Deux annonces spectaculaires de lancement de chaînes d'information en continu ont été affichées ces derniers jours : l'une de France et l'autre du richissime et petit émirat du Qatar, pour élargir le spectre de l'offre et ses nouvelles batailles. Ces actions nous apprennent aussi comment, pour la conquête des esprits, leurs décideurs manient gros budgets et entremêlent les langues d'usage. Dans la géographie dressée du monde par les networks, l'actualité des nations et du globe est réduite à l'aune de la pression du temps (faire court) et d'action de propagandes plus ou moins soft, pour construire des réalités du monde décomposées et recomposées sans cesse en aires d'influence idéologique et de pénétration économique. En fil du sillage de la fameuse CNN américaine – network privé qui a le premier réussi à capitaliser autant de dividendes d'argent que de frappes sur l'imagination hors Etats-Unis -, d'autres réseaux sont venus imprimer leurs voix dans une offre concurrentielle où les techniques de communication, l'acharnement des conflits internes et externes aux nations et l'appât de gains formatent souvent le journalisme de reportage à fabrique en série d'images frappantes pour être vendables. La nouvelle chaîne de télévision, France 24, débutera ses émissions, en exclusivité sur l'Internet pendant 36 heures, le 6 décembre prochain, avant sa diffusion sur câble et satellite. Aux yeux de son directeur général, cette opération « inédite de lancement permettra à la chaîne de toucher tous les citoyens du monde. Cette expérience démontrera aussi qu'il n'y a pas que les Etats-Unis à la pointe des nouvelles technologies ! Enfin, pour France 24 et sa rédaction, c'est un moyen d'abolir les frontières entre Internet et le broadcast. » L'auditoire escompté par ses promoteurs est estimé à 250 millions de téléspectateurs. Elle sera gratuite, en clair et en numérique sur l'ensemble de l'Europe, au Proche et Moyen-Orient et en Afrique. Aux Etats-Unis, dans un premier temps, France 24 ciblera spécifiquement New York et Washington. Avec cet argument clef décliné : « Le regard et la sensibilité française qu'elle apportera sur l'actualité mondiale seront ainsi visibles à l'Organisation des nations unies (ONU) et au Fond monétaire international (FMI) ». Le programme d'impact de la CNN française, remis en chantier depuis une décennie rappelons-le, est ainsi défini : « France 24 cible les leaders d'opinion à travers le monde, qu'ils soient des hommes et des femmes de la classe politique, des médias, de l'économie, des organisations internationales ou encore des universités. Nous visons aussi ceux que j'appelle « les nouveaux leaders d'opinion ». Ce public représente 25 à 30 % de la population mondiale. La charte que vient d'adopter la chaîne insiste sur cette mise en avant de la diversité des opinions, sur ce sens du débat et de la confrontation, sans oublier la culture et l'art de vivre à la française ». L'effectif de la rédaction est de 380 personnes. Parmi elles, pas moins de 170 journalistes sont bilingues : français - anglais, français – arabe. Les dirigeants de la chaîne soulignent la singularité d'une rédaction composée déjà de 27 nationalités différentes, à moyenne d'âge de 31 ans. Dès le 10 novembre, ils seront sur le pied de guerre : la chaîne tournera alors à blanc 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. C'est la première fois que la rédaction d'une chaîne d'info s'apprête à s'exprimer en deux langues, français et anglais, simultanément. Les news, les reportages et les magazines représenteront 50 % du temps d'antenne. Et un journal frais sera proposé toutes les demi-heures et toutes les heures. Notre grille doit être très rythmée, les téléspectateurs restants en moyenne entre 3 à 5 minutes, deux à trois fois par jour. En année pleine, le budget va s'élever à 80 millions d'euros, dont 40 millions sont consacrés à l'antenne, 20 millions à la technique et 10 millions à la distribution de la chaîne. Ce budget doit permettre à France 24 de s'imposer dans la guerre mondiale de l'image. C'est un projet indispensable pour renforcer l'influence de la France ». De Doha (Qatar) fêtant ce début novembre ses dix ans d'existence, et ses quelque 50 millions de téléspectateurs revendiqués, El Djazira a eu de son côté une autre spectaculaire annonce : le lancement, pour la mi-mai 2007, de sa filiale El-Djazira International, première chaîne d'information continue, en langue anglaise, basée au Proche-Orient. Des incertitudes sur sa gestion sont nées déjà au sein de la rédaction arabe. Comme pour France 24, le directeur général d'El-Djazira International, journaliste britannique, ancien de la BBC, a assuré que la chaîne emploiera entre 200 et 250 journalistes affectés dans la trentaine de bureaux qu'ils partageront avec leurs confrères d'El-Djazira. « La diffusion des programmes sera décentralisée dans quatre villes : Doha assurera la moitié du temps d'émission quotidienne, l'autre moitié étant partagée entre Washington, Londres et Kuala Lumpur. La majorité des animateurs de la rédaction viennent des grands réseaux anglo-saxons. El-Djazira International, affirme son directeur, sera une chaîne "impartiale", mais qui "ouvrira des perspectives nouvelles". " Nous ne serons pas une BBC-World ou un CNN de plus, ajoute-t-il. Nous voulons être leader sur ce marché. Nous ne serons pas non plus un miroir d'El-Djazira, car nous visons une audience globale. Nous allons vous surprendre." Des questions se posent à la nouvelle chaîne : comment toucher significativement la « cible prioritaire » en Occident, des 18-35 ans issus de la 2e ou 3e génération d'immigrés musulmans, fidélisés déjà par la BBC et d'autres chaînes ? Aux Etats-Unis, les opérateurs du câble, moyen essentiel de transport dans la fourmilière de canaux offerts, El-Djazira International n'a toujours pas trouvé d'hébergement. Côté téléspectateurs du monde arabe, le lien avec El-Djazira chaîne – mère semble plus « naturel » à reproduire. En tout cas, côté recettes de pub assurées, voulue et financée par l'émir du Qatar la nouvelle venue présente déjà toutes les conditions pour faire un nouveau tabac en bourse parmi les mastodontes firmes de la communication/monde.