Militante infatigable pour les droits humains, la juriste Nadia Aït Zaï, directrice du Ciddef, Centre de référence sur les droits de l'enfant et de la femme, est aujourd'hui la présidente de la "Fondation pour l'égalité". Liberté : Les travaux de la Conférence africaine sur les violences faites aux femmes s'ouvrent ce lundi à Alger. Quel sera votre message à cette rencontre et plus particulièrement aux dirigeants algériens ? Mme Aït Zaï : Mon message est celui de dire que le mouvement associatif a largement contribué à rendre visible la violence à l'égard des femmes, qu'il a aidé à donner la parole à ces dernières, pour "dire" leur souffrance, par le truchement des centres d'écoute installés. Ces structures ont d'ailleurs mis en place un système d'informations recueillant les données et complétant ainsi les statistiques livrées par d'autres services : médecine légale, services de sécurité. C'est ainsi que des rapports annuels sont établis sur la base des données recueillies par les centres d'écoute. Les associations ont également assuré des services, tels que l'hébergement des femmes en difficulté, dès 1993, et les ont accompagnées sur les plans juridique et psychologique. Il ne faut pas oublier que le mouvement associatif algérien a fait sien, depuis les années 1993 (Vienne) et 1995 (Pékin) et jusque dans les années 2016, l'engagement d'arriver à la criminalisation de la violence conjugale. Il a accompagné le processus d'élaboration de la stratégie de lutte contre les violences faites aux femmes, engagé par le ministère délégué à la Condition féminine, qui a été adopté en 2008 par le gouvernement. Je dirai, pour résumer, que le mouvement associatif féminin est responsable et citoyen, qu'il joue un rôle essentiel pour la cohésion sociale. De ce fait, il se veut être un partenaire à part entière des pouvoirs publics. L'Algérie a signé et ratifié la Cedaw. Pensez-vous que les réserves émises par notre pays sont justifiables ? L'Algérie a ratifié la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination en 1996, soit une année après la conférence mondiale sur les femmes. Certes, nous aurions voulu que cela se fasse avant Pékin, mais nous retiendrons tout de même qu'elle a été ratifiée le 22 mai 1996, avec des réserves sur les articles 2 ; 9 paragraphe 2 ; 15 paragraphe 4 ; 16 et 29. Les réserves ont été faites au nom du code de la famille, qui a été modifié en 2005 : le législateur a introduit l'égalité dans les rapports entre les époux, supprimé le devoir d'obéissance et la notion de chef de famille. L'Algérie s'est engagée à adapter sa législation nationale aux dispositions de la Cedaw. D'ailleurs, le 8 mars 2008, l'Algérie a décidé de retirer la réserve émise sur le paragraphe 2 de l'article 9, relatif à la transmission de la nationalité aux enfants par la mère, après l'amendement du Code de la nationalité algérienne, par l'ordonnance 05-01 du 27 février 2005. La modification du Code de la famille aurait pu mener également à la levée de la réserve sur l'article 2 qui porte sur les engagements des Etats et qui les invitent à condamner la discrimination à l'égard des femmes sous toutes ses formes, et de poursuivre "par tous les moyens appropriés et sans retard, une politique tendant à éliminer la discrimination à l'égard des femmes". Dans ce cadre, il est question de mesures concrètes à prendre, comme, par exemple, l'inscription dans la Constitution nationale ou toute autre disposition législative du "principe de l'égalité des hommes et des femmes" en veillant à l'application effective de ce principe, l'instauration d'"une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d'égalité avec les hommes" et garantir, via les tribunaux et autres institutions publiques, "la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire". La levée de la réserve portée à l'article 2 aurait pu se faire après la modification du code pénal qui incrimine la discrimination. La volonté politique qui s'affiche à travers les discours du président de la République, invite les pouvoirs publics à lutter contre les mentalités qui empêchent l'effectivité de l'égalité. Pour l'article 15 concernant la liberté de circuler, pour lequel l'Algérie a émis une réserve, notre pays s'est engagé auprès du comité de la Cedaw à la lever, car les femmes algériennes circulent librement. Il reste l'article 16 de la Cedaw qui concerne les droits des femmes dans la famille (droit de choisir son époux, droit de conclure son contrat de mariage, égalité entre les époux dans la gestion du ménage), qui a un rapport direct avec le code de la famille. Même si ce code fait encore une large part à la discrimination, il est possible de lever la réserve faite à l'article 16 de la Cedaw. Vous avez été élue dernièrement présidente de la Fondation pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Qu'aimeriez-vous nous dire à l'occasion de ce 8 Mars ? La Fondation pour l'égalité que je préside a été créée pour rendre effectif le principe constitutionnel de l'égalité entre les petites filles et les petits garçons, entre les hommes et les femmes. Nous savons ce principe virtuel et pour le construire, il faut des politiques publiques, il faut engager des actions d'éducation touchant à la fois la famille et le large public. Lorsque nous parlons d'égalité, il s'agit, bien entendu, de l'égalité en droits entre les hommes et les femmes, consacrés par la Constitution et pour laquelle l'Etat s'est engagé à lever tous les obstacles qui entravent l'épanouissement des individus dans l'exercice de leurs droits sociaux, économiques, culturels, politiques et civils. Il est vrai que l'égalité est mal comprise, il est vrai que certains hommes pensent que si on l'octroie aux femmes, ils vont perdre de leur autorité qu'ils ont sur les femmes. De l'autorité, il ne faut pas qu'il y en ait, l'égalité dans les rapports entre les époux a été introduite dans le code de la famille et la hiérarchisation des sexes tend à disparaître. Mais, le vrai débat est ailleurs, il est dans le respect de la dignité humaine et de la reconnaissance de la femme en tant qu'individu tout comme l'est l'homme. En fait, il s'agit également d'éducation. C'est pourquoi, il faut investir sur les enfants dans la famille et à l'école, pour construire une société égalitaire et juste. La fondation s'engage dans la formation, l'information, la vulgarisation des lois à la compréhension de l'égalité et à ce qu'elle se réalise, dans le quotidien. Sans rejet de l'autre, sans haine, sans peur de ce que peut représenter la liberté de la femme. Hafida Ameyar