Si la situation s'est terriblement complexifiée sur le terrain en Syrie, les alliances le sont sans doute davantage. En vérité, on ne sait plus qui est l'allié de qui, qui est l'adversaire de qui. La guerre de Syrie - est-il logique de continuer à qualifier ce qui se passe en Syrie de «guerre civile»? - a ainsi produit de nouveaux concepts quant à l'ennemi [l'adversaire] à combattre et l'ami [le partenaire] à protéger. Deuxième force militaire de l'Alliance atlantique, après les Etats-Unis, la Turquie est (reste) l'alliée la plus sûre de la superpuissance états-unienne. Ainsi, dans le contexte syrien, Washington et Ankara ont une vision identique quant à la nécessité de faire un sort au président syrien, Bachar al-Assad, exigeant l'un et l'autre son départ. Sans doute qu'aujourd'hui - avec les développements que connaît l'ancien pays du Cham - une telle exigence est devenue obsolète, en fait, sans objet. Mais là n'est pas le problème avec la multiplication des pôles et des acteurs de cette guerre, surtout avec l'implication directe des armées turque et états-unienne sur le terrain. Ainsi, Ankara a débuté depuis mercredi dernier une offensive militaire «Bouclier de l'Euphrate» dans le nord de la Syrie, franchissant ainsi le Rubicon, en opérant militairement sur le territoire d'un pays étranger. Cette opération est certes soutenue par ladite «Coalition internationale» et singulièrement par les Etats-Unis. L'opération «Bouclier de l'Euphrate» a pour objectifs déclarés de «nettoyer» la frontière avec la Syrie des jihadistes de Daesh (EI, l'autoproclamé «Etat islamique») et faire un sort aux milices de l'YPG [Yekîneyên Parastina Gel, Unités de protection du peuple, branche armée du PYD, Partiya Yekîtiya Demokrat, Parti de l'Union démocratique] que la Turquie estime comme lié au PKK [Partiya Karkerên Kurdistan, Parti des travailleurs du Kurdistan, qui combat pour l'autonomie du Kurdistan turc depuis 1984] qu'Ankara considère comme une organisation terroriste. Donc, pour la Turquie PKK et PYD sont les ennemis à abattre et le président Erdogan - qui annonça lui-même mercredi le début de l'opération - est décidé à éliminer définitivement ce qu'il estime comme une menace pour la sécurité de la Turquie. Aussi, sous couvert de lutte contre l'EI c'est surtout les Kurdes de l'YPG et du PYD - des terroristes selon Ankara - qui sont visés. Cette opération de «nettoyage» est soutenue par Washington et ses alliés de la «Coalition internationale». Or, il y a comme un défaut. En effet, si l'armée turque a pénétré en territoire syrien mercredi dernier, les «unités spéciales» états-uniennes s'y trouvent depuis mars dernier et opèrent sous couvert des Kurdes des YPG (ennemis déclarés de la Turquie), dont ils portent les uniformes et les insignes. Ce qui avait d'ailleurs outragé Ankara qui ne manqua pas de demander des explications à son allié états-unien. La posture états-unienne dans cette affaire est moins qu'innocente, qui aide et conseille les YPG qui «combattent efficacement» les jihadistes de l'EI (dixit le porte-parole du Pentagone) tout en soutenant une opération contre ces mêmes, «amis» si efficaces. Sous certains aspects, la position de la Turquie sur le dossier kurde, apparaît dialectique. L'est-elle en réalité? Dans la lutte contre Daesh, il y a deux fronts: le front syrien et le front irakien. Or, sur ce dernier, Ankara qui travaille main dans la main avec les Kurdes irakiens - frères des Kurdes turcs et syriens - lesquels ont créé un Etat dans l'Etat en Irak, appréhende par-dessus tout que les Kurdes syriens en fassent de même dans le nord de la Syrie, où des structures semi-autonomes ont été installées. Toutefois, il y a lieu d'admettre que la main droite d'Erdogan, qui coopère avec les Kurdes irakiens, ignore ce que fait sa main gauche qui combat les Kurdes syriens. D'ailleurs, de durs combats ont opposé samedi et dimanche derniers les unités de protection du peuple kurde (YPG) aux soldats turcs. En vérité, dans cette guerre imposée à la Syrie rien n'est logique ni évident. Dans cet imbroglio kurde, les Etats-Unis écartelés se sont mis dans une position fausse entre leur aide aux Kurdes syriens, devenus ennemi numéro un de leur alliée traditionnelle la Turquie. Et la France - une autre alliée et partenaire de la Turquie - qui met en garde Ankara contre «toute tentative» de régler la question kurde. Complexe la situation en Syrie? Il faut poser la question à ces stratèges géniaux qui décidèrent un jour d'installer à Damas un pouvoir vassal à leur dévotion. Quitte à détruire un pays berceau de la civilisation humaine, à mettre en danger l'existence des ethnies qui le peuplent. Sans doute trivial, mais encore une fois la preuve nous est administrée que «la raison du plus fort est toujours la meilleure».