En 365 après J.-C., un prince berbère du nom de Firmus décide de déclarer la guerre à Rome et marqua à jamais son nom dans l'histoire après avoir défié l'empire. Le château de Petra, la raison du conflit, a été découvert récemment à Seddouk, dans la wilaya de Béjaïa. El Watan Week-end revient sur les traces de cette belle histoire d'une famille kabyle qui avait défié l'impensable. C'est l'une des plus importantes découvertes de ruines historiques faites à Béjaïa : la forteresse du fameux général Firmus, un prince berbère de la Kabylie qui avait conduit l'une des plus grandes insurrections en 365 après J.-C. contre l'empire romain qui dominait encore l'Afrique du Nord. C'est son château, le château de Petra, qui a été découvert près de Seddouk dans la vallée de la Soummam, à l'entrée de la wilaya de Béjaïa. L'histoire remonte à 2014, lorsque les habitants de cette région ont signalé l'existence de ces ruines aux Chinois qui réalisaient les terrassements de la toute nouvelle autoroute qui doit relier l'autoroute Est-Ouest par la commune d'Ahnif (Bouira) à la wilaya de Béjaïa. Le ministère de la Culture et celui des Travaux publics ont dégagé, sur le fait, une équipe d'archéologues afin de s'enquérir de la situation. Arrivés sur les lieux, ces derniers ont trouvé les fouilles déjà entamées par les habitants qui avaient découvert, jusque-là, les escaliers de l'entrée du château. L'autoroute a donc été déviée et les fouilles réalisées en partie permettent aujourd'hui le repêchage d'une partie considérable du château de Firmus. Mais qui était donc ce Firmus ? Et comment a-t-il réussi sa révolte contre les Romains ? Pour le savoir, vous n'aurez pas besoin de parcourir des kilomètres. Il vous suffit juste de faire quelques pas à M'cisna, une commune de la daïra de Seddouk. C'est là que nous avons rencontré l'un des plus grands passionnés de l'histoire de cette région, Mouloud Tahdjerit, 63 ans, retraité du secteur du bâtiment et ancien enseignant de la langue française dans une école primaire de la région. Lui, il connaissait beaucoup de choses sur Firmus, sa famille et la bataille suicidaire qu'il avait menée contre l'Empire romain avant même la découverte des ruines. Thénia Visiter les ruines avec Dda Mouloud, comme beaucoup l'appellent ici, c'est comme faire un voyage à travers le temps. Il raconte que Firmus fut le prince et le fils d'un roi berbère, de la famille Nubel (Nuvel), une famille romanisée, selon les historiens. Flavius Nubel, des Jubalini ou les habitants originaires de la vallée de la Soummam, était le nom de son père, le roi. Il raconte aussi que le royaume de ce dernier dans la Maurétanie césarienne, désignée par les historiens comme l'Algérie centrale et occidentale actuelle, s'étendait de la Kabylie, l'Algérois, Cherchell, Tiaret jusqu'à l'Ouarsenis. Mais son château, qui contrôlait l'entrée vers la Kabylie, est construit à Thénia (Boumerdès), appelé Ménerville pendant l'occupation française, connue jusqu'aujourd'hui en Kabylie sous le nom de Thizi Nath Aïcha. Le roi Falvius Nubel avait 7 enfants dont 6 garçons, Firmus, Dius, Mazucan, Mascezel, Gildon et Sammac et une seule fille, Kyria. Firmus était son aîné et le prince qui habitait son château. «C'est Ammien Marcellien, un guerrier romain, qui avait fait connaître cette famille pourtant méconnue de l'histoire, explique Dda Mouloud. C'est lui qui avait écrit sur le château de Petra et la bataille menée par Firmus contre les Romains car il y était lui aussi. Il avait combattu Firmus du côté des Romains et il avait tout raconté dans ses mémoires. Ce sont ses écrits repris aujourd'hui, entre autres par Mouloud Gaïd dans son livre Béjaïa est sa région depuis l'antiquité jusqu'en 1954 qui nous ont éclairé sur cette partie de l'histoire.» Affaibli, Falvius Nubel décide de partager ses terres à ses enfants. L'un a pris Tiaret, l'autre l'Ouarsenis, Cherchell et Sammac, le cadet des garçons a pris, quant à lui, le château de Petra, sur cette partie de la vallée de la Soummam. Romanus Cet héritage avait bien fait saliver certains, dont le comte d'Afrique du Nord, Romanus, qui avait, selon Dda Mouloud, des connivences avec Sammac. «Ce rapprochement n'avait pas plu à Firmus qui savait que le comte romain complotait pour prendre la place de son père. Firmus s'était donc déplacé pour raisonner Sammac. Il lui avait dit que l'héritage lui revenait de droit, car non seulement il était le général de l'armée du roi Nubel, mais aussi son aîné et son fils légitime, car Sammac, lui, était le fils de l'une de ses concubines. Mais Sammac ne l'avait pas entendu de cette oreille», assure Dda Mouloud. C'est ce moment là de l'histoire qui avait marqué le tournant pour le royaume de Flavius Nubel et sa famille. Devant le mutisme de son frère, Firmus décide donc d'assassiner Sammac et finit par récupérer le château de Petra. Devant la ruse et les relations fortes qu'entretenait le comte Romanus avec Rome, Firmus n'avait pu expliquer aux responsables de l'empire les raisons qui l'ont poussé à tuer son frère. Sachant ce qui l'attendait, il décide finalement de déclarer la guerre aux Romains. «Ammien Marcellin avait dit que Firmus n'avait aucun choix, hormis celui de prendre les armes, mobiliser son clan et se soulever contre Rome», se justifie Dda Mouloud. Pour y parvenir, le général Firmus a dû donc mobiliser les 5 tribus décrites par les historiens comme étant «les tribus qui se battaient sans jamais se soumettre». «Les historiens disent que la confédération de ces tribus existait avant 160 après J.-C., mais les Romains ignoraient leurs noms jusqu'à 365 après J.-C. quand elles ont relié la cause de Firmus», raconte Dda Mouloud. Théodose l'Ancien On cite Ath Ghobri, la tribu d'origine de Sidi Ahmed Ou El Kadhi, le fondateur du royaume de Koukou au début du XVIe siècle, Ath Fraoussen et Ath Irathen du côté de la grande Kabylie et Ifnayen et Imcissen, l'actuelle M'cisna, de la Petite Kabylie dont est originaire Dda Mouloud, pas loin du lieu où se trouvent les ruines du château de Petra. La guerre était donc déclarée entre Firmus et les Romains. Elle avait duré 10 ans, selon Dda Mouloud. Les Romains, dirigés par l'un des meilleurs généraux de l'armée romaine, Théodose l'Ancien, avait pénétré les terres berbères par Jijel. Ce dernier n'était pas seul, car il a été épaulé par le propre frère de Firmus, Gildon, qui était encore en formation militaire à Rome. Dda Mouloud raconte que la guerre était sanglante. Alors que les autres frères de Firmus, Dius, Mazucan, Mascezel, ainsi que leur sœur Kyria étaient du côté de leur frère aîné, Gildon n'était d'aucune pitié contre les siens. Les historiens disent qu'il avait même assassiné les enfants de son frère Mascezel. «Nous n'avons pas la certitude que Gildon avait trahi, car nous ignorons encore toute l'histoire. Ce que nous savons, c'est qu'il a été envoyé par son père se former militairement chez les Romains. Et il se trouve qu'il était encore militaire quand Firmus avait déclaré la guerre à Rome. Je pense qu'il n'avait pas d'autre choix que de combattre du côté des Romains, car il ne pouvait déserter l'armée romaine», tente d'expliquer Dda Mouloud. M'cisna Firmus fut vaincu par Théodose l'Ancien et sa famille anéantie. Ses frères ont été tués au combat. On raconte que Mazucan, qui était pris au piège par les Romains, s'était taillé les veines pour ne pas finir dans leurs geôles. Leur père, Flavius Nubel, est mort en 372 ap J.-C. Le château a été, quant à lui, complètement rasé par Théodose l'Ancien la même année. Quant à Firmus, qui s'était réfugié pendant quelques années pas loin de M'cisna, dans un village caché par les montagnes qui entourent la région, il avait fini par se suicider en 375 ap J.-C. Remblayé par les terres au fil des années, le château de Petra a fini par être sauvé par les siens 17 siècles après sa démolition par l'armée romaine. Ali Hamlaoui, 34 ans, est l'un des activistes associatifs de M'cisna qui tiennent à ces vestiges et à l'histoire de leur région. Originaire de Tighermine, l'un des villages de la commune de M'cisna, il «appelle l'Etat à fournir plus de moyens afin de préserver ce site historique qui manque encore de considération des pouvoirs publics». «Ce site n'est pas entouré par un grillage et n'est même pas gardé. Ce sont les habitants de la région qui le préservent et qui s'y déplacent à chaque fois qu'ils voient des gens traîner ici, s'indigne Ali Hamlaoui. Nous souhaitons, au nom de tous les habitants de la région, qu'il y ait une volonté politique pour poursuivre les fouilles, préserver le site et faire connaître l'histoire de notre région. Le château de Petra peut devenir une destination touristique en Algérie et peut aussi booster le tourisme dans la vallée de la Soummam.