Le théâtre algérien (TNA) ose enfin ouvrir le débat sur l'intérêt que porte le public aux pièces. Des solutions sont proposées pour faire revenir les spectateurs dans les salles. Comment renouer avec le public ? Comment faire pour attirer les spectateurs en grand nombre vers les salles de théâtre ? Des questions auxquelles ont tenté de répondre plusieurs intervenants, samedi dernier, lors d'une journée d'étude, organisée par le département artistique du Théâtre national Mahieddine Bachtarzi à Alger, au niveau du Club M'hamed Benguettaf. Deux plénières et des débats d'ateliers pour étudier la question du reflux du public et proposer des solutions. «Il ne peut y avoir de théâtre sans la présence de trois éléments : la scène, le comédien et le public», rappelle l'universitaire et critique Ahmed Cheniki. Il relève le manque de travaux sur le public en Algérie. «Comme si le spectateur était absent de la représentation théâtrale, alors que tous les grands hommes de théâtre prennent comme point de départ le public qui contribue à façonner les réseaux thématiques et les éléments esthétiques. Il est tout à fait normal d'interroger ce phénomène du public dont les réponses permettraient peut-être de régler au-delà de la dimension esthétique les jeux extrêmement complexes de la réception et de la fréquentation», souligne-t-il. Ahmed Cheniki propose de revoir l'organisation des établissements étatiques du théâtre et des coopératives. «Le statut de ces coopératives est flou. On ne sait pas si elles sont dans le théâtre amateur ou professionnel. Les créateurs du théâtre sont victimes d'une situation figée et d'une gestion peu étudiée des espaces de spectacles», dit-il. L'universitaire Makhlouf Boukrouh a, pour sa part, rappelé les spectacles de Ali Sellali (Allalou), de Mahieddine Bachtarzi et de Rachid Ksentini qui travaillaient en fonction du public. «Bachtarzi et Allalou considéraient le public comme le lieu central de l'activité théâtrale. Le choix de la structure et de la thématique correspondait aux besoins et aux demandes du public», précise-t-il. Makhlouf Boukrouh a analysé l'évolution de la présence du public au fil du temps depuis l'indépendance du pays. «Dans les années 1960, 1970 et 1980, le problème ne se posait pas. Le public était présent. Les chiffres peuvent en témoigner. Il y avait un environnement qui permettait ce déplacement du public. Aujourd'hui, il faut s'interroger sur le fonctionnement des théâtres, sur la qualité des spectacles offerts au public, sur la continuité des représentations», relève-t-il. Le metteur en scène et comédien Brahim Chergui s'est, de son côté, intéressé au spectateur, à ses différentes postures et à sa réaction aux spectacles. Brahim Chergui s'est inspiré de sa propre expérience sur scène. Instaurer un dialogue «Il faut être réaliste et se dire : que se passe-t-il avec nous ? Comment sont gérés les établissements de théâtre ? Ont-ils des programmes à long terme ? Comment choisit-on un texte? Qu'avons-nous fait ces dix dernières années ? Où sont passés les résultats des conférences et débats organisés au TNA ?» se demande le metteur en scène Chawki Bouzid. Il plaide pour un rapprochement entre pratiquants du théâtre, les critiques et l'administration des théâtres. «Pour l'instant, chacun est dans son carré. Avant de penser au public, il faut instaurer un dialogue entre les créateurs et l'administration. Il faut qu'il y ait un échange entre les artistes et les critiques», explique-t-il. Habib Boukhelifa, enseignant à l'Institut supérieur des métiers des arts de spectacles et de l'audiovisuel (ISMAS), estime que le développement du théâtre dépend d'un climat politique et social. «Un système politique et social qui ne peut pas gérer une ville ou sécuriser le citoyen ne peut pas, à mon point de vue, organiser une activité théâtrale. Ces dernières années, nous avons tourné en rond. L'entreprise théâtrale est devenue plus un espace de rente qu'un espace de production. Ceux qui peuvent améliorer beaucoup de choses à l'art théâtral sont marginalisés, entre autres, les enseignants de l'ISMAS. Comment peut-on souhaiter la présence du public avec des spectacles médiocres, des spectacles qui ne répondent pas à l'amplitude passionnelle d'un peuple et à son authenticité», regrette-t-il. Il est, selon lui, nécessaire de lier la science au travail théâtral, de renforcer la recherche sur l'esthétique et d'améliorer la qualité des spectacles. «La présence du public dans les salles dépend de la qualité des spectacles», tranche-t-il. «Nous ne sommes pas coupables !» Hamida Aït El Hadj, metteur en scène et enseignante à l'ISMAS, refuse que les créateurs soient culpabilisés. «Nous ne sommes pas coupables de la désertion du public, de l'absence du théâtre scolaire. Le théâtre a disparu des écoles et des manuels d'enseignement. Les gens du théâtre ne sont pas coupables de la décennie noire. Pendant dix ans, les Algériens ne pouvaient pas sortir de leur maison le soir, comment voulez-vous qu'ils reviennent au théâtre aujourd'hui ?Il n'y a pas de transport le soir dans les villes. Tout s'arrête après 17h. Je ne suis pas coupable et je continue de lutter pour que le théâtre vive dans ce pays», relève Hamida Aït El Hadj, plaidant pour revoir le système de formation aux arts dramatiques et les formules de tournées des spectacles. Pour Ahmed Cheniki, le théâtre doit avoir des rapports continus avec les écoles, les universités et les secteurs du sport et de la jeunesse. «Il faut s'interroger sur ce qu'on peut faire aujourd'hui pour améliorer l'activité théâtrale en Algérie. Allons nous reprendre les expériences de Allalou, Alloula, Bachtarzi ?» s'interroge-t-il. Mohamed Frimehdi, metteur en scène, estime qu'il faut prendre en compte les complexités de la vie sociale moderne, la technologie et les modes de consommation avant d'analyser la problématique de la relation du public avec le théâtre. «Les arts vivants doivent s'adapter à cette situation. Les jeunes portent aujourd'hui dans leurs poches, grâce au smartphone, des tonnes d'informations, d'images et de sons du monde entier. La dictature de la rapidité fait que les gens n'ont plus le temps d'aller à une salle de spectacle pour passer une heure à regarder une pièce. La culture fastfood a remplacé le plaisir de se mettre à une table, à prendre une salade, un plat de résistance et un dessert», souligne Mohamed Frimehdi. La plupart des intervenants ont insisté sur l'importance de la communication et de la promotion des spectacles de théâtre, notamment à travers l'affichage en ville, les réseaux sociaux et les médias. «Avez-vous vu un jour une publicité pour pièce de théâtre dans journal ou au petit écran ?» interroge le critique Nabil Hadji. Le scénographe Abderrahmane Zaâboubi souhaite l'organisation d'assises nationales «sérieuses» sur le théâtre pour discuter de tous les problèmes et proposer des solutions en vue de relancer les arts vivants à travers le pays d'une manière durable. «Il faut ouvrir un débat direct avec le public, inviter ses représentants à ces assises, savoir ce qu'il veut», propose-t-il.