Les démocrates américains, privés ou tout simplement éloignés des centres du pouvoir, ont mis fin à cet ostracisme, mais, à l'inverse, le président Bush et les républicains, qui exerçaient un pouvoir sans partage, vont devoir le partager et même s'astreindre à de douloureux compromis. Et la bataille ne s'annonce pas de tout repos car, dans deux années, c'est l'élection présidentielle dans laquelle les républicains sans le président Bush, qui n'a pas le droit de se représenter, partent avec un lourd fardeau. Ils n'ont pas réussi à s'en défaire, comme le révèle cette élection de mi-parcours. Quant aux démocrates, ils ont sorti la grosse artillerie, et rien n'exclut si tout va bien pour eux que la Maison-Blanche sera occupée par une femme à partir de janvier 2009. Il pourrait s'agir de Mme Hillary Clinton, réélue avec panache comme sénatrice de New York. Le bilan est net mais pas définitif puisqu'une nouvelle fois, les fameuses machines à voter posent problème comme en 2004. Mais toujours est-il que l'opposition démocrate a conquis mardi la Chambre des représentants et semblait en mesure de s'emparer aussi du Sénat, condamnant le président Bush à une difficile cohabitation due à son impopularité personnelle, à celle de la guerre en Irak et à divers scandales. La Maison-Blanche a reconnu la victoire des démocrates à la Chambre des représentants et a dit sa volonté de travailler avec la nouvelle majorité sur l'Irak, la « guerre contre le terrorisme » et l'économie. En termes de voix, et selon un décompte non-officiel, les démocrates ont gagné 23 sièges à la Chambre des représentants, ce qui leur permet d'en prendre le contrôle, pour la première fois depuis 1994. Le contrôle du Sénat reste suspendu aux résultats du Montana et surtout de la Virginie, où un nouveau dépouillement des voix pourrait être organisé. Les démocrates ont déjà ravi quatre sièges de sénateur aux républicains. Les démocrates savouraient la reconquête de la Chambre des représentants. « Le message ne pouvait être plus clair : il est temps de prendre une nouvelle voie ! », a déclaré Hillary Clinton. La démocrate californienne Nancy Pelosi, qui devrait devenir la première femme à jamais présider la Chambre des représentants, a promis de travailler pour « un changement de direction sur l'Irak ». Les républicains de leur côté appelaient à tirer les leçons de la défaite. Avant même l'annonce des premiers résultats, le président du parti républicain, Ken Mehlman, avait estimé que ces élections devaient être l'occasion pour les républicains de se demander « comment mieux accomplir » leur mission. Le « canard boiteux » Les résultats des sondages sortis des urnes, publiés par les chaînes de télévision, ont révélé l'importance du facteur irakien dans ces élections : près de six électeurs sur dix ont déclaré désapprouver la conduite de la guerre en Irak. Les démocrates avaient tout fait pour transformer ces élections en un référendum sur la guerre en Irak, où plus de 2800 militaires américains ont trouvé la mort. Selon CNN, la corruption était également un sujet de préoccupation majeur (41%) — alors que le parti républicain a été éclaboussé par plusieurs scandales — devant le terrorisme, l'économie, et l'Irak (36%). Quelque 200 millions d'Américains étaient appelés à élire ou réélire les 435 membres de la Chambre des représentants et 33 des 100 sénateurs. George W. Bush doit donc se préparer à deux dernières années de présidence difficiles, et plus encore si l'une des deux parties refuse le compromis que M. Bush n'a lui-même guère pratiqué jusqu'alors. M. Bush a dirigé les Etats-Unis pendant six ans avec une majorité républicaine somme toute acquise à sa cause malgré les réserves des derniers mois, et même avec un parlement rallié derrière lui presque comme un seul homme pendant plusieurs mois après les attentats du 11 septembre. Aujourd'hui, « avec une Chambre des représentants démocrates, il est un canard partiellement boiteux ; avec les deux chambres démocrates, il est un canard complètement boiteux », disait l'expert politique Larry Sabato juste avant le vote. L'étiquette de « canard boiteux » est celle dont les observateurs anglophones affligent les dirigeants voués à l'inaction dans l'attente d'être remplacés. Cela vaut au moins pour l'action nationale de M. Bush, dit-il. Quant à un changement de diplomatie et de la stratégie irakienne, c'est l'inconnue. L'analyste Lee Feinstein se souvient que la question lui était posée avant les élections de 2004. « Je disais : ne surévaluez pas le changement de direction. Je dirais la même chose maintenant », dit l'expert au conseil en relations étrangères. Un haut responsable de la Maison-Blanche, s'exprimant sous couvert de l'anonymat, fait cependant valoir qu'il est aussi « dans l'intérêt » des démocrates que les affaires s'arrangent en Irak, pour ne pas éventuellement avoir le problème sur les bras au moment de la présidentielle de 2008. Les démocrates ne vont plus laisser M. Bush dicter seul l'ordre du jour politique avec l'assentiment d'un Congrès complaisant. Certains démocrates ont dit leur intention de diligenter de dangereuses enquêtes parlementaires sur la conduite de la guerre en Irak ou les agissements du vice-président Dick Cheney. Mais la présidentielle de « 2008 va prévaloir sur tout ; les démocrates doivent montrer qu'ils sont capables de gouverner ; le président et la majorité ont des raisons de coopérer, et les démocrates de se garder de l'obstruction systématique », dit-il. Les résultats pour le Congrès se sont retrouvés au niveau des Etats. Les démocrates ont remporté au moins six sièges de gouverneurs, jusqu'à présent détenus par des républicains (Colorado, Arkansas, Maryland, New York, Ohio, Massachusetts). Pour la première fois depuis douze ans, il vont occuper la majorité de ces 50 postes. Ce n'est pas le raz-de-marée, mais la déferlante est évidente. Les Américains ont sanctionné le président Bush et le parti républicain. Quelle politique proposeront alors les démocrates ?