Un gros engin balaie le sol de la Piazza del Popolo. Au feu vert, des légions d'autos et d'autobus foncent à la manière farouche d'un animal sur une proie. A Rome, il y a aussi des cyclistes qui pédalent plus vite que d'ordinaire. L'air de Rome ce matin est vif. On se sent léger. On s'engage dans la vie del Corso où passe chaque jour toute la société romaine. Un groupe de touristes américains pachydermes et assoiffés sifflent debout sur le trottoir des litres de coca. D'autres savourent des gelatis. Des étalages de vêtements et de chaussures s'offrent dans les vitrines rutilantes ; les cravates romaines poussent le chic à son comble. Des saveurs odorantes s'échappent des restaurants qui ont sorti leurs tables sur le pavé : pasta, pizza bianca, pizza rossa, bibita... Bref, tout baigne à Rome, si ce n'était l'annonce terrible d'un accident sur la ligne A du métro. Un peu partout, indifférents à l'agitation colossale, des camelots tamouls tiennent des stands de marchandises diverses, des lunettes de soleil, des sacs, des gadgets. Quand il pleut, ils sortent des parapluies. Bref, l'argent coule à flots à Rome. Le pape a sans doute prescrit le commerce, le Vatican étant aussi une entreprise bancaire et commerciale richissime... Dans cette partie de Rome, il n'y a ni béton ni bric-à-brac. D'élégantes bâtisses de couleur rousse, d'apparence solides et cossues, sentant la réussite, le bon goût (Rome possède les plus belles entrées d'immeubles peut-être du monde), c'est ce qu'on voit partout, sauf évidemment dans les banlieues bancales. Au tout début de la Via del Corso, les affiches tapissant les façades du cinéma Métropolitan nous rappellent qu'on est à Rome pour la Festa du cinéma. Une salle où Nanni Moretti montre des films classiques en version originale. Le festival de Rome a choisi le Métropolitan pour les séances de presse. Une bonne partie du programme est ici accessible au public payant. Une file spéciale pour la presse épargne attente et bousculade. Une foule inaccoutumée stationne dans le hall. Les guichets sont pris d'assaut. Imaginez l'émoi d'un cinéphile romain quand on lui dit que la séance est « complète ». L'ambiance du Métropolitan est toujours « affollato ». Une chose est certaine, le premier festival de Rome s'est bien défendu sur la question du programme et de l'impact public et médiatique. Rien à redire une fois venue l'heure des comptes. On pensait à tort que la présence de Nicole Kidman allait mettre un label « people » à la manifestation. Au fil des jours, on voyait bien que c'est un label artistique et très populaire (tout d'un coup le Parco della Musica de Rome est devenu l'espace vital de milliers de cinéphiles accourus de toute l'Italie). De Scorsese à Tornatore, de Francesca Comencini à Otar Iosseliani, de Marco Bellocchio à Costa Gavras, de grands auteurs ont montré leurs films, des œuvres « locomotives » qui ont entraîné les 170 autres du programme, dont pas moins de 50 productions italiennes et d'autrres venues de Palestine, d'Egypte, de Georgie, de Turquie, du Japon, d'Arménie, de Corée du Sud... Au box-office, il y a eu des scores impressionnants. 56 000 billets ont été vendus. Le festival avait 23 écrans dans Rome, des cinébus et même un bateau de croisière naviguant sur le Tibre pour montrer ses films. Pour les enfants, une section spéciale Alice nella Citta a fait vider les classes. 2500 journalistes ont marqué de leur présence parfois houleuse les lieux de projection, et parmi eux 600 journalistes représentant les plus grands quotidiens étrangers. 300 vendeurs et acheteurs de films sont venus à Rome et les affaires conclues au marché (business street) furent fructueuses. A vivre ces belles journées romaines, dans l'ambiance festive, drôle, peu banale des hauts lieux du festival, on imagine bien que cette cité au charme inimitable et où furent créés les plus beaux chefs-d'œuvre du 7e art (La Dolce Vita, Mamma Roma, Roma, Citta aperta, Le Voleur de Bicylette, Otto et Mezzo) est bien partie pour avoir une grande Festa du cinéma. Une fille naturelle de Cinecitta.