En ce vendredi de printemps des paysans algériens vont se révolter. Une insurrection qui aura duré en tout et pour tout « pas plus de huit heures », mais qui aura des conséquences terribles pour le petit groupe d'hommes. Aux portes du nouveau siècle, l'embrasement « de quelques heures » du village Margueritte a tôt fait de déclencher la riposte du pouvoir colonial qui ne va pas lésiner sur les exactions. En effet, les représailles vont être terribles charriant les exécutions sommaires d'innocents paysans algériens, ce qui fera écrire au directeur du quotidien le Siècle un des fondateurs de la Ligue française des droits de l'homme : « On a déjà fusillé 16 indigènes, on en aurait fusillé des centaines d'autres si on avait écouté les colons ». Cette « jacquerie algérienne », dont le terme « jacquerie » fait référence aux soulèvements à différentes époques des paysans français contre la noblesse, sera vite étouffée par « une répression de masse ». En cette journée de printemps, celui que ses compagnons et disciples ont baptisé « Le maître de l'heure » « Moul Assaâ » le justicier divin, en l'occurrence Yacoub, l'homme charismatique fera trembler les autorités et l'opinion coloniales en se révoltant contre l'ordre établi et la politique ségrégationniste des colons. Le soulèvement de ce groupe d'hommes descendu des montagnes, armés de fusils et de matraques « des fanatiques indigènes », selon les termes de la population européenne d'Algérie sera suivi le jour même par une rafle. Une incursion punitive menée par l'armée aura lieu à travers tout le Zaccar : « (...) Les zouaves étant en général des fils de colons ou d'étrangers naturalisés, ont été lâchés pendant deux jours dans la contrée et ont pu piller, brûler, violer et prendre pour cible tout ce qui fuyait devant eux ». 400 hommes seront arrêtés et convoyés vers le village Margueritte, dont 125 suspects vont être conduits à la prison de Blida. Une rébellion légitime d'après la presse métropolitaine, en l'occurrence le journal Le Temps qui, sous la plume d'un de ses rédacteurs, écrit : « (...) des impôts, des injustices et des insultes (...) cela n'est pas digne de notre pays et de la République (...) ». La révolte de Margueritte a été le cri de tous les Algériens face à la misère et la dépossession. Au lendemain de cette journée du 26 avril, les Français d'Algérie sont sous le choc. Après le danger juif qu'on brandissait pour réveiller les vieilles peurs chrétiennes à l'encontre du judaïsme. Une politique antisémite menée par Max Régis, responsable du journal « L'antijuif », voilà que la menace fanatique musulmane, par le biais des insurgés de Margueritte, inquiète les colons. Prisons de Blida, Serkadji, Montpellier, les révoltés d'un jour du village Margueritte vont subir les affres des pénitenciers où ils seront emprisonnés non sans que les autorités françaises n'aient saisi leurs biens et terres pour laisser les familles dans le dénuement. A rappeler qu'une vingtaine d'entre eux mourront au cours de leur détention à Serkadji. Transférés à la prison de Montpellier, ils seront jugés en 1903. Au grand dam des colons, aucun parmi les prisonniers ne sera condamné à mort. Néanmoins, les conditions d'emprisonnement auront raison de nombre d'entre eux. Parmi les 107 inculpés ayant survécu, 81 seront acquittés. Yacoub mourra au bagne de Cayenne, deux mois après son bannissement, tandis que son bras droit, Hadj Ben Aicha, succombera aux conditions déplorables du bagne, trois mois plus tard. Christian Phéline, qui n'est autre que l'arrière-petit-fils du magistrat chargé des premiers constats sur les évènements de « Margueritte », revient sur l'insurrection de paysans algériens s'étant déroulée au seuil du XXe siècle dans un hameau proche de la coquette ville de Miliana. L'auteur, à partir de recherches et de documents historiques, fait la lumière sur une rébellion d'hommes atteints au plus profond d'eux-mêmes, pour s'être vu refuser leurs droits les plus élémentaires. Objectivité et intégrité sont les maîtres-mots dont s'est conforté l'écrivain pour donner un ouvrage de grande valeur historique. Leïla Nekachtali « Les insurgés de l'an 1 » Christian Phéline Casbah Editions