Le métier politique est un métier comme un autre, une vocation, une passion, la volonté de faire passer ses idées et ses convictions, le goût du pouvoir. Quand le présent est décourageant et le futur incertain, les Algériens se tournent vers le passé, tout le passé, le capitalisent ; d'autres limitent l'histoire de l'Algérie à l'invasion arabe ou s'arrêtent à la colonisation française. Nos ancêtres, les Amazighs, ont découvert le judaïsme, le christianisme et l'islamisme à travers les occupations étrangères. L'histoire de l'Algérie apprend à déceler l'imposture, les intrigues, les révoltes, les trahisons. L'historien recherche et vérifie les faits ; le militant, dans sa démarche de l'histoire et de la politique, contribue à la connaissance de l'histoire qu'il mobilise en expliquant les faits historiques. La vérité nécessite l'ouverture sur le PPA-MTLD des années 1946-1953 où des cadres de la stature de Ali Laïmèche, Ouali Bennaï, Amar Ould Hamouda et d'autres ont mis en exergue une politique culturelle avec sa vision de l'homme, de sa destinée, de sa culture, de sa langue, de sa façon d'être, de vivre, de penser et de parole. Le pouvoir est totalitaire, de nature dictatoriale Je ne combats pas la personne du Président, mais sa politique et la manière avec laquelle il a exercé sa fonction. Je ne lui fais pas de procès d'intention, je le juge sur ses actes. Bouteflika a aimé la vie et la vie l'a aimé, le verbe haut et la main sur le cœur, avec élégance. Il porte des costumes de très bonne facture, a le goût du luxe. Il a cherché à gagner les esprits et les cœurs. Le président Bouteflika a disposé de moyens financiers considérables avec la montée du prix du pétrole à 100 et 120 dollars le baril en moyenne, mais il n'a pas fait de l'Algérie un pays émergent, encore moins un pays développé. Il s'est donné beaucoup d'argent et de temps aux dépens du développement économique du pays pour se doter de l'image de l'homme providentiel, de l'homme de légende, charismatique, idolâtré, qui n'accepte pas que ses décisions puissent être discutées, critiquées, contestées. L'Etat est approprié par une caste bureaucratique parasitaire, totalitaire et oligarchique qui se maintient au-delà de son utilité, en dépit de son insuffisance, de ses fautes et de ses erreurs. La longévité du pouvoir n'est pas un facteur de stabilité, elle fabrique de la fragilité économique et de l'exaspération sociale. La technique de la conquête, de la pratique et de la conservation du pouvoir sert le Président, qui veut garder le pouvoir à vie, malgré sa maladie grave et durable. Fidel Castro, président de Cuba, qui ne peut rien contre la biologie, a dit : «Je trahirais ma conscience si j'occupais une responsabilité qui requiert mobilité et dévouement total, ce que je ne suis physiquement pas en condition de fournir. Je le dis sans dramatiser.» Le président de la Russie, Vladimir Poutine, a déclaré qu'«il n'était pas correct de réviser la Constitution pour un homme». La politique étrangère de l'Algérie est à reconsidérer afin de lui redonner sa place et son autorité sur les plans régional et international. La diplomatie, qui est affaire de style, de volonté et de ténacité d'où résulte l'efficacité donne l'impression d'être fragile et le sentiment d'être vulnérable. Le présidentialisme qui sévit à outrance empêche la diplomatie de jouer son rôle, notamment sur la question des droits de l'homme, qui est fondamentale. Peut-on envisager des élections crédibles ? Le président Bouteflika a été élu et réélu au premier tour à chacune de ses élections, par des scrutins truqués transformés en plébiscites, afin de faire de sa personne un pharaon au pouvoir illimité. Le peuple est appelé à voter pour maintenir la forme extérieure du suffrage universel, mais non pour choisir en toute liberté ses représentants aux institutions élues de l'Etat. L'Algérie est connue dans le monde pour ses fraudes électorales massives. Les résultats sont connus d'avance et ne servent qu'à reproduire le pouvoir en place. L'abstention est une sanction, l'expression du désaveu de la politique suivie par le pouvoir. Le prochain scrutin sera-t-il marqué par un nouveau record d'abstention ? Les élections préfabriquées ne mènent ni à l'alternance ni à la démocratie, mais seulement à la normalisation du peuple, proclamé souverain par la Constitution. Le taux de participation aux élections a toujours été décidé en haut lieu selon la conjoncture du moment. La question stratégique qui se pose est : quel est le chemin à suivre pour créer les conditions indispensables au respect de la volonté populaire exprimée par la voie des urnes et au déroulement d'élections crédibles, libres et transparentes ? L'objectif d'un parti est de participer aux élections, de vouloir les gagner, de former ou de participer au gouvernement, ou de faire de l'opposition. Le pouvoir maintiendra-t-il la date du 20 avril 2017 pour les élections législatives pour pousser la Kabylie et l'Algérois à ne pas voter, ce qui est tout bénéfice pour lui ? Il y aura pour lui un potentiel suffisant de votants avec les militaires, les gendarmes, les policiers. Les résultats du vote sont fonction des votants. En avril 2009, le président Bouteflika a été élu pour son troisième mandat par 12% du corps électoral, mais 90,25% des votants. Les partis du pouvoir, FLN, RND, TAJ, soit 85% des députés et membres du Conseil de la nation, ne représentent que 23% du corps électoral. En Tunisie et au Maroc, les élections se sont déroulées dans des conditions de libre expression de la volonté des électeurs. L'idéologie néolibérale avec son économie suivie par ceux qui ont le cœur à droite est non seulement porteuse d'injustices sociales, mais d'inefficacité économique. Où en est l'Algérie, où en est son économie ? L'avenir de l'Algérie dépend de sa capacité à faire face aux défis économiques. Les investissements qu'il ne faut pas financer par le recours à l'inflation, c'est-à-dire à la planche à billets, renforceront les moyennes et petites entreprises qui créent des emplois. La vraie richesse de la nation découle de ce qu'elle fait avec sa terre et des rapports qu'elle établit avec elle pour améliorer les rendements et la qualité des produits. La petite industrie et l'artisanat accompagnent l'activité agricole. Mais sans l'exploitation agricole du Sahara, l'autosuffisance alimentaire est hors d'atteinte. L'Occident produit et l'Algérie consomme. En cet automne 2016, les hausses des prix s'accélèrent, les conditions de vie des pauvres, des travailleurs et des couches moyennes se détériorent. Il y a un seuil au-delà duquel le chômage, les inégalités sociales, les prix élevés des produits de première nécessité accroissent le phénomène d'exclusion, créent les conditions de pauvreté, suivies d'une détresse et d'une angoisse qui engendrent les conflits sociaux. Des millions d'Algériens vivent en-dessous du seuil de pauvreté, dans la précarité organisée qui a tendance à s'institutionnaliser. Pour les partis du pouvoir, le FCE et l'UGTA, tout est pour le mieux ; pour le peuple, ça ne peut pas aller plus mal. La jeunesse est pénalisée, son avenir est bloqué, ses possibilités d'emploi sont compromises. Le pouvoir donne encore plus à ceux qui ont déjà trop, ce qui est le comble de l'injustice. Les dirigeants s'enrichissent par milliards, s'enrichissent toujours plus en détournant et confisquant les richesses nationales. Les syndicats autonomes Une réflexion profonde est nécessaire sur le rôle des syndicats autonomes, qui sont devenus une force sociale. Leurs grèves, qui ne sont que de classiques conflits de travail, ne changeront pas de dimension et de nature pour devenir une véritable contestation politique. Une fin de non-recevoir opposée aux revendications des grévistes doit en principe politiser les syndicats autonomes, qui sont les bienvenus au sein de l'opposition nationale. Le mouvement de grève a impressionné par son caractère maîtrisé et contrôlé. Les syndicats autonomes luttent sur trois fronts : l'emploi pour dépasser les clivages entre les chômeurs exclus du monde du travail et les salariés, le pouvoir d'achat, la protection sociale. L'UGTA est intégrée au pouvoir politique, alors que l'aspiration des travailleurs est de ne pas dépendre du pouvoir ou de faire jouer tel de ses clans contre tel autre pour demeurer l'instrument du pouvoir. Les partis du pouvoir transmettent les orientations et directives du président et appliquent son programme Bouteflika, conscient du malaise général, a cédé du terrain à l'opposition, mais s'est rapidement repris pour que cela n'apparaisse pas comme étant un signe de sa faiblesse et de son désarroi. Dans son message adressé au peuple algérien le 5 juillet 2015, il a tenu à saluer les acteurs de l'opposition : «C'est là le message que j'adresse à la classe politique du pays et en premier chef aux acteurs de l'opposition à laquelle j'exprime ma considération.» Des partis avisés ne doivent pas dire que la seule solution est le chaos, le sang et les larmes, mais retenir la leçon apprise par Louis XVIII : «Ce qui bouge trop meurt vite.» Ils doivent s'abstenir de slogans incantatoires, d'une terminologie populiste, avec un besoin permanent de se justifier, d'expliquer, de convaincre. Il faut éviter les dramatisations. Les partis montent dans le dernier wagon de l'opposition après avoir été évincés par le pouvoir et veulent donner l'impression qu'ils marchent plus vite que la locomotive et qu'ils sont les conducteurs du train. La liberté d'expression et la liberté de la presse Le ministre de la Communication, homme du sérail, thuriféraire du pouvoir, ne cesse, depuis le 23 octobre 2016, de répéter que le Président a fait de la presse algérienne la plus libre au monde. Il a oublié, à dessein, de dire que le pouvoir exécutif s'est donné la maîtrise directe des grands médias de communication, l'ENTV et les radios, et qu'il a utilisé tous les moyens de pression pour que le groupe El Khabar ne tombe sous la coupe d'adversaires du pouvoir. La liberté d'expression connaît de nombreuses entraves, pressions et manipulations du ministre de la Communication. L'ENTV, qui doit être le lieu de débat où doivent s'exprimer toutes les opinions, celles de l'opposition politique, est celui du mépris des faits, de l'intox et des manipulations. Elle sait bien que les mandats du président Bouteflika n'ont pas dépendu du choix du peuple, mais du système politique qui lui a assuré une victoire à la Pyrrhus sans risque et sans gloire. La liberté d'expression et garantie par l'article 19 de la déclaration universelle des droits de l'homme, l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et par l'article 9 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Le FLN est dans la tourmente Le FLN, créé le 23 octobre 1954, est un Front ; le FLN de l'indépendance est un parti illégitime et instable. Front et parti sont antinomiques. Le FLN doit prendre un autre sigle. La décision du Président relative à Amar Saadani était mal préparée, difficilement comprise et mal acceptée. Après l'élimination de Saadani de la direction du FLN, une nouvelle et implacable épreuve de force s'annonce entre le Président et l'état-major de l'armée. Il y a rivalité et divergence de stratégie au sommet de l'Etat et certains signes marquent une rupture entre le Président et le chef d'état-major de l'armée. Le Président a allumé le feu dans de nombreux domaines et l'armée ne veut plus jouer le pompier pour éteindre l'incendie. Il a semé le vent, il récoltera la tempête. Le pouvoir, usé et discrédité, n'a plus les ressources regénératrices pour durer Le Président, qui ne se soucie ni des lois du pays, ni de la Constitution qu'il modifie à sa guise, ni des conventions et pactes internationaux qu'il a fait ratifier par le Parlement, a placé l'Algérie en tête du palmarès des atteintes aux droits de l'homme. Le président Bouteflika élimine tout autre pouvoir que le sien. Il a appliqué l'esprit et la lettre de la formule de Machiavel : «Diviser pour régner.» Il semble vouloir être après avoir été. Il faut porter un regard d'une grande lucidité sur ses collaborateurs qui lui demandent d'opter pour un 5e mandat et, plus encore, un mandat à vie. Installer dès maintenant le poison de la présidentielle de 2019 est mortifère. Un pouvoir qui s'avère incapable de résoudre les problèmes auxquels il est confronté est décadent. Il va faire les frais de la division des clans du pouvoir, d'une partie de l'armée, du DRS, du FLN et de l'opposition nationale. L'Etat a été accaparé par des clans, l'esprit de tribu et de famille a été confondu avec le service de l'Etat. Le pouvoir est affaibli par le déficit démocratique, l'éclatement des clans du pouvoir, l'effet de sape d'attaques convergentes des adversaires de la dictature, le poison des affaires, la corruption, l'échec économique, social et culturel. L'Algérie est une ruche où les abeilles sont dirigées par des guêpes. Le parcours du Président s'achève dans la confusion. Le changement se fera par la voie politique et non par la violence L'Instance de concertation et de suivi de l'opposition (ICSO), animée de rigueur et de cohésion, solidement implantée, avec ancrage populaire et maillage politique sur l'ensemble du territoire, rassemble et mobilise les forces politiques et sociales, toutes sensibilités confondues, pour un changement du système politique et un changement de pouvoir. La transition qu'elle a tracée dans ses grandes lignes mènera à la deuxième République, qui est une nécessité et une obligation pour redresser le pays parce que les Algériens, dans leur grande majorité, manifestent leur rejet de la dictature et aspirent à la démocratie, à la liberté et à la justice. Les Algériens ont besoin de cohésion nationale et de cohésion sociale pour vivre les uns avec les autres et non les uns contre les autres.