Depuis sa prime enfance, Fatma Zohra Bouaouni, avait ce tempérament de gagneuse, de rebelle sur les bords, de réfractaire à l'ordre établi pictural. Alors qu'elle n'a à peine que 4 ans, elle esquissera son tout premier dessin sur… les murs de sa maison, à Blida. Une femme aux généreuses rondeurs. Elle continuera à s'adonner au dessin aux traits oniriques sur les bancs de l'école. «Je dessinais une princesse, des gâteaux, des oiseaux, des fées… Je garde toujours ces dessins. C'est une joie. Le dessin m'a toujours accompagné bien plus tard», se souviendra-elle. Toujours quelque chose à griffonner même au lycée Ibn Rochd et Abane Ramdane de la ville des Roses, lors du cursus universitaire. Alors que son père voulait qu'elle fasse anglais, Fatma Zohra, ne se refaisant pas, voulait être… juge. Juriste, elle verse dans l'art Aussi a-t-elle décroché une licence de sciences juridiques et d'administration. Tout en perpétuant sa passion picturale. Des croquis, des esquisses au crayon, à la gouache, à l'aquarelle… Des natures mortes mais «vivantes» de par leur couleur. La tonalité, la couleur, pour Fatma Zohra, sont un parfum, une essence… comme son prénom initial : Yasmine. Le jasmin. Une autre fragrance incarnée par Fatma Zohra. D'où la toile intitulée La Vendeuse du jasmin. «Le jasmin, pour moi, est une fleur sacrée.» Après six ans au barreau, elle exerce depuis à la Sonatrach. 8h-16h ! Dans un carcan routinier. C'est un ami à elle, Djaâfar Ould Rouis, philosophe à ses heures, qui l'encouragera à se «réinvestir» dans la peinture. «Je peignais les week-ends. J'ai repris goût à l'art plastique. C'était un défi, une mission… Je m'inspirais de photos. Je voulais du rêve, de la magie. J'étais décidé à faire une exposition. Mon entourage ne me croyait pas. Je voulais partager cette passion. Sortir du hobby. Le déclic sera la rencontre avec Dounia. Je lui proposais un projet commun. Un rouleau de toile rare G7 offert par cet ami, un pinceau et des plans pas du tout sur la comète. Je commençais à rêver. Le ministre de la Culture, Azzeddine Mihoubi, nous avait reçues Dounia et moi. Et il nous a encouragées à exposer, à persévérer.» SACREE UNION Du coup, Fatma Zohra et Dounia ont réalisé leur rêve pictural à travers cette rencontre improbable. Fatma Zohra Bouaouni est juriste. Dounia Hedid biologiste. La première est originaire de Blida, la seconde est d'Alger. Autodidactes picturalement parlant, elles ont un dénominateur commun : la passion dévorante pour l'art pictural. Et une flamme qu'elles entretiennent dans leur cœur. Chaleureusement. Celle de la nostalgie. Le patrimoine. Un partage unitaire. Pour exprimer leur amour éperdu pour les petites, mais précieuses choses d'antan. Histoire de mémoire collective. Contre l'oubli. Et voire pour la sauvegarde du terroir. Aussi, ces deux consœurs, pour ne pas dire «âmes sœurs», ont étrenné leur toute première exposition picturale. Un baptême du feu au musée public national du Bardo, à Alger. Une exposition inaugurale, où Fatma Zohra et Dounia ont exhibé leurs œuvres. Au grand bonheur d'une faune de visiteurs enthousiastes. Grands et petits. BLIDA, SA ROSE NATALE C'était une sorte de célébration familiale et amicale. Avec la caution d'artistes, comme Hamidou, Nourreddine Saoudi, Boualem Ziani, venus encourager les deux jeunes filles. D'ailleurs, une certaine fébrilité était dans l'air. Ainsi, les deux artistes peintres ont offert une collection justement intitulée «Voyage Nostalgie». Une destination vers le nostalgique patrimoine. Et les visiteurs n'ont pas été déçus du voyage. Car à travers les galeries du musée public national du Bardo, Fatma Zohra et Dounia effectuaient des visites guidées plus efficientes qu'un «syndicat d'initiative». Ici, Fatma Zohra immortalise le dôme du saint patron, Sidi Kébir (Blida), là, Dounia se souvient d'une venelle de La Casbah qui n'existe plus, ou encore là-bas elle décrit les atours d'une femme berbère, et ce, avec élégance et finesse. Et puis, des haltes pittoresques fleurant bon l'ocre sable chaud ou la brise marine. A l'image des toiles intitulées «Le printemps à Sidi Kébir», «Vendeuse de jasmin», «Vers la source», «La vie», «Roses de quartier», «Le potier»... «Moi, je vais plus dans la précision. J'aime bien les pinceaux fins. Je ne travaille pas avec les couteaux. Non plus dans les reliefs. J'aime les personnages et les portraits. Pour moi, une toile sans une présence humaine est une toile un peu vide. Donc, je la rends vivante. Franchement, cette exposition est un rêve. Un rêve d'enfance. En ce qui concerne le thème ‘‘Nostalgie'', c'est par rapport aux endroits, les rues, les traditions de l'Algérie… C'est un thème qui nous tient à cœur à toutes les deux. J'adore les quatre coins de l'Algérie. Je suis beaucoup plus inspirée par le Sud algérien. Mettre en avant la culture algérienne…», commentera Dounia Hedid. «Les toiles sont mes bébés» Pour l'intitulé de l'exposition «Voyage Nostalgie» et à propos de l'art plastique en général, Fatma Zohra Bouaouni soulignera : «Je voulais un voyage dans la nostalgie. Il y a des endroits qui sont uniques en Algérie. Je suis une personne très nostalgique. Je garde toujours le souvenir du thé au jasmin et citron. J'ai vécu une enfance très heureuse à Sidi Kébir. Cette exposition, c'est une allusion au patrimoine, aux traditions ancestrales. Celles des lieux, des places, des rues… Et ces traditions ont disparu. Je les fais renaître à ma manière de par mes toiles. Et j'essaie de les transposer à travers un voyage pictural. Des images issues de ma prime enfance. Sincèrement, je ne m'attendais pas à un tel accueil. C'est très encourageant…» Avant de ponctuer : «Je peins spontanément sans fard. Des couleurs de la liberté, la vie… On ne choisit pas d'être artiste peintre. C'est un don de Dieu. C'est une conviction. La peinture, c'est la vie. Les toiles sont mes bébés. Difficiles de s'en séparer. Elles ont une valeur sentimentale énorme pour moi. Je parle à ma toile. Une relation dialectique. La création, c'est la découverte… Lors de l'exposition je voulais être ‘‘incognito'' pour garder la magie chez les visiteurs du musée du Bardo, à Alger… Je voudrais être une ambassadrice de mon pays, l'Algérie. On a besoin de rêver. J'aimerais bien que dans mes toiles, la société où je vis, se retrouve. Je voudrais montrer l'Algérie, un beau pays riche. Il y a de la place pour tout le monde.» Un autre signe particulier de Fatma Zohra Bouaouni, elle est humaniste. Elle anime et soutient des ateliers de peinture pour les enfants SOS Draria et elle collectionne les porte-clés. De Washington, Barcelone, Paris, Istanbul… C'est sûr, Fatma Zohra Bouaouni est olfactive. Un parfum de femme. Le jasmin !