Etonnante trajectoire que celle du premier avocat algérien, admis en stage en 1891. Il est le petit-fils du premier «maire» d'Alger, le «Maure» Ahmed Bouderba, nommé par l'occupant au lendemain de la prise de La Casbah en juillet 1830. 150 ans plus tard, pendant la Révolution, un troisième Ahmed se distingua par son engagement pour l'indépendance nationale. Dans notre article paru dans El Watan, (édition du 8 novembre 2016), nous avions écrit, par erreur, que le premier avocat se nommait Ahmed Bouderbala. En fait, son patronyme était Bouderba et il est le descendant d'une famille tout à fait exceptionnelle au regard de l'histoire algérienne au lendemain de la colonisation en 1830. L'historien Christian Phéline, auteur du livre qui vient de paraître, Les avocats ‘‘indigènes'' dans l'Alger coloniale, aux éditions Riveneuve, nous a apporté quelques précisions glanées lors de ses recherches*. «‘‘Indigène'' naturalisé et premier avocat musulman à avoir prêté serment au barreau d'Alger, Ahmed Bouderba, né en 1868, est le fils d'Ismaël Bouderba (1823-1878), interprète militaire décoré de la Légion d'honneur en 1859 ; comme son cadet Omar, né en 1874 et conseiller municipal d'Alger à partir de 1908 et leur cousin, le docteur Ali Bouderba, conseiller municipal d'Alger de 1900 à son décès en 1907. Né en 1864, ce Ali Bouderba est le fils de Mohamed Bouderba, ancien trésorier du Bureau arabe d'Alger ; naturalisé fin 1902, conseiller municipal d'Alger de 1900 à son décès en 1907. Ahmed Bouderba a surtout pour grand-père le premier Ahmed Bouderba, négociant maure francophone qui déjà travaillait entre Marseille et Alger, et qui fut nommé par le maréchal de Bourmont président de la municipalité d'Alger en récompense de la reddition de La Casbah qu'il avait négociée dès le 4 juillet 1830. Il se rendra fin 1833 à Paris pour participer aux travaux de la Commission d'Afrique alors réunie pour réfléchir sur l'avenir de la présence française en Algérie. Ses positions sont exprimées dans une brochure consultable à la BNF : Bouderba Hamed, Réflexions sur la colonie d'Alger. Sur les moyens nécessaires à employer pour la prospérité de cette colonie (1834), publié par Georges Yver sous le titre Mémoire de Bouderba, Revue Africaine. Journal des travaux de la Société historique algérienne, 1913». On a aussi quelques éléments de cette mission dans le livre de Gilbert Meynier, L'Algérie révélée, sa thèse de 1981 sur la guerre de 14-18 en Algérie. Christian Phéline nous apprend également que la généalogie des Bouderba jusqu'au début du XXe siècle et ses principaux membres d'alors sont décrits dans plusieurs ouvrages. Le plus saisissant est que cette famille, qui avait commencé par un lien clairement établi avec la puissance coloniale, évolua rapidement au courant du XXe siècle. Ainsi, «l'avocat Ahmed Bouderba et son frère Omar sont des figures importantes du milieu des notables ‘‘Jeune Algérien'' d'avant 1914 qui recherchent une extension des droits dans le cadre du régime français et en contrepartie des projets de conscription militaire des jeunes musulmans». D'ailleurs, «comme l'un des principaux élus musulmans au conseil municipal d'Alger, Omar conduit la première délégation d'élus algériens (depuis 1833, et avant la délégation d'élus, plus connue, conduite en 1912 par le Dr Benthami) qui se rend à Paris pour faire valoir auprès du gouvernement Clemenceau ses revendications en faveur d'une extension des droits des musulmans Cet épisode est commenté dans mon livre Un Guadeloupéen à Alger, essai biographique sur l'avocat ‘‘indigénophile'' Maurice L'Admiral (1864-1955) paru aux éditions Riveneuve (2014). Son frère, l'avocat Ahmed Bouderba avait, pour sa part, fait une déposition devant la commission parlementaire venue en Algérie sous la direction de Jules Ferry en 1892 et défend des positions ‘‘assimilationnistes'' radicales allant jusqu'à la demande d'extension du code civil à toute la population indigène». Plus tard, alors que la Révolution algérienne a commencé dans les années 1950, «cette même famille donnera encore un autre Ahmed Bouderba, dit “Nani”, qui, étudiant en médecine dans les années 1950, deviendra le médecin de la Zone I de la wilaya III, sera défendu lors de son arrestation par Kaci Ould Aoudia, et fera une carrière de haut fonctionnaire et diplomate après l'indépendance : son rôle et sa figure étonnante de “gentleman anglais” sont évoqués dans les témoignages du Dr Abdel'alim Medjaoui (Ce pays est le nôtre, Casbah, 2000, p. 179) et de Jean Sprecher, A contre-courant, Bouchène, 2000, p. 188». Une famille qui ne laissa pas indifférentes les autorités françaises puisque «une‘‘notice de renseignement'' détaillée, datée du 18 octobre 1956, sur les différents membres de la famille Bouderba au début la Guerre d'Algérie est consultable aux Archives de l'armée, à Vincennes». Voici bien une histoire dont les descendants de cette famille seraient bien inspirés de faire connaître la suite (Contact : [email protected]) * Les lecteurs peuvent aussi trouver à Alger une note de Christian Phéline sur l'histoire des avocats indigènes dans l'ouvrage collectif Défis démocratiques et affirmation nationale Algérie 1900-1962, paru aux éditions Chihab, à l'occasion du Salon international du livre d'Alger.