Ces dernières années, les rues de la capitale deviennent de plus en plus crades. Cela fait désormais partie du décor des administrés qui ont désappris à composer avec le beau et le salubre. A croire que NetCom et Asrout patrouillent de jour et de nuit pour ramasser ce que les gens balancent systématiquement dans la rue n'importe comment, n'importe où et au moment où çà leur chante. Pourvu qu'ils s'en débarrassent. Le hic est qu'on semble prendre plaisir à se jeter fatalement la responsabilité : les pouvoirs publics dénoncent l'incivisme des citoyens et le non-respect des horaires de dépôt des ordures ménagères, au moment où les administrés mettent en cause le modus operandi des services de collecte et de nettoiement dont les camions bennes dégoulinants et pestilentiels ne font des rotations que dans les artères principales. Nombre d'artères ne sont visitées qu'à l'approche de quelque venue d'officiels, pour les farder en leur donnant fière allure. Quelque chose ne tourne pas rond dans notre mégalopole qui pâtit de ce paysage crasseux. A dire vrai, le mal est si profond qu'on n'arrive plus à le gérer, même si le programme Blanche Algérie est mis en œuvre pour accompagner les Epic en charge de rendre moins inhospitalière la médina. Au risque de nous répéter, nos cités, qui participent à la dégradation du cadre de vie, s'enlaidissent davantage, témoin les points noirs qui balisent nos rues au fil des jours, surtout depuis la disparition du corps des concierges d'immeubles, habilité entre autres à débarrasser le pas de la porte des bacs après le passage des camions-bennes. Il n'est pas exagéré de souligner qu'il y a autant de points noirs que de lieux de dépôts d'ordures au seuil de chaque immeuble et à chaque coin de rue, avec des sachets éventrés, crachant les vomissures devant notre imperturbable regard. La police de la propreté urbaine n'existe pas, même si les brigades de la Pupe (Police de l'urbanisme et de la protection de l'environnement) enregistrent les infractions commises çà et là. Les PV que celle-ci établit ne semblent avoir écho que très rarement au sein des autorités locales compétentes. Aussi, si la coercition est absente, le rôle des médias lourds dans ce volet ne brille pas moins par son absence. Il me vient à l'esprit cette remarque saisissante du philosophe, géodésien et naturaliste Charles Marie La Condamine (1701-1774) qui relevait en 1731 lorsqu'il avait séjourné dans la médina de Sidi Abderrahmane Etthâlibi : «Alger est une ville fort peuplée, les rues y fourmillent de monde... Il y a à Alger des lieux de commodités, et on ne jette pas comme à Toulon les ordures dans les rues...» Un témoignage qui ne nous invite pas moins à nous regarder droit dans les yeux les uns les autres en nous interrogeant sur cette tendance renversée. Bien avant l'avènement de la nuit coloniale, la régence d'Alger, alors sous influence de la Porte sublime, était une ville beaucoup plus clean que la cité de la rive d'en face se trouvant dans le vieux continent. Retournement étrange de décor. Toulon, capitale économique du Var, établie sur les bords de la mer Méditerranée est à présent nettement proprette et attrayante qu'au XVIIIe siècle, période où la médina d'Alger fleurait bon et où le civisme n'était pas un vain mot. Epoque aussi où les vespasiennes existaient à Alger et l'on ne risquait pas de se voir surprendre par des bouteilles à urines balancées par l'automobiliste au hasard des rues. Mais autres temps, autres mœurs, me diriez-vous ! Alger a prêté le flanc, disons le tout crûment, à la saleté répugnante (excusez le pléonasme !). Alger s'est, depuis défaite de son écocitoyenneté pour devenir le Toulon du XVIIIe siècle. Faut-il dès lors repenser la gestion de la salubrité urbaine et suburbaine ?