Avec à peine 10% de taux de recyclage, l'Algérie ne figure pas sur la liste des nations qui valorisent le plus leurs déchets dont le volume est pourtant en augmentation avec la croissance démographique et celle de la consommation. On estime à près de 23 millions de tonnes la quantité de déchets solides générée annuellement en Algérie, dont plus de la moitié est constituée de déchets ménagers et assimilés (DMA) - entreprises, hôpitaux, écoles, collectivités, etc. - représentant la part la plus importante des déchets solides générés en Algérie, soit autour de 11 millions de tonnes par an en 2014. Un Algérien génère en moyenne près de 1 kg de DMA par jour. La quantité de ces déchets augmente annuellement de 3%, selon les chiffres de l'Agence nationale des déchets (AND). Une étude allemande (GIZ) a estimé à plus de 2,5 millions la quantité annuelle des déchets industriels. Les déchets ne manquent pas, mais c'est le sort qui leur est réservé qui pose problème. Près de la moitié des déchets ménagers et assimilés sont déversés dans des décharges . La mise en décharge est considérée comme une pratique moins coûteuse par rapport à l'incinération ou le compostage, explique-t-on à l'AND. En 2002, le gouvernement avait adopté le programme national de gestion des déchets municipaux qui prévoyait notamment la mise en place d'un système de tri sélectif et l'éradication des décharges sauvages. On ne peut pas dire que depuis le résultat soit spectaculaire. Le tri sélectif reste assez confiné et les décharges sauvages pullulent un peu partout, à l'intérieur même des villes. Faute de moyens financiers, les communes et les entreprises en charge de la collecte sont dépassées. Dans ces conditions, quelle place pour le recyclage, sachant que les déchets sont collectés sans être triés, autrement dit difficile à recycler ? Pour Brahim Djemaci, expert en économie de l'environnement, «afin que le recyclage et la valorisation des déchets se développent en Algérie, il nous faut tout d'abord établir une liste des déchets recyclables et valorisables : pour les déchets municipaux, on trouve le plastique, le verre, le carton, etc. ; pour les déchets électroménagers (tous les appareils récupérés ou réutilisés), les voitures en fin de vie…». Seulement, pour les valoriser, il faut aussi pouvoir les collecter et les mettre à la disposition d'une industrie de recyclage, ce qui est loin d'être facile. Certains ont quand même tenté l'expérience à travers des micro-entreprises. «Nous avons un gros problème de récupération», témoigne Saïd, propriétaire d'une entreprise de récupération et de recyclage de plastiques et de métaux. Quand il s'agit d'entreprises publiques, «il faut passer par les enchères et là, tout le monde peut se mêler même ceux dont ce n'est pas le métier, mais les déchets de valeur comme le fer et le cuivre sont réservés à une minorité.» «Si tu connais le commissaire priseur, c'est bon. Sinon, il ne faut pas trop espérer», témoigne Abderraouf, qui gère une petite entreprise de recyclage de plastique depuis une dizaine d'années pas loin d'Oran. Le plastique est le deuxième déchet le plus généré par notre mode de consommation et celui dont le volume a le plus augmenté ces dernières années. Sa part dans la structure des Déchets ménagers et assimilés (DMA) a augmenté d'un tiers entre 2010 et 2014 . INFORMEL L'une des solutions, c'est de se diriger vers l'informel. «Il y a des parcs clandestins qui sont improvisés ici et là et nous y allons pour acheter ce qui peut nous intéresser. On y trouve de tout. Du plastique, du verre, des métaux, du bois, etc.», nous dit notre interlocuteur. Selon Brahim Djemaci, «il y a une concurrence faite par le secteur informel des récupérateurs des déchets qui est bien structuré». Certaines études ont montré que l'informel intervient à tous les nivaux ; la pré-collecte au moment de l'enlèvement des ordures (par les éboueurs), à travers des collecteurs-trieurs au niveau des décharges sauvages, des récupérateurs ambulants (dans les quartiers) et des récupérateurs intermédiaires qui jouent le rôle de revendeur pour les industries ou les exportateurs. On a estimé en 2009 que plus de 1000 personnes activaient dans la décharge de Oued Smar, dont près de 60% sont âgés entre 10 et 18 ans (Impact social et environnemental du secteur informel des déchets solides, B. Djemaci, M. Kertous, S. Zerzour). Dans la désorganisation, c'est donc un pan entier du processus de collecte et de tri qui se fait dans le circuit parallèle. Pour Brahim Djemaci, l'urgence réside dans «la collecte et la précollecte des déchets avant le traitement et le recyclage», estime Brahim Djemaci. Il faut maîtriser la collecte des déchets «par des opérateurs spécialisés. Les communes qui assurent cette tâche sont loin de la professionnalisation de ce secteur. Il faut généraliser les EPIC comme le cas de Net-Com dans tous les wilayas». Ensuite, la précollecte «nécessite la mise en place des bacs selon les caractéristiques de chaque commune ou de chaque quartier. La politique des bacs en plastique n'est pas efficace vu la composition des déchets avec plus de 70% de matière organique, ce qui engendre des lixiviats autour de ces bacs», estime-t-il. Mais quand on trouve la marchandise, se pose ensuite le problème de son prix qui n'a aucune base logique et est fixé d'une manière aléatoire. Par exemple, on peut compter 3 dinars le kg pour le carton et entre 18 et 25 dinars pour le plastique. Mais aucun de nos interlocuteurs n'est en mesure de nous donner un chiffre précis. «Le marché n'est pas organisé. Les prix changent. Cela dépend parfois du vendeur, parfois de l'acheteur. Dans le plastique, c'est saturé», explique Djamel, également recycleur de plastique dans la région de Constantine. «Les entreprises privées vous vendent leurs déchets à un prix que vous ne pouvez pas vous permettre. On dirait presque qu'elles vous font une faveur. Malheureusement, on n'a pas le choix», regrette Abderraouf. Là encore, la solution vient de l'informel où les prix sont sensiblement différents. «Si vous payez le kg à 120 dinars chez l'industriel privé, vous pouvez l'avoir entre 40 et 70 dinars dans l'informel», nous explique-t-il Mais si les déchets existent, on ne peut pas en dire autant des entreprises désireuses de les valoriser. Ceux qui s'y sont hasardés parlent d'un investissement difficile avec beaucoup d'obstacles sur le chemin. «Simplement pour organiser la logistique autour de la récupération, c'est problématique», explique Saïd. Obstacles Beaucoup d'entreprises travaillent dans l'informel sans registre de commerce, d'autres occupent des locaux de fortune. «Il faut avoir un gros capital et un gros local pour pouvoir faire du volume. Nous employons à peine 5 à 6 travailleurs car nous avons une petite capacité, un petit local, mais il y en a d'autres qui ont la capacité d'avoir 30 à 40 ouvriers», abonde dans le même sens Abderraouf. Globalement, on estime que les investissements dans le recyclage restent faibles. L'AND a recensé en 2015 à peine 88 micro-entreprises spécialisées dans la valorisation des déchets dont 60 seulement opérationnelles. «Le nombre d'entreprises ne peut pas faire face au volume et au type des déchets recyclable», souligne Brahim Djemaci. «Ce sont de petites et moyennes entreprises en général, des entreprises créées dans le cadre de l'Ansej. La logique des entreprises est qu'elle cherchent à maximiser le profit en minimisant les coûts et comme le volume des déchets recyclable reste assez grand pour réaliser cet objectif, les investisseurs ne s'intéressent pas sachant que ce secteur demande une technologie très développée et qui réponde à certaines normes environnementales», dit-il. «La majorité des entreprises ont une capacité de traitement de deux tonnes par jour, ce qui est peu», croit savoir Djamel. Dans son entreprise, il collecte le plastique sale qui ensuite sera broyé et traité pour être vendu sous forme de granulés, mais ce n'est pas toujours évident. «Parfois, nous avons des problèmes pour l'acquisition des machines. Une machine peut coûter 6 millions de dinars. Une chaîne complète (broyeur, déchiqueteur, séchoir...) peut aller jusqu'à 10 millions de dinars.» Réticences L'autre facteur de réticence est «l'absence des circuits claire de récupération par matière. Qui doit faire la collecte sélective ? Qui assure la transformation des matières collectées ? Quel mode de financement dois être mis en place pour assurer la gestion de la collecte sélective ?» s'interroge Brahim Djemaci. Par ailleurs, «le prix de la matière première vierge (non recyclée) peut être importé au moindre coût par rapport aux prix des matières recyclé (généralement avec qualité inférieure)», fait-il remarquer. Pourtant, certains reconnaissent que la concurrence dans le domaine a sensiblement augmenté ces dernières années. Abderraouf se souvient qu'au démarrage de son activité, il était seul dans une petite ville à la périphérie d'Oran. Aujourd'hui, ils sont 33. Son chiffre d'affaires en a pâti puisqu'il a été divisé par quatre en quelques années. «On arrive tout juste à nous en sortir. Avant, nous faisions 400 millions de centimes de chiffres d'affaires. Aujourd'hui, on est à 20 millions de centimes par mois», déplore-t-il, ne cachant pas son intention de changer d'activité. Un importateur d'équipements et de machines de recyclage confie que le marché se porte tellement bien qu'il a vu la demande sur ses produits exploser. Selon lui, «plus de 250 000 demandes sur ce type de matériels et équipements seraient enregistrés au niveau de la CNAC et de l'Ansej». Un chiffre que nous n'avons pas été en mesure de confirmer. «Enfin, quand le recyclage est difficile, on fait des prestations pour d'autres entreprises.» La société de Saïd, par exemple, fait de l'enlèvement, le traitement et le transport de déchets industriels solides et liquides auprès des entreprises industrielles. «On se débrouille comme on peut.» Même si les choses avancent lentement sur le terrain, le ministère de l'Environnement s'était fixé il y a deux ans un taux de recyclage de 40% en 2016. Un programme d'action a été mis en place pour optimiser la gestion des déchets et comprend la réalisation de 146 décharges contrôlées, 126 CET de classe II, 54 de classe III, 32 déchetteries et 29 centres de tri. Pour Brahim Djemaci, «si on fixe des objectifs pour 2020 ou 2025 à 20% du gisement, nous réaliserons des économies très importantes.»