Mon amour des mots remonte à une période enfouie dans mon enfance, où en saltimbanque étourdie, j'effeuillais la bibliothèque familiale. Mais ma passion pour l'écriture a germé sur les bancs de l'école. D'une graine plantée sous forme d'un jeu littéraire par mon enseignante de français de l'époque, Madame A. Ce jeu consistait à choisir dans un dictionnaire et de manière aléatoire, une trentaine de mots qu'il nous fallait ensuite associer deux à deux et dont l'appariement devait donner naissance à un troisième mot, par exemple : «gidouille» et tête» enfantaient d'une « hypnose » et ainsi de suite, jusqu'à l'obtention, au final, d'un arbre dichotomique aux rameaux lyriques, que nous devions, chacun, replanter dans la terre de notre imaginaire et faire croître en un texte de notre propre invention! C'était merveilleux ! En plus d'explorer à pas de fourmi, l'espace démesuré d'un Larousse cent fois écorné, de créatures, nous devenions créateurs… Combien d'histoires échafaudâmes-nous… plus que je ne puis compter ! Là, tout devenait possible, dans une maison sans toit, des rideaux bavards cachant des cafards héroïques, se transformaient en fontaines de jouvence, où nageaient les corbeaux, tapis dans les maquis, des nymphes ventrues avalaient les serpents à sonnettes pour pouvoir chanter en hiver, des enfants magiciens jouaient en riant dans un jardin hanté bordé de sycomores bleus... J'émoussais ce nouveau sens que je découvrais, sur toutes les feuilles et tous les cahiers qui échouèrent à mes pieds. Environ à la même époque, notre enseignante d'Histoire, Madame B., nous avait conseillé de collecter des articles de journaux pour nous tenir au courant de l'actualité. Au lieu de ça, l'écriture fut ma mémoire du monde. Au travers d'un journal tenu de mes 11 ans à aujourd'hui, je peux me souvenir de la peur que je ressentis lors du grand séisme et du bruit que fit la terre en tremblant ce jour de mai 2003, me rappeler mon incompréhension après l'assassinat du jeune Massinissa Guermah et nos têtes de gamins tristes portant des banderoles de deuil sur lesquelles étaient inscrits, lettres blanches sur fond noir, des slogans que nous saisissions à peine, mais qui faisaient écho aux contestations de ces philosophes des Lumière avec qui nous allions bientôt faire connaissance par le biais de leurs encyclopédies et de leurs contes à peine déguisés. Je peux me remémorer les amours enfantines, les amitiés qui ne pouvaient qu'être grandissantes et que le passage entre deux lignes rendait immortelles mais toujours en trame de fond, constater qu'il y avait des routes que nous n'empruntions pas, des lieux où nous ne nous rendions pas et que du ciel, on pilonnait constamment les montagnes... Je peux suivre à la lettre, la métamorphose d'une fillette dans une société tristement patriarcale apprenant des combats de Beauvoir, Mokeddem ou Camus, je peux observer l'évolution d'un microcosme ancré dans l'univers, la course folle des astres derrière le soleil et des années plus tard, en rire et en pleurer. Tout me traverse, s'imprime en moi et vient de là. Ma mémoire du monde est née sur un banc d'école.