De pertinents travaux de recherche ont posé ces dernières années (1) de façon significative l'émergence de ces réseaux en nouvel objet d'étude pour esquisser leurs interférences politiques et culturelles au sein des sociétés de la région. Un zoom sur ces travaux, identifiant les acteurs (pouvoir d'Etat et entrepreneurs privés) à l'origine de l'expansion de ces nouveaux acteurs de la mondialisation de la communication, peut susciter des questionnements et observations sur leurs usages. Les mutations observées dans le composite espace audiovisuel arabe participent de deux principaux flux de pénétration – via les antennes paraboliques et le piratage de décodeurs de système de cryptage : ceux des télés satellitaires occidentales (européennes essentiellement) et des panarabes. Le paysage audiovisuel en est bousculé depuis la fin de la décennie 80 ; et de fait s'est instaurée une démonopolisation, malgré les velléités de statu quo des pouvoirs publics. Les modalités de cette démonopolisation déterminent encore, et probablement pour un temps long, les identités des « nouveaux entrepreneurs nationaux de l'audiovisuel » : proches de la famille royale ou princière dominante, ou des antichambres du Palais de la République, ces patrons ne sont pas plus sensibles aux problèmes de la démocratisation, de la culture citoyenne ou des droits humains en général que les bureaucrates gérants les offices de télévisions gouvernementales, tentés aussi par la montée sur satellite. Middle East Broadcasing Center (MBC), et le bouquet de chaînes Arab Radio Television (ART) du prince saoudien Saleh Kamel avec El Djazira, propriété de l'émir du Qatar, s'imposent en réussites éclatantes de ce nouveau secteur d'investissement des pétrodollars, et de conquête des esprits. La force de frappe de ces principaux acteurs du moment réside aussi dans une caractéristique commune – en plus du lourd investissement en pétrodollars débauchant les compétences arabophones du domaine - Londres et Rome ont été leurs patries de lancement. Au-delà il y a une formidable dynamique de création et d'expansion d'autres canaux, notamment depuis 2001, avec les guerres d'Afghanistan et d'Irak et les attentats aux USA de septembre. La chercheuse Tourya Guaaybess, à laquelle on doit le premier ouvrage de référence sur le paysage des télés satellitaires arabes, en dresse un récent état. De son travail novateur retenons au moins l'une de ses hypothèses fortes sur « la fin des territoires médiatiques arabes exclusivement nationaux », déterminés par la classique catégorisation territoire de réception/territoire de diffusion ; le schéma traditionnel confondant l'un dans l'autre. « La fin des territoires traditionnels, écrit-elle, s'applique aux deux territoires mais elle est précipitée par les actions des divers opérateurs. Dans le domaine télévisuel, ces derniers élargissent indéfiniment le territoire de réception à partir de Londres, du Qatar ou de Dubaï. Cette fin des territoires médiatiques nationaux suppose a priori que des productions culturelles existent et circulent hors l'intervention et le contrôle de l'instance étatique. » La chaîne El Djazira qui n'arrête pas de défrayer la chronique médiatique, voire le courroux de Washington, au sujet de sa couverture des guerres dans la région exprime significativement l'ambivalence du modèle de programmation pratiqué par ces nouveaux acteurs : « Son discours tend à faire accroire aussi qu'il véhicule d'abord des réponses cinglantes et contradictoires au point de vue à sens unique et orienté des mastodontes réseaux américains CNN et Fox News » (2). Les réalités, comme souvent, sont plus complexes. Même si El Djazira, pourfend - dans un agenda et des motivations à décrypter – nombre de régimes arabes dans des émissions ciblées pour la cause, elle demeure constamment dans une logique de programmation alignée sur deux règles cardinales : respect total du « modèle féodal pétrodollarisé » de gouvernance de l'Arabie saoudite et des émirats périphériques, notamment le Qatar, et ce que l'on peut appeler un discours générateur de thèses islamisantes, à diverses versions, soft ou hard. La chaîne, du temps où elle fut basée à Londres, a ainsi été résolument porte-voix et images des mouvements intégristes islamistes du monde arabe. A partir de Londres, au milieu des années 90, elle a fait la promotion des GIA algériens et d'autres en mouvements d'opposition politique, leur dressant dans ses magazines et journaux télévisés l'auréole de légitimes combattants contre la tyrannie, et jetant dans le « trou de mémoire » la barbarie qu'ils infligeaient non seulement à leurs contradicteurs mais à toute la société, surtout ses franges les plus démunies. Des recherches abouties permettent de mieux connaître le sens des discours journalistiques de la chaîne (3). Leurs résultats proposent d'examiner dans le discernement comment l'assujettissement au pouoir en place, à partir des points de vue des citoyens de la région, n'a pas subi de réelle révolution. En tout cas pas aussi nouvelle que celles promises par les zaïms des indépendances. On note une tentation de renouvellement du féodalisme ambiant, aussi structurel à déterminer les nouveaux modes de domination, même si elles font résonner des tas de gadgets désignés « modernes ». Ces nouvelles « Lunes industrielles », pour rappeler le mot du pionnier travail de recherche en le domaine du professeur François Chevaldonné restent isomorphes, à l'identique des moules de médias gouvernementaux : respect inconditionnel aux pouvoirs politiques en place qui leur procurent existence ; alignement sur les modèles de télés commerciales occidentales pour pomper le plus de parts de marché publicitaire ; et non respect du droit à l'information des citoyens. Là-dessus Al Djazira, MBC et les autres continueront de se mener une concurrence sans règles au sein du cirque marchand imposé par la mondialisation de la communication.