Ce n'était peut-être pas l'intention de ses auteurs, du moins pas ouvertement déclarée, mais l'Administration américaine a apporté hier une certaine clarification dans les récents combats opposant depuis près d'une semaine l'armée turque aux éléments kurdes, ou encore à ceux de Daech. Le Pentagone se substitue rarement aux porte-parole officiels américains, mais il a décidé, hier, d'apporter sa propre lecture de ce qui pourrait être considéré comme un autre front, ou encore une autre guerre en Syrie. «Nous suivons de près les informations faisant état de combats (...) entre les forces armées turques, des groupes de l'opposition (pro-Ankara, ndlr) et des unités affiliées aux Forces syriennes démocratiques (FDS)», a ainsi indiqué l'institution américaine dans un communiqué publié hier. Elle se référait aux FDS, une alliance antidjihadiste soutenue par les Américains et dominée par les Kurdes, mais qui comprend également des combattants arabes. C'est bien la première fois que les parties engagées dans cette guerre sont clairement identifiées et cela ne semble nullement fortuit, car il s'oppose à un certain discours ou plus simplement aux thèses turques, et ce, d'autant plus que le Pentagone précise que «l'EI n'est pas présent au sud de Jarablos, cette ville syrienne dont il est question ces derniers jours». De telles précisions ont forcément éclipsé le reste du message dans lequel, relève-t-on, Washington a déclaré vouloir «clarifier que ces combats sont inacceptables et suscitent (sa) profonde inquiétude», souligne le texte, tout en précisant que «les Etats-Unis ne sont pas impliqués dans ces activités (...) ; nous ne les soutenons pas», appelant «toutes les parties armées à cesser (le combat)». Mercredi dernier à Ankara, le vice-président américain Joe Biden avait déclaré avoir dit que les forces kurdes «doivent retraverser le fleuve» et «n'auront, en aucune circonstance, le soutien des Etats-Unis si elles ne respectent pas leurs engagements». Le conflit syrien, qui a fait plus de 290 000 morts depuis son déclenchement en mars 2011, a encore gagné en complexité avec l'intervention turque. Ainsi, Ankara considère les forces kurdes syriennes comme des organisations «terroristes», bien qu'elles soient épaulées — en tant que forces combattant efficacement les djihadistes — par Washington, allié traditionnel de la Turquie. La Turquie a elle aussi apporté, hier, une autre précision en déclarant qu'elle continuera de viser les combattants kurdes dans le nord de la Syrie tant qu'ils n'auront pas reculé à l'est de l'Euphrate. Voilà donc les contours ou encore les causes de cette guerre dévoilée hier par le ministre turc des Affaires étrangères, au sixième jour d'une offensive des forces turques dans le pays voisin. Rappelant les propos du vice-président américain, il a souligné que «les YPG (Unités de protection du peuple kurde), comme les Etats-Unis l'ont promis et eux-mêmes l'ont déclaré, doivent repasser à l'est de l'Euphrate dès que possible, et tant qu'ils ne le feront pas ils (resteront) une cible». La Turquie, en conflit avec les Kurdes sur son propre territoire, est farouchement hostile à l'idée que les Kurdes syriens forment une ceinture continue le long de sa frontière. Elle y est attentive depuis que le régime syrien a décidé, en 2012, de retirer son administration de régions du nord syrien peuplées essentiellement de Kurdes. Ces derniers se sont engagés dans des combats contre les groupes extrémistes mais avec, en main, leur propre feuille de route. Et encore, puisque Ankara affirmait hier que «dans les endroits où ils se rendent, les YPG forcent tout le monde à migrer, y compris les Kurdes qui ne pensent pas comme eux, et procèdent à un nettoyage ethnique», ajoutant que la zone autour de la ville de Minbej, à l'ouest de l'Euphrate, récemment reprise par les YPG à l'EI, est majoritairement arabe. La situation y est donc extrêmement dangereuse. Comment alors se terminera cette guerre ?