V oilà donc la Turquie en train de mener sa guerre en Syrie, contre les Kurdes, internationalisant de fait ce conflit, déjà bien difficile à appréhender et encore plus complexe dans son approche. On est donc passé d'une phase, celle d'une opposition syrienne contre le régime de Bachar Al Assad qui a fini par prendre les armes, malgré les réserves, voire la totale opposition de certaines de ses composantes, notamment l'opposition dite de l'intérieur, à une guerre dite civile avec la présence de centaines de groupes – ainsi recensés par l'ONU – d'extrêmistes qui ont totalement éclipsé la rébellion. Ce fut aussi la première grande opération du régime envers les Kurdes syriens, puisqu'il faut les appeler ainsi, car les Kurdes vivent aussi en Turquie, en Irak et en Iran. Le retrait de son administration du nord du pays n'est pas un geste envers la communauté kurde qui en prit le contrôle avant de l'étendre à d'autres territoires, mais plutôt une ruse de guerre qui a fait réagir la Turquie qui a dit son opposition à l'émergence d'une autorité kurde. Elle est même passée aux actes il y a une semaine, après un discours sur une nouvelle vision du conflit syrien. Depuis ce jour, la Turquie s'est engagée dans ce qu'elle considère comme le nettoyage de sa frontière, sauf que cela ne vise pas uniquement les membres de l'EI. Le Premier ministre turc, Binali Yildirim, a démenti hier les allégations de médias occidentaux, selon lesquelles Ankara se concentrait sur les Kurdes, au troisième jour de son intervention en Syrie, parlant d'un «mensonge éhonté». La Turquie a envoyé hier quatre nouveaux chars dans la localité syrienne de Jarablos, libérée cette semaine par les rebelles soutenus par Ankara, qui considère le PYD, principale milice kurde de Syrie, et son aile militaire, les YPG, comme des organisations «terroristes», mais dit agir à la fois contre les milices kurdes et les djihadistes de l'EI. Son artillerie a bombardé des combattants kurdes dans le nord de la Syrie, accusant ceux-ci de ne pas respecter un accord passé avec les Etats-Unis sur leur retrait. Plus tôt, jeudi, la Turquie avait envoyé un nouveau convoi de blindés en territoire syrien, au lendemain d'une offensive éclair des rebelles syriens qu'elle a soutenus et qui a permis de reprendre au groupe Etat islamique la localité de Jarablos, près de la frontière. Avec cette opération, la Turquie vise aussi à stopper l'expansion kurde à sa frontière, alors que le Parti de l'union démocratique (PYD), principale milice kurde de Syrie, qui bénéficie du soutien militaire américain, élargit ses territoires, en reprenant sept villages à la faveur du retrait de l'EI. Les forces turques ont ouvert le feu sur les hommes du PYD jeudi en fin de journée, après que les services de renseignement aient remarqué qu'ils progressaient sur le terrain en dépit d'une promesse des Etats-Unis, selon laquelle ils allaient reculer. L'on apprenait aussi que l'intervention turque se poursuivrait tant qu'ils n'auraient pas entamé leur retrait. «Nous allons faire en sorte que le PYD ne remplace pas Daech dans cette zone», a dit à ce sujet le ministre turc de la Défense Fikri Isik. Le vice-président américain, Joe Biden, qui s'est entretenu avec les dirigeants turcs mercredi à Ankara, a mis en garde les Kurdes de ne pas franchir l'Euphrate, comme le réclame la Turquie. Il avait indiqué à Ankara que Washington avait clairement demandé aux YPG de ne pas aller à l'ouest de l'Euphrate. Quant au secrétaire d'Etat, John Kerry, il a indiqué à son homologue turc, Mevlüt Cavusoglu, que «les forces YPG/PYD sont en train de se replier vers l'est de l'Euphrate», selon un communiqué des services du ministre turc. Mais selon Rami Abdel Rahmane, directeur de l'Office syrien des droits de l'homme (OSDH), «il y a eu une petite partie des FDS (alliance de Kurdes et d'Arabes) qui s'est retirée à l'est de l'Euphrate», mais que «le gros de ces forces est encore à l'ouest». Par cette opération militaire qui a permis d'enlever en quelques heures Jarablos aux djihadistes, Ankara entend atteindre deux objectifs : mettre fin à la présence de l'EI et stopper l'avancée kurde. C'est donc un nouveau front qui ajoute à la complexité du conflit syrien. Les efforts de paix n'ont jamais été aussi intenses, mais sans réel progrès.