères. La population civile se met de la partie (attaques de cafés algériens et d'Algériens isolés par des bandes de jeunes). Un Algérien tué hier, un autre blessé à Villeurbanne […]. Réaction des milieux français […] : progressistes, chrétiens, UGS approuvent l'action contre les installations […]. Les milieux réactionnaires sont ‘‘atterrés'' : même ici on n'est plus tranquilles. A quoi servent ces arrestations répétées de gens qu'on baptise ‘‘chefs'' […]. Signé : René». Le rapport de la wilaya IV (Nord et Est), signé par «François» (Mustapha Francis), établi après contact avec les chefs de amala et chefs de zone, donne une idée plus réelle de l'activité de l'organisation concernant sa principale mission : les forêts. Dans la amala du Nord, zone 2 qui couvre Lille, Roubaix, Douai et Valenciennes : un foyer dans chacune des forêts de Denain, Valenciennes et aux alentours de Courcelle, action qui passe totalement inaperçue, le responsable zonal l'ayant, à la suite d'une incompréhension, fixée dans la nuit du 23 au 24. Dans la zone 3 (Maubeuge, Charleville, Reims), les forêts des Ardennes sont visées à Fumay, Revain et Lousanville, de même que celles de Marmorale. Divers foyers d'incendie éclatent, contrariés toutefois en partie par la pluie. En amala de l'Est, la zone 1 comprend le territoire de Nancy, Thionville, Metz : la directive n'y arrive que quarante-huit heures avant la date d'exécution, et les principaux responsables viennent d'être appréhendés. Toutefois, une forêt à vingt-cinq kilomètres de Nancy, une autre près de Sainte-Marie sont visées, sans succès. Pour la première, une préparation hâtive et la pluie vouent le projet à l'échec. Quant à la forêt de Sainte-Marie, le groupe d'action est arrêté le samedi 23… alors qu'il se trouve précisément en inspection préalable sur les lieux. Tentative étouffée dans l'œuf ! La zone 2 couvre Strasbourg, Mulhouse, Belfort. Les responsables locaux vont concentrer leurs efforts sur un seul point : la forêt d'Héricourt ; deux cents litres d'essence sont stockés. Vu le manque de temps pour les préparatifs et aussi l'absence de lieu sûr, l'essence est conservée dans les réservoirs de deux voitures et des jerricans dans les coffres. Plusieurs foyers sont allumés en forêt, mais les résultats sont inconnus du rédacteur du rapport. Cependant, la réaction de la police est immédiate. Toutes les agglomérations «nord-africaines» sont aussitôt investies : «C'est ce qui empêche, explique le rapport, les auteurs de revenir sur les lieux incendiés pour établir un bilan réel des dégâts. Le jour même, vastes mesures répressives : le régional de Belfort et une vingtaine de cadres de niveau subalterne sont arrêtés… Ce qui prouve, à notre sens, que les dégâts ont été importants». Comme pour effacer son échec relatif, la amala du Nord décide une action d'envergure dans la nuit du 14 au 15 septembre. Quatre incendies sont allumés qui détruisent… du foin, de la paille et des récoltes. Exactement ce qu'il ne fallait pas faire, la Fédération ne tenant absolument pas à voir le paysan français se dresser contre l'immigration. Incompréhension ? Dépassement ? Transgression de directive ? On ne le saura jamais de façon précise. Karl, le DPI de la wilaya II, établit son rapport le 29 août 1958 après la tenue d'un conseil extraordinaire de wilaya. Il en ressort qu'un adversaire imprévu, le temps, réduisit à néant les efforts en amala 2. Dans cette circonscription, quatre groupes de deux militants chacun localisent à l'avance des points précis dans les forêts de Saint-Germain, Senlis, Chantilly et Compiègne. Ils s'y rendent à l'heure dite, allument consciencieusement les foyers et s'en vont. L'orage fait le reste. Sur l'étendue de la amala I, se trouvent les forêts de Fontainebleau, Sénart et Rambouillet. Trois groupes de trois militants chacun repèrent eux aussi les lieux à brûler et préparent les produits nécessaires. Au moment indiqué, les foyers sont allumés. Mais… «le bois était mouillé et la nuit il pleuvait à verse», précise le rapport. Néanmoins, l'essence répandue pour les foyers s'est totalement consumée !... Les hommes n'eurent à déplorer aucune arrestation, mais tout de même deux blessés à la suite de la… collision de leur voiture avec un motocycliste. Heureusement, la déveine de l'équipe n'a pas été totale puisque les blessés, qui auraient pu, sous les trombes d'eau de cette fameuse nuit, contracter une sérieuse pneumonie, ont été transportés en un lieu plus clément, par une voiture de passage, celle d'un touriste allemand !... Comme on le voit, les forêts de France n'ont pas eu trop à souffrir des bidons d'essence déversés par les militants du Front, bien moins que celles d'Algérie arrosées au napalm par l'armée française. Dans leur engagement enthousiaste, les groupes du nidham auraient aussi bien tenté de faire sauter un blockhaus avec une allumette. Mais le fait est là : la directive a été exécutée. Dans son rapport du 16 septembre 1958, «Marcel», qui évidemment ne pouvait dresser le bilan de l'incendie des forêts – la wilaya I couvrant Paris intra-muros – tire plutôt les conséquences politiques et psychologiques de l'offensive : «La totalité de l'émigration algérienne accueillit avec enthousiasme la nouvelle de l'action entreprise par nos fidayine durant la nuit du 24 au 25 août en territoire français. Ce fut d'abord pour nos frères – du militant de base au permanent – une surprise complète tant le secret fut bien gardé ! Certains virent en ces actions la suite logique de notre lutte pour l'indépendance (ceux-ci sont les plus nombreux) et souhaitent la poursuite de cette nouvelle forme de lutte ; d'autres y avaient déjà pensé sans trop y croire et sont aujourd'hui émerveillés – le mot n'est pas trop fort – par la synchronisation des actions et l'ingéniosité des fidayine ; d'autres enfin, très peu nombreux, voient leur désir de vengeance (né de l'assassinat de leurs parents en Algérie par l'armée colonialiste) satisfait. Le travail d'explication de nos militants transformera, chez ces derniers, leur sentiment en une vue plus réaliste, plus politique de cette nouvelle forme de lutte. Celle-ci répond donc maintenant au désir de tous nos frères». Traitant de la répression qui suivit, le rapport mentionne qu'elle «est des plus féroces. Les rafles monstres succèdent automatiquement aux attentats et des centaines de frères sont emmenés dans les centres de triage […] tels le Vélodrome d'hiver, le Gymnase, la salle Japy et l'hôpital Beaujon. Parqués là, ils subissent les discours en arabe et en français. Le 26 août, ils furent invités à crier ‘‘Vive la France'' et répondirent par ‘‘Vive le FLN'', ‘‘Vive la République algérienne''. De nombreux internés furent alors sauvagement battus. On parle de cinq morts des suites de sévices». Une bataille et non la guerre Evidemment, il n'était pas question – et le FLN n'en a jamais eu ni le désir ni les moyens – de soumettre tous les soirs le territoire français à une nuit du 25 août. C'était simplement une bataille, au cours d'une guerre de plus de sept ans. Après une offensive de quelques semaines, le but fixé par la Fédération paraissait relativement bien atteint. Quoi qu'il en soit, retenons cette date du 27 septembre, puisque des bilans officiels ont été établis jusque-là. Entre le 21 août et le 27 septembre 1958, ont été dénombrés 56 sabotages et 242 attaques contre 181 objectifs. Les opérations ont fait 188 blessés et 82 morts. Nombreux ont été les militants blessés ou tués les armes à la main, déchiquetés par leurs engins, abattus par les forces de répression ou assassinés sous la «question» arrêtés, condamnés puis guillotinés. C'est pourquoi, tout en dressant ce triste constat, pensant à toutes ces morts inutiles, fruits vénéneux de l'occupation coloniale l'on aurait voulu espérer que cette bataille fût la dernière, abandonner les bombes inutiles au plus profond d'un étang sans poissons, et dire avec Malek Haddad : La grenade a son temps mais le temps des cerises, celui que je préfère est encore celui-là. Hélas, le chef de l'Etat français refusa le rameau d'olivier tendu le 28 septembre 1958 par le GPRA qui proposait alors «une négociation sans préalable». Comme en Algérie, en France la grenade allait encore éclater. Les cerisiers n'avaient pas encore fleuri.