Recevant, le 9 octobre, une lettre de la présidence de la République l'invitant à donner son avis sur la présidence de l'Instance de surveillance des élections qui devrait revenir à un ancien membre de la direction du parti islamiste Ennahda, Abdelwahab Derbal en l'occurrence, le président de Talaie El Houriat, Ali Benflis, dit «non». C'est un niet catégorique qu'il vient d'opposer à la démarche du pouvoir. L'ancien candidat à la présidentielle d'avril 2014 explique sa réponse et précise, encore une fois, ses choix dans une lettre qu'il a adressée au ministre d'Etat et directeur de cabinet de la Présidence, Ahmed Ouyahia. «La loi organique portant régime électoral de même que celle relative à la ‘‘haute'' instance ‘‘indépendante'' de surveillance des élections auront été autant d'occasions manquées. Il est vain d'y chercher et hors de propos d'y trouver quelques signes que ce soit d'une rupture avec les pratiques du passé dans lesquelles s'incarnaient et s'incarnent toujours la négation de l'Etat de droit et le manquement aux normes démocratiques universellement admises», écrit Ali Benflis dans un document rendu public hier. Pour lui, «la fraude électorale est la marque distinctive des systèmes politiques dysfonctionnels». «Il est évident, explique-t-il, que les deux lois organiques en question n'ont en aucune manière été orientées vers la correction des dysfonctionnements du système politique national sans laquelle la réhabilitation de la citoyenneté et du choix du peuple souverain de même que l'avènement de l'Etat de droit et le bon fonctionnement démocratique de la société demeureront hors de notre portée.» Si Ali Benflis récuse ces deux lois organiques, c'est parce qu'«elles n'ont pas allégé l'emprise de l'appareil politico-administratif sur les processus électoraux». «Elles l'ont même alourdie», selon lui. «Elles n'ont pas réduit son hégémonie sur les phases de préparation et d'organisation des élections qui conditionnent tout le reste», estime le président de Talaie El Houriat, pour qui «ce même appareil politico-administratif n'est toujours pas acquis à la cause d'une compétition politique loyale et persiste à vouloir en fixer les conditions, à en dicter les règles et à en prédéterminer les résultats». Convaincu que les deux lois organiques n'ont pas éliminé les foyers de la fraude électorale existants, «elles en ont ajouté de nouveaux», Ali Benflis — qui coordonne le Pôle des forces du changement et est membre de l'Instance de concertation et de suivie de l'opposition (ICSO) — anticipe et tranche : «L'instance de surveillance des élections n'est pas conçue comme un instrument de prévention et de dissuasion de la fraude, elle n'a pour raison d'être que de la perpétuer sous de nouvelles formes qui sont vouées à être de nul effet sur la sincérité, l'intégrité et la transparence des scrutins à venir.» Ayant dénoncé à plusieurs reprises les fraudes dont il a été lui-même victime, Ali Benflis, qui a participé à deux élections présidentielles en 2004 et 2014, indique qu'«il n'était pourtant pas si ardu de nous inspirer des expériences des autres nations du monde, y compris celles de notre voisinage immédiat, pour doter notre pays d'une instance souveraine, neutre et impartiale en matière de préparation, d'organisation et de contrôle de l'intégralité des processus électoraux». Réitérant la revendication de l'opposition de mettre en place une commission indépendante de surveillance des élections, le président de Talaie El Houriat soutient que «le devoir de franchise et de sincérité que nous avons envers notre peuple commande instamment de lui dire que rien n'a fondamentalement changé et que le changement qu'il attend n'est pas encore à l'œuvre». «Le régime politique en place, indique-t-il, a toujours préféré le soliloque à la concertation et au dialogue sur tout ce qui engage le présent et l'avenir de la nation.» Ali Benflis souligne en effet que «notre pays passe par l'une des phases les plus critiques de son histoire contemporaine». «Il fait face à une impasse politique totale qui prend la forme d'une crise de régime manifeste. Il est confronté à une crise économique d'une exceptionnelle gravité. Il est menacé par une montée des tensions sociales», explique l'ancien candidat à l'élection présidentielle de 2014. «Dans un contexte aussi grave, faire comme si de rien n'était et ériger les prochaines échéances électorales en opération routinière me semble mener le pays, encore une fois, à passer à côté de l'essentiel.» Rappelant que «notre pays n'est pas en manque d'élections contestables et contestées qui l'ont toutes conduit là où il se trouve actuellement», Ali Benflis appréhende les conditions dans lesquelles se dérouleront les prochaines élections. Selon lui, «elles pourront au mieux ménager un statu quo dommageable pour le pays si tant est qu'elles ne donnent pas une autre dimension à l'impasse politique et institutionnelle actuelle».