Le 24 novembre 2015, un attentat contre un bus de la Garde présidentielle faisait 12 morts parmi les agents. Un an après, la Tunisie vit toujours sous état d'urgence. Même si la menace persiste, certains s'interrogent sur la nécessité de le maintenir. Najib Saadouni, Amor Khayati, Jamel Abdejlil… Ils étaient sous-lieutenants, sergents ou même capitaines dans la Garde présidentielle tunisienne. Le 24 novembre, un certain Houssem Abdelli, dit Abou Abdallah Al Tounissi, est monté dans leur bus, sur l'avenue Mohamed V à Tunis, et a déclenché sa ceinture d'explosifs. Bilan : 12 morts et 24 blessés. Après l'attaque du musée du Bardo dans la capitale, où 21 touristes ont été tués le 18 mars, et la fusillade sur la plage de Sousse, le 26 juin, au cours de laquelle 39 personnes ont trouvé la mort, l'attentat contre la Garde présidentielle, encore revendiqué par le groupe Etat islamique (EI), clôture une année 2015 particulièrement meurtrière pour la Tunisie. Et ce n'est pas fini : un peu plus de trois mois plus tard, le 7 mars 2016, signe d'une dégradation sécuritaire entamée depuis fin 2012, des combattants de l'EI attaquent Ben Guerdane, petite ville de 50 000 habitants dans le Sud-Est tunisien, à la frontière avec la Libye. En dépit du nombre de morts (plus de 50 dans les deux camps) et des affrontements entre groupes armés et forces de l'ordre dans la zone sud-ouest, l'année 2016 aura toutefois été plus calme. Officiellement, les politiques le reconnaissent. Aujourd'hui, «la situation sécuritaire est stable. Je dirais que nous ne sommes pas plus menacés que d'autres pays au monde», avait annoncé, début novembre, le chef du gouvernement, Youssef Chahed. En juillet, l'ex-Premier ministre, Habib Essid, s'était même réjoui d'un premier mois de Ramadhan sans attaque depuis 2012. «Nous avons énormément investi en équipements militaires et aussi en ressources humaines pour sécuriser le pays», a fait valoir Youssef Chahed. Plusieurs pays européens (Allemagne, France, Grande-Bretagne) ainsi que les Etats-Unis ont renforcé leur coopération. Pour autant — et c'est un peu le paradoxe — rien ne justifie que soit levé l'état d'urgence. Le 15 octobre dernier, le président Béji Caïb Essebsi l'a même de nouveau prolongé pour trois mois, jusqu'à janvier 2017. Ce qui soulève chez les ONG, comme Human Rights Watch, et même chez les députés de nouvelles questions. «L'état d'urgence ne donne pas aux gouvernements un chèque en blanc pour réprimer les droits», souligne Amna Guellali, directrice du bureau tunisien de Human Rights Watch. «Pour être légitimes, les mesures exceptionnelles, telles que les assignations à résidence, doivent être limitées dans le temps et pouvoir faire l'objet d'une procédure d'appel». L'ONG relève que le recours aux assignations à résidence à l'encontre d'au moins 139 personnes dans le cadre de la déclaration de l'état d'urgence en novembre 2015 provoque «la stigmatisation de nombreux individus, qui sont dans l'incapacité de poursuivre leurs études ou de se rendre à leur travail». D'après les normes internationales, les assignations à résidence sont considérées comme une forme de détention et elles doivent respecter certaines garanties pour être considérées comme légitimes, même en cas d'état d'urgence. En juillet dernier, l'ONG avait déjà mis en garde le gouvernement contre le risque de dérive en matière «de droits humains et de libertés fondamentales». La menace persiste Sur la scène politique, un groupe de députés, mené par Riadh Jaïdane, président du mouvement L'appel des Tunisiens à l'étranger et membre du Centre d'études et de recherche en droit administratif, constitutionnel, financier et fiscal (CERDACFF) relève le caractère «non constitutionnel» de l'état d'urgence. «En effet, explique-t-il, la nouvelle Constitution, adoptée en janvier 2014 prévoit clairement dans son article 49 que tout limitation des droits et des libertés doit être fixée par une loi, c'est à dire un texte voté par le Parlement.» Et non pas une prorogation décidée par le Président. Dans les faits, la menace persiste. Des islamistes armés se déplacent toujours dans les montagnes du Sud-Ouest. Au début du mois, un militaire a été tué à son domicile dans la région du mont Mghilla, un des principaux repaires de djihadistes du pays. Son assassinat a été revendiqué par l'EI. «Pas une semaine ne passe ou presque sans que la police démantèle une cellule terroriste ou saisisse des armes et des munitions», confie un responsable sécuritaire. Il y a dix jours, cinq caches d'armes, dont certaines particulièrement fournies, ont été découvertes dans le Sud, où un «système d'obstacles» sur la moitié des 500 km de frontière avec la Libye a été érigé. Mercredi, une cellule terroriste composée de quatre individus a été démantelée, dans la ville tunisienne de Kalaat Senan (gouvernorat du Kef). «La cellule est conduite par un professeur de l'enseignement secondaire», a précisé l'agence de presse tunisienne, la TAP, ajoutant que des documents appelant à «combattre les forces armées et militaires ont été trouvés dans la maison du suspect». Mais la lutte antiterroriste n'est pas le seul motif derrière le maintien de cette mesure, selon l'analyste Tarek Belhaj Mohamed, qui y voit aussi une conséquence des «tensions sociales croissantes». En janvier, en plus de l'état d'urgence, le gouvernement avait décrété plusieurs jours de couvre-feu nocturne en réponse à la plus importante contestation sociale depuis la révolution de 2011, partie du centre défavorisé. Le maintien de l'état d'urgence inquiète la société civile. «Ce n'est pas l'état d'urgence qui va en finir avec le phénomène terroriste, juge Messaoud Romdhani, de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH). Les solutions se trouvent dans la résolution des problèmes socioéconomiques et dans le développement de l'enseignement et de la culture.»