Malek Alloula et Malika Mokkedem ont tenu en haleine une assistance curieuse venue, samedi, écouter les confidences de chacun de ces écrivains à part entière. Au-delà de l'exil géographique, l'exil intérieur est encore plus féroce, plus douloureux. Mais comment le vit-on quand on est écrivain? Un thème que Sofiane Hadjadj, responsable des éditions Barzakh, a choisi pour débattre lors d'une table ronde animée samedi dernier au Sila avec deux éminents écrivains algériens. Deux écrivains de sexe différents, deux univers et deux styles d'écriture. Si pour Malika Mokkedem, cet exil presque forcé a conduit à la rupture car nourri de colère envers sa famille, celui de Malek Alloula (frère de Abdelakder Alloula) s'est fait graduellement, sans heurt. Pour ce normalien, né en 1937, cette distance avec le pays natal a suivi un processus, un cheminement au fur et à mesure alors qu'il est parti en France, d'abord, pour présenter une thèse sur Diderot à la Sorbonne, ensuite pour travailler dans l'édition. «Je n'ai pas l'impression d'avoir quitté l'Algérie après mes retours à Oran dans mon espace familial. Mon exil a été à voix basse». Le poète qu'il est dira avoir porté deux casquettes durant son parcours: l'une due à son travail chez un éditeur qui l'a mis en face de textes à rendre lisibles et publiables et ce travail d'écriture tacite, en amont ou en filigrane avec un biorythme de cinq textes par an. «Ma pratique de l'écriture était secrète par rapport à mon travail professionnel et de par mon tempérament flegmatique, il fallait vairé cette ambiguïté» a t-il confié. Ecrire et s'affranchir de son métier est souvent dur en effet quand c'est celui-ci qui vous maintient en survie. «Par la suite, j'ai développé une sorte de creusement dans la chair des mots», dira à juste titre Malek Aloulla, bien différent de Malika Mokkedem par le tempérament mais proche paradoxalement car partageant ce même désir des mots. Leur présence ensemble à ce pupitre n'était pas fortuite croyons-nous, car tout deux ont dû exercer un premier métier avant de se lancer dans cette aventure qui les rassemble au fond et confirme qui ils sont. Deux écrivains que tout semble éloigner mais dont les nuances de la vie et les branchements sinueux de leur carrière bien que différents ont amené à un point commun: l'écriture. Mus par cet esprit d'exigence certain pour les mots, l'un comme l'autre a dû un jour se faire violence, ce périlleux choix de se lancer dans l'écriture pour soi, non pas comme une tentative expérimentale mais jouissive et subordonnée à cet extraordinaire désir d' «être». Cette exigence pour la poésie et la prose pour l'autre les a en tout cas toujours habités. Sur un plan plus thématique, si la contestation s'est voulue «souterraine» chez Malek Alloula en raison de sa vie «ordonnée et en osmose avec sa famille», chez Malika Mokkedem elle a été plus virulente car cette femme a très tôt éprouvé le sentiment de se révolter contre un ordre établi caduc. «On écrit que ce qu'on connaît déjà». Aussi Malek Alloula confirme cet adage en faisant remarquer sa réappropriation de lui-même dans ses récits, tout en ajoutant: «On ne peut pas écrire de l'autobiographe sans qu'il y ait de la fiction.» Interrogé sur son passé, il est évident pour Malika Mokkedem qu'elle n'aurait pas écrit de la même façon si son enfance avait été autre mais son «exigence» envers elle-même et surtout envers ces écrivains qu'elle a lus n'aurait pas souffert d'un iota. «De toute façon cette exigence dans l'écriture je l'avais en moi. Je ne pense pas que je serai restée là bas. Passer par le biais du médecin que j'étais au départ à plein temps m'a permis cette aisance, ce n'est qu'au moment où j'ai pu travailler dans le libéral que j'ai pu enfin me consacrer à l'écriture. Il a fallu d'abord m'assurer de pouvoir subvenir à mes besoins et c'est à ce moment-là que j'ai sauté le pas. Ma place c'était de déranger», fera remarquer l'auteur de Mes Hommes avec le sourire. L'auteur de nouvelles Le cri de Tarzan (Barzakh 2008) a révélé pour sa part que la prose n'est pas moindre que la poésie, car il a fallu pour lui «trouver un biais qui établirai presque une équivalence de la poésie dans la prose». Ecrire, pourquoi et comment donc? Pour Malika Mokkedem qui a dû quasiment fuir très tot son espace familial à Kenadsa (Béchar) et se libérer de ce carcan étouffant, lire et écrire devenaient une thérapie, un exutoire. Ajouté à cela, son tempérament explosif, elle la «boulimique de littérature» comme elle, s'est plu à se définir, se devait d'aller humer l'ailleurs pour se sentir enfin exister. «Dans ce monde au bord de l'abîme, l'écriture a permis de transformer cette véhémence qui est en moi et qui aurait pu être destructrice, je m'opposais à la violence que je subissais ou que je taisais en moi par l'humour grinçant grâce à la littérature et l'écriture. Les mots des autres m'ont sauvé. Et j'en injecte aujourd'hui les miens». Belle conclusion et quelle belle déclaration d'amour à la vie que cette leçon de courage et de témérité donnée ici par cette femme que d'aucuns jugeraient effrontée car tout simplement vraie et authentique. Une «femme véritablement à part entière», comme l'a souligné Lazhari Labter en saluant largement le talent de cette femme comme il y en a très peu hélas chez nous.