C'est l'un des moments forts du Salon international du livre d'Alger en cette date symbole du 1er novembre. Le coin des Editions Koukou était submergé de monde, suscitant la curiosité des milliers de visiteurs du pavillon central. Avec quelques minutes du retard après 14h, les invités du jour sont enfin arrivés sous les applaudissements. Le vétéran nationaliste et figure des droits de l'homme, Ali Yahia Abdennour, accompagné d'un autre figure militante, le célèbre avocat Mokrane Aït Larbi. Deux personnalités dont le parcours et la filiation historico-politique renvoient naturellement à l'Algérie combattante d'avant et d'après l'indépendance. Et pour compléter le panel, le neveu de l'architecte de la Révolution algérienne, Belaïd Abane – auteur de Nuages sur la Révolution : Abane au cœur de la tempête. A peine le temps de s'installer et d'échanger quelques mots, les trois personnalités entament simultanément la signature de leurs livres. Nuages sur la Révolution de Belaïd Abane, Lettre ouverte au système politique, pamphlet de Ali Yahia Abdennour, La Justice du palais, féroce critique du système signé Mokrane Aït Larbi. Après de 97 ans, énergique et sobre dans son costume-cravate gris, le vieux combattant Ali Yahia est très sollicité, notamment par les jeunes. A chaque fois qu'un admirateur tend le livre pour la dédicace, il lui demande : «Tu fais quoi dans la vie ?» C'est en fonction des réponses qu'il appose sa signature. Ce n'est pas une dédicace classique, mais une «déclaration» politique remplie de mots d'espoir, de résistance et d'encouragement. Dans un style raffiné avec une jolie et unique calligraphie. Dans chaque dédicace, Ali Yahia glisse de la militance comme pour inciter à l'engagement. Chaque signature est accompagnée de prise de photos pour immortaliser l'événement. Dans un serein brouhaha, les nombreuses personnes d'horizons et d'âges divers échangent des mots à la gloire du vieux militant encore en lutte. «Lui, c'est l'Algérie authentique, le militant sincère resté fidèle au serment du combat indépendantiste. C'est tout de même incroyable que ce soit un homme comme Ali Yahia qui donne espoir aux jeunes générations. Il est à se demander qui est le jeune d'entre nous», murmurent des jeunes venus de l'intérieur du pays. Au bout de deux heures, c'est la rupture de stock, entraînant un sentiment frustration chez le public et sans doute chez l'auteur. «Je me contente de vous toucher et de vous serrer la main, c'est un grand honneur pour moi», lui lance un quinquagénaire originaire de Sidi Bel Abbès. Visiblement touché par ces marques de sympathie et de gratitude que lui expriment les nombreux visiteurs, Ali Yahia laisse échapper sa joie et son souhait de revenir avant la clôture du Salon. L'éditeur Arezki Aït Larbi lui programme une autre séance de dédicaces pour samedi prochain. Avis à ceux qui ont «raté» le 1er novembre... A la gauche de Ali Yahia, l'autre avocat et compagnon de lutte Mokrane Aït Larbi n'en finit pas non plus de signer son livre La Justice du palais, une critique implacable du système judiciaire et politique. Signatures suivies de séances photo et d'échange de mots courtois, histoire de prolonger une rencontre chargée d'émotion. «Ce sont des hommes politiques au longs cours, qui ont défendu avec courage des causes justes dans les moments les plus difficiles. Des militants qui ont défié le despotisme du parti unique et qui n'ont pas cédé aux ‘‘confort'' de la légalité retrouvée après le multipartisme», commente un étudiant. De l'autre côté de la table, Belaïd Abane est interpellé sur le parcours de Abane Ramdane, organisateur de la Révolution, assassiné par ses «frères» de combat. La séance de dédicaces prend des allures de rencontre historique improvisée. Le commandant de la Wilaya IV historique, Lakhdar Bourgaâ, est heureux de partager ce moment. Mme Zoubida Amirat, veuve du chef historique, Slimane Amirat, est saisie d'émotion en observant Ali Yahia : «C'est notre fierté. C'est un homme d'exception.» La veuve de Kaid Ahmed a attendu longtemps avant de pouvoir saluer chaleureusement Ali Yahia. Au loin résonnent des champs patriotiques. Le tout dans une ambiance sobre et sans grand discours ou de gloire fantasmée. Pas de place à la démagogie nationaliste. Au bout de quatre heures de signatures, les auteurs ressentent de la fatigue et le Salon commence à se vider. C'est l'heure de la fermeture. Dernier acte : Ali Yahia Abdennour «achète» La Justice du palais et demande à Aït Larbi de le lui dédicacer. Tout un symbole.