Ils sont jeunes et découvrent qu'ils sont séropositifs. S'il y en a qui sont admis par leurs familles, d'autres, au contraire, sont totalement rejetés. Aujourd'hui, ils assument et vivent leur vie. Témoignages. «Je suis séropositif et je croque la vie!» Adam*, 35 ans, est un Algérois célibataire. Il aprend qu'il est sidéen depuis deux ans. Il nous raconte : «J'ai été contaminé suite à une relation sexuelle non protégée. J'étais en voyage avec des amis et notre seul objectif était de nous amuser... Quelques semaines après, lors d'un autre voyage avec mon meilleur ami, on a croisé, un soir, un groupe de jeunes d'une association de lutte contre le sida, distribuant des préservatifs et des prospectus expliquant tout sur la maladie. Avec mon ami, nous avons été tentés par le dépistage, nous l'avons fait… et là quelle surprise !» C'est un diplômé et ancien employé d'une entreprise publique, pourtant il est conscient de la maladie. «Je savais que cette maladie existait, qu'on risquait de l'attraper en cas de relations non protégées ou de contact avec du sang contaminé…Je suis plutôt de ceux qui disent que cela n'arrive qu'aux autres. Mais je n'ai jamais imaginé que ça pouvait m'arriver, ce n'est pas un oubli, mais juste une négligence et un manque de responsabilité… Une négligence qui me coûte très cher.» Certes, Adam a traversé des moments difficiles, il a passé ses premières semaines après le diagnostic seul, enfermé et découragé. «Beaucoup de questions me taraudaient. Que vais-je dire à mes parents et à mes frères ? Comment vais-je me soigner ? Combien de temps me reste-il à vivre ? C'était très dur», se souvient-il. Pour surmonter cette situation, Adam a pris la bonne décision de ne pas se laisser faire et de se battre contre la maladie. Sa famille l'a soutenu, ses frères l'ont aidé à se prendre en charge, car il a été obligé de démissionner de son poste. Aujourd'hui, il a quitté le domicile de ses parents et vit seul avec sa sœur qui le prend en charge. Il s'occupe en travaillant à domicile, malgré les aides de son frère qui veille sur lui, lui permettant de poursuivre le même rythme de vie qu'avant. «Peut-être pas de la même façon qu'avant, malgré ma maladie, je continue à savourer la vie et me faire plaisir. Ma famille et mes vrais amis à mes côtés m'ont beaucoup aidé, je fais partie d'un entourage cultivé qui ne m'a pas abandonné. La seule fois où une personne s'est éloignée de moi à cause du sida est quand j'ai annoncé à une femme que j'ai connue que je suis séropositif», conclut- il. Peste Si Adam a eu l'avantage d'être soutenu par sa famille, Sabrina, elle, n'a pas trouvé de soutien. A 27 ans, alors qu'elle faisait un simple bilan en vue d'une intervention chirurgicale, le médecin l'a invitée à le refaire et lui annonce, après les deuxièmes résultats, qu'elle est séropositive. «C'était un choc pour moi, je n'arrivais pas à y croire et je me suis faite dépister près de cinq fois avant d'accepter la réalité», raconte la jeune femme qui préfère ne pas nous divulguer les détails de sa contamination. Et de continuer : «Quand j'ai annoncé ma maladie à mes parents, j'ai été chassée de la maison, mes sœurs m'ont abandonné, le mari d'une d'elles a même interdit à ses enfants de me voir… Je me suis retrouvée seule, tout le monde me fuyait comme la peste.» Du jour au lendemain, Sabrina se retrouve abandonnée par sa famille et stigmatisée par ses amis et ses voisins qui la pointent du doigt. Elle n'a trouvé refuge que chez une cousine lointaine qui l'aide toujours à survivre en plus des dons des associations. «Je n'oublierai jamais le bien qu'elle m'a fait, au moment où tout le monde m'a mise sur la liste rouge, elle ne m'a pas laissé tomber, pourtant elle n'était pas appelée à le faire.» Depuis, sa famille ne la cherche plus. Elle tente de se reconstruire. Elle loue un studio, suit son traitement, travaille dans la broderie et essaie de se prendre en charge attendant désespérément un changement. L'histoire de Hakim, la cinquantaine, n'est guère différente de celle de Sabrina. Marié et père de deux garçons, il a été abandonné par sa femme qu'il a contaminée et ses enfants qui ne veulent plus entendre parler de lui. «Ils me reprochent d'avoir transmis le VIH à leur mère et la honte que je leur fait vivre… Je les comprends», témoigne-t-il. C'est lors d'une relation sexuelle non protégée et hors mariage que Hakim a été contaminé. Il ne s'est pas tout de suite rendu compte de sa contamination et l'a ensuite transmis à sa femme, lors d'une relation non protégée aussi. «Mon diagnostic s'est fait par un coup de chance ! Un soir, alors que j'étais avec un ami médecin, j'ai eu un malaise et ce dernier m'a obligé à faire des analyses pour voir ce qui n'allait pas… Deux semaines après, les résultat indiquaient que je suis porteur du VIH. Je n'ai rien compris et je refusais de voir la réalité en face ! Après avoir discuté avec mon ami, il m'a convaincu d'en parler avec ma femme et mes enfants afin qu'ils procèdent eux aussi à un dépistage de la maladie. Malheureusement, les résultats ont confirmé que ma femme aussi est séropositive.» Comme Sabrina, Hakim a été oublié par ses frères et sœurs. Il vit seul face au rejet de la société et n'arrive pas à retrouver sa vie d'avant. Efforts Ces cas ne sont évidemment pas isolés. Dans tout le pays, plusieurs milliers d'Algériens sont porteurs du VIH. Certains le savent parce qu'il ont eu le courage d'aller se faire dépister, d'autres pas. Il y en a qui continuent à profiter de la vie malgré le rejet et la stigmatisation de l'entourage, mais d'autres se retrouvent malheureusement abandonnés, découragés et plongés dans un silence qui les empêche même de se soigner. Aujourd'hui, on dénombre au total sont 10319 cas récents dans le pays. Selon Adel Zeddam, directeur du Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (Onusida) en Algérie, affirme : «Du 1er janvier au 30 septembre 2016, 476 nouveaux diagnostics d'infection VIH ont été recensés, dont 255 hommes et 221 femmes, selon le Laboratoire national de référence (LNR) VIH/sida-Institut Pasteur. Ce qui nous fait un cumul de 10319 personnes diagnostiquées, 5620 hommes et 4699 femmes, depuis le début de l'épidémie en 1985.» Par ailleurs, selon le docteur Ahcène Boufenissa, président de l'association Solidarité AIDS et membre du comité national de lutte contre le sida, sur le plan épidémiologique, «cette épidémie à faible prévalence est concentrée chez certaines populations. On a la population jeune, les hommes en uniforme, les migrants. On ce qui concerne le public cible ou les tranches de la population les plus exposés, on a les travailleurs du sexe, les homosexuels et les utilisateurs de drogue». Selon les experts, les chiffres avancés sont à revoir et vont augmenter de plusieurs milliers dans quelques années. «Officiellement, le Laboratoire national de référence déclare depuis le début de l'épidémie, 1719 cas de sida et 8600 cas séropositifs. Ces chiffres sont malheureusement pas exacts. En matière de sida, aucun pays n'est capable de donner le nombre des personnes touchées par le VIH, si on n'a pas fait le dépistage. Donc ces chiffres sont à revoir», explique le professeur Abdelouahab Dif, chef de service des maladies infectieuses à l'hôpital El Kettar et président du comité national de lutte contre les IST/VIH/sida Sensibilisation Pourtant, sur le terrain, les efforts pour améliorer cette situation sont ressentis et les experts l'affirment : «La prise en charge globale des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) a connu une réelle avancée caractérisée par le renforcement de la prise en charge médicale des PVVIH. Les centres de référence pour la prise en charge de l'infection VIH sont passés de 8 en 2014 à 15 en 2015, répartis selon les 5 régions sanitaires et la densité de la population. Un taux de couverture en Antirétroviraux (ARV) à 85% et un accès durable aux traitements ARV et à leur observance (taux de mortalité inférieur à 5 %)», souligne Adel Zeddam. Sur cet avis, le Dr Ahcène Boufenissa le rejoint, mais il relève quand même un point noir : «Ce qui est à déplorer est la prise en charge et le soutien psycho-social du malade qui est très faible. Par ailleurs, avoir le VIH/sida est devenu aujourd'hui une maladie de longue durée ou chronique, la prise en charge devient lourde et il y a beaucoup de besoins qui tournent autour, comme l'appui psychologique, l'accompagnement psycho-social, le soutien des démunis et des personnes vulnérables...» Tout en mettant l'accent aussi sur la stigmatisation qui, selon lui, «joue un rôle de freinage et ne laisse pas les choses progresser». Concernant la sensibilisation de la population, l'Onusien Adel Zeddam et le Dr Ahcène Boufenissa parlent d'un travail de proximité avec les tranches de la société les plus vulnérables et exposées au risque du VIH. «Les principaux défis sont relatifs au développement de l'accès à la prévention et aux connaissances sur le sida parmi les populations vulnérables et les plus exposées au risque par la mise en œuvre de programmes de proximité et à l'évaluation des actions de communication et à l'amélioration de la coordination entre les différents intervenants», explique Adel Zeddam. Et de continuer : «Concernant la structure globale de protection sociale en Algérie, elle est très développée en raison de l'engagement des différents secteurs dans la riposte au sida, les PVVIH bénéficient de prestations sociales offertes par les différents mécanismes et dispositifs nationaux, sans oublier l'appui psycho-social, résultat d'un partenariat, avec les secteurs gouvernementaux et partenaires au développement, pour l'accès aux activités génératrices de revenus (AGR) et l'autonomisation des femmes mené dans le cadre d'une expérience pilote.» Famille Le président de l'association AIDS Algérie préconise : «La meilleure façon de sensibilisation et de prévention est de travailler avec les tranches de la société les plus exposées, à savoir les jeunes, et encourager le dépistage et que ce travail doit se faire pendant toute l'année, pas seulement une journée.» Pour ce lui, les campagnes de sensibilisation existantes restent toujours «insuffisantes, car l'Algérie est un pays vaste et pour bien sensibiliser, il faut arriver à des coins reculés et cela nécessite beaucoup de moyens dont on ne dispose pas». Le chef de service des maladies infectieuses à l'hôpital El Kettar, le Pr Abdelouahab Dif, lui, met l'accent sur la sensibilisation auprès des adolescents et le rôle de la famille. Il explique : «Le sida est un sujet dont il faut discuter en famille. Il faut parler aux enfants de cette maladie et de sa transmission. La plupart des malades qu'on reçoit au niveau de l'hôpital El Hadi Flici (El Kettar) nous disent : ‘Je ne le savais pas ! Donc ce sont ceux qui ne savent qui se font contaminer, mais ceux qui connaissent cette maladie savent comment elle se transmet, comment se protéger. Maintenant s'ils sont au courant de tout cela... ça devient une autre histoire et un choix personnel. Ajoutant : «Il ne faut pas que nos jeunes ignorent les causes du sida, mais il y a plusieurs manières de le faire. On ne parle pas de la même façon à un adolescent au lycée, qui n'est pas encore entré dans l'âge de la sexualité, comme on parle avec une personne qui a 23 ans ! En ce qui concerne l'adolescent, il y a l'enseignant du lycée qui doit être formé pour ça et on a la famille et c'est surtout le père qui doit se charger de cette éducation.»