Diplomate de carrière, ancien ambassadeur, Abdelaziz Rahabi pense qu'il ne faut pas s'inquiéter de l'arrivée du républicain Donald Trump à la tête des Etats-Unis. Pour lui, il ne pourra pas opérer de changements majeurs dans la politique extérieure de son pays, qui reste tributaire de considérations liées à l'équilibre géostratégique régional. - Maintenant, l'Amérique a un nouveau Président, dont les déclarations de campagne tranchent totalement avec les positions de son prédécesseur. Selon vous, faut-il s'attendre à un nouveau regard sur le Moyen-Orient par exemple, notamment la question palestinienne ? Même si Hillary Clinton était plus visible, déjà en tant que secrétaire d'Etat chargée de la politique extérieure sous Barack Obama, il reste que la différence avec Donald Trump n'est pas très importante. Lorsqu'on a demandé au défunt président palestinien, Yasser Arafat, quelle était la différence entre la politique des républicains et des démocrates par rapport aux problèmes du Moyen-Orient, il a répondu : «La différence entre les deux est comme celle qui existe entre Coca-Cola et Pepsi-Cola.» La question palestinienne reste néanmoins une question centrale dans la politique américaine, qu'elle soit sous la coupe des démocrates ou des républicains. - Faut-il s'attendre à des changements de position, surtout que Trump a déjà ouvertement évoqué son penchant pour Israël ? Les républicains ont de tout temps exprimé leur alignement sur Israël, mais une fois au pouvoir, ils sont tenus de prendre en considération certains facteurs essentiels dans la politique. Je ne pense pas que Trump puisse mettre en application ce qu'il a promis à ses électeurs, c'est-à-dire faire d'Al Qods la capitale d'Israël. La politique extérieure des Etats-Unis n'est pas décidée uniquement par l'Administration. Elle répond aussi à l'équilibre géopolitique de la région. Et les promesses de campagne ne sont jamais exécutées à la lettre. Les discours de Trump ne sont que des déclarations de campagne. Pour moi, ils ne peuvent constituer de préoccupations majeures. S'il y aura des changements, ils ne pourront être qu'en interne, où la priorité est donnée au retour de la suprématie des Etats-Unis. Trump dit qu'il faut revenir à la puissance d'avant. Pour lui, la vie économique des Américains est devenue impossible. C'est cela la préoccupation majeure des Américains sur laquelle Trump a beaucoup insisté. - Voulez-vous dire qu'il n'y aura pas de changement majeur par rapport à son prédécesseur ? Je pense que Trump continuera la nouvelle doctrine de Barack Obama sur, par exemple, le fait de ne plus envoyer de troupes ailleurs ou de rappeler les militaires dépêchés dans les zones de conflit et de privilégier la mise en action des alliés à leur place. L'intervention militaire sera limitée à des opérations ciblées de commandos ou de frappes aériennes. Les changements que Trump peut apporter répondront plus aux préoccupations majeures des Américains sur la situation économique à l'interne. Il faut savoir qu'aux Etats-Unis, le Président peut décider d'une guerre, mais pas des moyens de la faire. Le processus est très long. Il y a beaucoup de facteurs à prendre en considération pour passer à l'action. Il ne faut pas s'attendre à une nouvelle ère de changements. - Qu'en sera-t-il des relations avec la Russie, d'autant que Trump semble vouer une admiration pour le président Poutine ? Il ne faut surtout pas oublier que la Russie est une puissance militaire que les Américains prennent sérieusement en compte. Mais je pense que la politique étrangère n'est pas une priorité pour Trump. Ses principaux objectifs sont clairs : la menace du terrorisme islamiste, comme il le dit, la situation économique interne du pays et les migrants latino-américains. Il a été élu pour ses positions sur ces questions. L'islamisme international, le déclin des Etats-Unis, le retour de la Russie sur la scène internationale, sont autant de menaces sur lesquelles Trump a basé sa campagne électorale et qui ont fini par lui faire gagner le pari électoral. Il y a bien sûr la sécurité nationale qui reste une préoccupation, mais le facteur économique reste prépondérant. Il est important de rappeler que les Américains n'ont jamais voté pour les Présidents qui ont gagné des guerres, mais plutôt pour ceux qui apportent des réponses à leurs problèmes internes. - Sur les questions liées à l'Afrique, le Sahel et le Maghreb, y aura-t-il, selon vous, des changements ? Le Monde arabe a vécu sa plus grande déception avec Barack Obama. Ses promesses de changements démocratiques, faites à partir du Ghana dès sa première investiture, n'ont malheureusement pas été concrétisées. La politique des changements par la démocratie, prônée par Obama, a été un échec et l'Amérique a perdu ses plus grands alliés dans la région, à commencer par l'Egypte et beaucoup d'autres pays. Pour ce qui est de l'Afrique, il ne faut pas voir de possibles changement également. - Qu'en sera-t-il des relations entre les Etats-Unis et l'Algérie ? Je pense qu'il n'y aura pas de changements notables, puisque nos relations avec l'Amérique ne sont pas stratégiques. Notre coopération repose sur le volet militaire, axé autour de la lutte antiterroriste et l'échange de renseignements, mais aussi le volet économique, dont les échanges ont chuté d'une manière importante. Ils sont passés de 21 milliards dollars en 2009 à 5 milliards de dollars en 2015. L'Algérie n'est donc pas un partenaire stratégique, même si l'Administration américaine la considère comme un pays pivot, qui a un rôle important à jouer dans l'équilibre régional, comparativement à ses voisins, le Maroc et la Tunisie. Sa situation géostratégique, ses longues frontières qu'elle partage avec de nombreux pays du Sahel, avec un prolongement africain, son expérience dans le domaine militaire et sa politique extérieure indépendante, constituent la force de notre Etat et sa particularité.