Le nom de Jean-Jacques Servan Schreiber, qui vient de mourir à l'âge de 82 ans, est indissociable du journalisme et de la naissance de la grande presse d'opinion en France, au plus fort de la guerre d'Algérie. A 29 ans, celui que l'on surnommera, bien des années plus tard, JJSS va fonder en effet L'Express que rejoindront de grands esprits nommés Jean-Paul Sartre, Albert Camus et François Mauriac. La France était alors à la tête d'un empire colonial qu'elle tenait sous un implacable joug. Cela heurtait les convictions de Jean-Jacques Servan Schreiber qui avait connu l'occupation de la France et les atrocités du nazisme. Issu d'une famille aisée, Jean-Jacques Servan Schreiber avait été destiné par ses parents à une carrière de polytechnicien. Mais une fois le diplôme obtenu, il n'exercera jamais le métier d'ingénieur. Il avait d'autres idées en tête et par-dessus tout celle de jouer un rôle dans la vie de son pays. La France s'était enlisée en Indochine et, en 1953, son armée réputée toute-puissante sera battue. Diên Biên Phu sera une date à partir de laquelle plus rien ne sera comme avant pour l'élite intellectuelle française à laquelle Jean-Jacques Servan Schreiber estimait appartenir pleinement. Il vouait alors respect et admiration à Pierre Mendès France qui paraissait être à ses yeux le seul homme politique de cette époque à prendre la mesure des problèmes auxquels était confronté son pays. La France officielle restait sourde aux appels de jeunes démocrates qui avaient senti le vent de l'histoire tourner en faveur des peuples soumis. L'insurrection en Algérie à l'appel du Front de libération nationale, le 1er novembre 1954, donnera raison à ces jeunes Français qui avaient vu juste au moment où les gouvernements successifs de la IVe République croyaient à une présence millénaire de la France dans ses colonies. Cela ne pouvait rappeller que de mauvais souvenirs et en filigrane l'évocation de ce IIIe Reich que les nazis voulaient impérissable. Aux premiers coups de feu dans les Aurès, Jean-Jacques Servan Schreiber sut que, pour lui, l'heure de l'engagement était venue. Ce sera, pendant une guerre d'Algérie particulièrement ravageuse pour les Algériens, dans L'Express que se diront les vérités les plus fortes sur les exactions de l'armée coloniale. Bien des années plus tard, il est impossible de ne pas évoquer le poids moral de JJSS dans un conflit qui avait profondément divisé les Français aussi. Cette rectitude, cette foi dans la liberté de l'autre sont les marques d'un Juste. Nul aujourd'hui ne peut oublier cette dimension de JJSS. Cela n'a rien à voir avec ses postures politiques dans les années d'après-guerre d'Algérie, ses choix, ses sympathies. Ce dont il faut se souvenir, c'est que le patron de presse qu'avait été JJSS avait été de ces grands Français qui avaient su dire non à l'ordre colonial en se donnant les ressources et l'instrument de ses convictions. Dans les règles de l'art et du respect de la déontologie que JJSS mettait au-dessus de tout. Avec lui, c'est un icone de la presse moderne qui s'en va.