Mais qu'est-ce qui pourrait donc expliquer, si tant et qu'on pouvait la motiver, cette subite flambée de violence terroriste dans les centres urbains, voire à une portée de fusil du cœur de la capitale ? La multiplication des attentats terroristes dans la périphérie d'Alger ne peut être réduite à de simples faits divers, signe « du désarroi des groupes armés » comme le soutient assez souvent la propagande officielle. Il y a eu d'abord les trois bombes qui ont explosé, à quelques jours d'intervalle, au cœur de Boumerdès, suivies de l'assassinat de Rabah Aïssat, un élu du FFS à Tizi Ouzou, puis un attentat à proximité d'une caserne de l'armée à El Harrach (ex-Belfort) qui avait fait au moins une dizaine de blessés parmi les jeunes appelés. Et c'en était déjà trop pour les Algérois et les citoyens des autres villes, éprouvées par les affres du terrorisme, qui ont appris à se départir du sentiment de la peur et de l'angoisse qui les a tant hantés durant les années rouges. Malheureusement, il semble bien que ce ne soit pas des actes isolés, œuvre de « la bête blessée », mais véritablement d'une entreprise terroriste bien organisée, qui compte réinvestir les centres urbains en vue de réinstaller la psychose. Le double attentat à la voiture piégée ayant ciblé avant-hier les sûretés urbaines de la police judiciaire (BMPJ) de Dergana et de Réghaïa à l'est d'Alger, au-delà de leur bilan macabre (3 morts, dont une femme et 24 blessés), dénote de ce noir dessein des groupes armés de reconquérir les espaces « vitaux ». Frapper au cœur de la capitale garantit assurément une portée médiatique aux criminels qui souhaitent justement se faire entendre de la manière la plus abjecte qui soit. Il est vrai que les petites gens qui périssent presque chaque jour dans cette immense Algérie profonde n'émeuvent pas grand monde surtout pas les autorités, histoire de ne pas embarrasser le discours officiel qui glose à l'envi sur la fin du terrorisme. La preuve ? Hier, au moment où tout le monde à Alger commentait le double attentat, une voiture piégée, une autre, a blessé plusieurs personnes aux Issers (Boumerdès) et une bombe a été désamorcée de justesse à quelques kilomètres de là, à Bordj Ménaïel. Il y a donc, forcément, dans cet acharnement et cette synchronisation de la terreur des messages délivrés par les terroristes via leurs forfaits. Une telle démarche suppose à l'évidence, des « hommes », des moyens logistiques importants et peut-être même des complicités. L'appel de la forêt... La facilité déconcertante avec laquelle ont opéré les terroristes inquiète, d'autant plus que les forces de sécurité sont censés avoir repris en main la situation et que les groupes armés sont théoriquement réduits à des « poches » presque inoffensives tant les soutiens leur sont coupés. En tout cas, la terrible détonation, qui a déchiré dimanche le silence de minuit à Réghaïa, a sans doute fait donné froid dans le dos des Algérois. On se surprend à considérer que l'heure est finalement grave. Que la paix « magique » de la réconciliation bouteflékienne n'est pas aussi évidente que cela. Du moins sur le terrain. Il est curieux tout de même de relever que les égards de la République à l'ancien n°3 du FIS, Rabah Kébir, aura boosté l'activité terroriste au lieu de la clamer. Son appel aux groupes armés à signer « l'adieu aux armes » et à adhérer à la réconciliation nationale semble s'être perdu dans les maquis, ces derniers lui préférant l'appel de la forêt… Et, tout compte fait, l'engagement des forces de sécurité -ANP surtout- sur le terrain pour nettoyer les maquis des irréductibles semble être contrarié par la démarche politique prônée par le président de la République. L'ambivalence est telle, qu'il est difficile de déceler une cohérence dans le dispositif mis en place pour appréhender le phénomène terroriste. Fatalement, et par trop de concessions, les groupes armés ont exploité la brèche pour reprendre du poil de la bête, considérant certainement que le pouvoir de Bouteflika serait en position de faiblesse et qu'il serait disposé à garder ouvertes les portes de la « rahma » aussi longtemps que possible. La valse d'hésitation, qui a entouré l'été dernier la fin de la période de grâce accordée aux terroristes sur l'opportunité ou pas de prolonger le délai du repentir, est symptomatique de ce dangereux laisser-aller dont les Algériens de Réghaïa, de Dergana, des Issers, de Bordj Ménaïel et d'ailleurs font les frais. Curieux également est ce regain d'attentats à l'explosif dans un contexte marqué par de grands déballages d'affaires de détournement de deniers publics, de scandales et de trafic de drogue qui éclaboussent des personnalités de haut rang. Pendant ce temps, le président de la République et son chef du gouvernement restent dans leur tour d'ivoire, et les médias publics continuent leurs fastidieux comptes rendus des auditions de ministres comme si de rien n'était dans cette autre Algérie…