Le 15e Colloque international Abdelhamid Benhedouga de Bordj Bou Arréridj est de retour après quatre ans de rupture. Pendant trois jours, des universitaires, chercheurs, critiques et écrivains ont parlé, analysé et débattu de l'expérimentation dans le roman et dans les arts. Mercredi matin, au complexe culturel Aïcha Haddad de Bordj Bou Arréridj, Allaoua Koussa, enseignant au centre universitaire de Mila, a évoqué une idée nouvelle. «Le roman algérien vit sa troisième révolution», a-t-il dit lors d'un débat au 15e Colloque international Abdelhamid Benhedouga dont les travaux ont été clôturés jeudi soir. Allaoua Koussa, lui-même romancier, intervenait sur «la poétique de la narration» dans l'oeuvre de Hadj Ahmed Seddik Ziouani, Le royaume des Ziouane. «Une génération de romanciers a écrit sur la guerre de Libération nationale. C'est ce qu'on appelle le roman révolutionnaire. Après l'indépendance, une autre génération a écrit sur la Révolution agraire. La Révolution de la nouvelle génération d'écrivains est surtout artistique. Cette génération travaille sur les techniques d'écriture contemporaine avec l'espoir que le roman algérien devienne universel à partir de spécifités algériennes. C'est finalement la Révolution artistique qui va durer», a souligné Allaoua Koussa, auteur d'une étude sur la critique littéraire. Il faut, selon lui, faire confiance aux jeunes écrivains. «Des jeunes qui respectent les travaux des générations qui les ont précédés mais tentent d'écrire sur leur époque avec leurs propres instruments et techniques. Grâce à ces jeunes, le roman algérien avance à grands pas», a-t-il appuyé. Pour lui, Waciny Laredj, Ahlem Mosteghenemi et Amin Zaoui ne font pas «à eux seuls» le roman algérien actuel. «Ils ont bénéficié du soutien des médias et profité de leur proximité avec les centres de fabrication de la notoriété. Il y a d'autres romanciers qui n'ont pas cette chance», a-t-il regretté. Il a cité le cas de Hadj Ahmed Seddik, enseignant à l'université d'Adrar, qui fait parler de lui actuellement avec le roman Camarade (édité en Jordanie et en Algérie) où il suit le parcours de migrants nigériens à partir de Niamey et jusqu'au nord du Maroc. Allaoua Koussa a relevé que le Sahara algérien n'a pas été présent en tant qu'espace dans les romans algériens. Azzeddine Djellaoudji, écrivain, a rappelé, lors des débats, que Habib Sayah et Rachid Boudjedra avaient évoqué le sud du pays dans leurs romans Bikouli mahaba et Timimoun. Abdelhamid Hima de l'université de Ouargla s'est, lui, intéressé à «l'esthétique du détail» dans le roman historique Houba aw rihlt al bahth ala El Mehdi (Houba ou à la recherche d'El Mehdi) de Azzeddine Djellaoudji. «Il est difficile d'aborder toute l'oeuvre de cet écrivain encyclopédique qui écrit des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre ainsi que des études sur la critique littéraire et sur la culture populaire», a relevé Abdelhamid Hima. Selon lui, le roman Houba ou à la recherche d'El Mehdi soumet à la critique l'histoire officielle sans que l'écrivain se substitue à l'historien. «C'est cela le secret de la réussite d'un roman qui a pour matière l'histoire. Une histoire qui est transformée en un territoire où sont plantés des récits et de la fiction. Azzeddine Djellaoudji a voulu braquer les lumières sur la résistance populaire contre le colonialisme qui n'a pas bénéficié de l'intérêt des historiens algériens. Il a plongé dans la vie dans la campagne détaillant les scènes de vie et dévoilant les traditions peu connues à l'époque», a-t-il analysé louant les qualités descriptives contenues dans le texte. Selon lui, Azzeddine Djellaoudji est un fervent partisan de la réécriture esthétique et artistique de l'histoire à travers les expressions picturales, visuelles, dramatiques ou narratives. Dans ce roman, Azzeddine Djellaoudji raconte l'histoire de Larbi El Moustache et Hamama qui partagent un amour fou dans un village des Babors et qui fuient vers Sétif pour sauver leur idylle et échapper à la répression d'El Caid Abbas. Caid Abbas, qui voulait se marier de la jeune fille, faisait partie de la tribu des Oulad Al Nach qui avait pactisé avec l'armée coloniale française vers 1833. Idem pour Cheikh Amar, l'imam de la tribu des Oulad Sidi Bougueba. Abdelnacer Mebarkia, enseignant à l'université de Bordj Bou Arréridj, a proposé à ce que le roman Houba ou à la recherche d'El Mehdi soit transformé en un scénario de film en raison de la thématique et de la multplication des personnages et des actions. Azzeddine Djellaoudji a publié plusieurs romans dont les plus connus sont Al Farachat oua el ghilane (Les papillons et les zombies, traduit à l'espagnol) et Al Ramad al ladhi ghassala al ma (La cendre qui a lavé l'eau). «Baghad aime la lecture» ! Ahdabou al khichya (Les cils de la crainte) de la jeune romancière algérienne Mouna Bechlem a fait l'objet d'une étude faite par Fadhel Aboud Al Tamimi qui enseigne la critique littéraire et la rhétorique à l'université de Dialla en Irak. Il a axé son analyse sur le monde virtuel dans lequel nage l'histoire écrite par Mouna Bechlem, elle-même enseignante universitaire à Constantine. «L'internet et Facebook sont présents avec force dans ce roman. Il y a comme une volonté d'aller vers la post-modernité. Le computer est lui-même devenu instrument de la vie dans le texte», a-t-il noté. Il a fait un parallèle avec le roman-polémique de la Saoudienne Raja San'a, Banat al Riadh (Les filles de Riad) dans lequel elle dévoile les undergrounds de la capitale du Royaume. «Mais Mouna Bachlem est plus proche du réel et de l'époque avec les questionnements qu'elle porte. La romancière a cassé les codes habituels de la narration en reconstruisant autant la langue que la trame. D'où l'intérêt porté au monde virtuel. La langue dépasse le lieu et le temps. La volonté de moderniser l'écriture est bien là surtout avec l'utilisation de la technique du roman dans le roman», a souligné Fadhel Aboud Al Tamimi qui a publié de nombreux études sur l'écriture narrative et la critique littéraire irakiennes. Selon lui, le roman de Mouna Bechlem ressemble à ce qui s'écrit actuellement en Egypte, en Irak et en Jordanie. Autrement dit, le roman nouveau qui est marqué par une écriture puisant dans la périphérie des constructions romanesques. D'où la forte présence parfois de sous-textes et de l'auteur lui-même en tant que personnage. Fadhel Aboud Al Tamimi s'est dit impressionné par le nombre de romans produits en Algérie. «Vous savez que Baghdad aime la lecture. Malheureusement, nous recevons peu de romans algériens à part ceux de Ahlem Mosteghenemi ou de Waciny Laredj. Nous recevons les livres édités à Beyrouth, Le Caire ou Amman, mais pas ceux publiés à Alger. Dommage», a-t-il affirmé. Il a souhaité une amélioration des circuits de circulation pour que le livre algérien soit plus présent au Moyen-Orient.