Ce 1er septembre marque le premier anniversaire de la disparition du pionnier et du père de la musique raï, le rossignol des années 1960, l'auteur mythique de Gatlek Zizia, Lahaoulouni ou encore Milouda Fin Kounti. En 2015, Bouteldja Belkacem décédait des suites d'un cancer. Il avait 64 ans. Belkacem Bouteldja, né le 5 avril 1951 à Oran, est ce jeune loup qui, à peine âgé de 13 ans, avait commis un lèse-majesté. Il avait détrôné la reine d'alors du raï rural, la diva Cheikha Rimitti. C'était le 11 décembre 1965. Un adolescent à la voix «féminine» avait publié son tout premier 45 tours qui va révolutionner la musique oranaise. Sur la face A figure le titre Gatlek Zizia, sur la face B Lahaoulouni. Un succès à Oran, Relizane, Sidi Bel Abbès, Béchar, Mascara, Tlemcen, Maghnia, Aïn Témouchent… Dans toutes les villes de l'ouest de l'Algérie. Mais avec Milouda, en 1966, ce sera un succès phénoménal national. Cheikha El Ouachma, une grande chanteuse de l'époque surnommera Belkacem «Joselito». «Moi, je suis un fils du peuple, de la rue, d'El Hamri» Dans un enregistrement sonore inédit, Bouteldja Belkacem s'était rappelé : «J'ai été découvert par Brahim Feth. Mon premier disque c'était chez son label Editions El Feth. Un succès fou. J'avais modernisé un peu la mélodie avec l'âme de la gasba (la flûte), les violons, l'accordéon, l'oûd, la derbouka, le tambourin… Après, j'ai sorti d'autres disques. Comme Sid El Hakem chez Editions Kawakib à Alger, Casaphone à Casablanca (Maroc), Nouvelle Vague à Oran, La Voix du Globe, Lahn Djazaïr et Editions Chandor à Paris en 1968. J'ai vécu à Paris quelques années. Le raï ne passait ni à la radio ni à la télévision à l'époque en 1965. J'ai été même convoqué par un ministre de la Culture de l'époque… Mon inspiration, mes chanteurs préférés de l'époque étaient Abdelhalim Hafez, Brahim El Alami, mes maîtres Ahmed Wahbi et Blaoui Houari, Ahmed Saber, Otis Redding James Brown… Ahmed Wahbi venait rassurer mes parents pour l'accompagner dans les mariages et les galas. J'avais 15 ans et j'étais une star. J'avais des gardes du corps de la ‘‘houkouma''(de l'Etat) auxquels j'ai refusé de me suivre. Moi, je suis un fils du peuple, de la rue, d'El Hamri…» Bien que Belkacem Bouteldja soit un teenager de 14 ans, en 1966, il sort Milouda, qui sera repris par la suite par la diva Cheikha Rimitti, Mohamed Mazouni, Gana Maghnaoui, Mazouzi… Une chanson très triste, évoquant le drame et la détresse humaine des filles mères face à l'inquisition et l'intolérance de la société. Nous sommes en 1965. Il brisera un tabou. Puis, ce fut la belle aventure du raï, en 1974, avec l'homme à la trompette d'or, Messaoud Bellemou de Aïn Témouchent. Le tandem gagnant Belkacem Bouteldja - Messaoud Bellemou. «J'ai commencé à travailler avec Bellemou 1973-1974. Il était venu me voir à Oran. Il m'a invité à un mariage à Aïn Témouchent. Premier coup d'essai, premier grand succès. On évoluait comme ceci : deux trompettes (Bellemou et Mimi Temouchenti), deux tbals (djembe), karkabou et moi au chant et la derbouka. Après, accessoirement, Bellemou s'est mis au saxophone et Mimi Temouchenti à l'orgue. On avait appelé cela ‘‘pop raï''. C'est grâce à nous ! On animait des mariages à Beni Saf, Hassi Ghella, El Amria ou encore Oran. Et ce fut l'explosion du raï avec Zerga ou Mesrara ; Hadi Hiya Wahrania, Raï Rayi…» «Je ne regrette pas ce passé» Belkacem Bouteldja aimait répéter cela avec un sourire en coin : «Je n'ai pas étudié. Je ne sais pas lire le solfège. Je ne sais pas écrire. Mais j'avais un don. Celui de Dieu. Je ne suis pas un chanteur de studio, mais de scène. Je ne regrette pas ce passé. J'ai vécu une belle aventure. Mon nom ne mourra pas, même si je meurs. Quand je mourrai, il y aura des gens qui parleront de moi, qui se souviendront de moi, qui prieront Dieu pour moi…» En 1985, lors du tout premier Festival du raï d'Oran, il avait reçu le premier prix, un accessit anachronique saluant la paternité du raï. Car la star de l'époque, c'était Cheb Khaled. Quelques jours avant sa mort, Bouteldja Belkacem, dans une profonde amertume et détresse humaine, nous avait crié son déchirant désarroi avec pudeur et sans misérabilisme : «Je n'ai rien. Je ne possède absolument rien… Je suis un Algérien, mais je ne suis pas un ‘‘Algérien'' ! Un Algérien que de nom. Je n'ai rien du tout. Abandonné ! Oublié ! Je suis abasourdi. Si je suis d'une autre nationalité, il faut me le signifier et me laisser partir dans mon pays. J'ai toujours aimé ce pays. Je suis né en Algérie que je sache. Un pur Algérien. Et je n'ai aucun droit ? Je n'ai jamais voulu quitter l'Algérie pour m'établir en France ou ailleurs, et ce, malgré les occasions, les propositions et les offres alléchantes à l'époque (dans les années 1960 et 1970). Je suis victime d'une injustice (rani mahgour, en arabe dialectal). Pas une once de considération. Sans prétention aucune, c'est grâce à moi que la musique raï est devenue mondiale. Grâce à mon nom. Pourquoi dois-je mériter un tel traitement en mon pays ? Vous savez, mes soins nécessitent une prise en charge, mais je n'ai personne pour me prêter assistance. Je suis seul, sans ressources. Je n'ai ni retraite, ni pension, ni carte Chifa, ni assurance, ni couverture sociale. Je n'ai pas d'enfants qui travaillent. Et cela dure depuis 46 ans. Je ne vis pas de la musique raï depuis longtemps…» Générosité des voisins C'était une note testamentaire. Actuellement, sa femme est handicapée motrice (suite à une erreur médicale) -un calvaire pour la déplacer au 3e étage. Où la famille Bouteldja réside, on ne ferme pas la porte de l'appartement à clé. Son épouse ne peut l'ouvrir. Hormis, une petite aide annuelle (ou semi-annuelle) de l'ONDA, la veuve Bouteldja n'a ni retraite, ni salaire, ni pension, ni une autre aide. Ce sont les voisins, des âmes charitables forçant le respect, qui subviennent aux besoins de cette famille. En temps réel, la famille de Bouteldja Belkacem avait reçu une lettre personnelle de condoléances émanant du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, où il rendait hommage à la légende du raï : «J'ai appris avec peine la nouvelle du décès de l'artiste de renom qui laisse un grand vide parmi ses compagnons, ses confères et toute la famille artistique algérienne. La disparition de Belkacem Bouteldja est une grande perte pour notre scène culturelle et artistique, notamment pour la chanson raï qu'il a sublimée et élevée au rang de la mondialité.»