- Par quels mécanismes l'ONDA récupère-t-il les droits d'auteur et comment sont-ils redistribués ? Notre métier est la gestion collective des droits d'auteur et droits voisins. Il se résume en deux opérations. D'abord, la collecte des redevances de droits d'auteur qui sont payées par tous les utilisateurs d'œuvres de l'esprit : théâtres, festivals, hôtels, restaurants, bars, discothèques, organisateurs de spectacles… Tout cet argent que nous collectons, nous devons le redistribuer de la manière la plus légitime. Un artiste qui comptabilise 30 000 minutes de diffusion en une année et un autre qui en a 1000 ne sont pas rémunérés aux mêmes montants. C'est une rémunération au prorata temporis. Les médias nous transmettent leurs programmes et nous avons mis en place un système de veille et de suivi. On a des employés qui suivent tous les programmes pour comptabiliser l'utilisation des œuvres, y compris dans les génériques. Une fois que nous avons été payés, nous divisons par le temps global pour avoir la valeur d'une minute. En 2015, la minute était à 2,60 DA environ. Après, nous avons une base de données qui recense les œuvres de chaque artiste. La jonction est faite automatiquement pour redistribuer les revenus. Par exemple, quand la chanson A vava Inuva est diffusée, les droits vont automatiquement au compositeur Idir et à l'auteur du texte, Benmohamed. Quand c'est un titre d'Aït Menguellet, qui est auteur et compositeur, la totalité des droits lui est reversée. - Comment sont calculées les redevances payées par les utilisateurs d'œuvres ? Nous distinguons deux tarifs. D'abord, l'exploitation de la musique à titre principal : festivals, théâtres, salles de cinéma… Ces utilisateurs principaux nous paient selon leurs recettes. Le pourcentage est par exemple de 8% de la recette pour les discothèques, 15% du budget artistique pour les festivals… Et puis, il y a l'exploitation d'œuvres à titre accessoire. Exemple : un restaurant ou un showroom qui met de la musique d'ambiance. Dans ce cas, c'est un paiement forfaitaire. En collectant les redevances, nous nous adressons également aux radiodiffuseurs. Nous avons la radio algérienne avec 53 radios régionales, la télévision nationale avec ses cinq chaînes, et puis les chaînes privées. J'ai lancé plusieurs messages pour sensibiliser ces chaînes à la question des droits d'auteur et faire pression en ce sens. Une partie de ces chaînes a régularisé sa situation vis-à-vis de l'ONDA. Et puis, j'ai engagé des actions en justice avec d'autres. Idéalement, on préférerait ne pas recourir à des voies de contrainte et privilégier le dialogue amical. - Qu'en est-il du marché du disque ? Quels sont vos rapports avec les éditeurs ? Les éditeurs de musique ou de films viennent déclarer leurs nouvelles sorties à l'ONDA. Nous donnons l'autorisation pour un nombre de supports sur lesquels est apposée notre vignette. Ce que paie l'éditeur revient aux artistes selon ce qui est déclaré sur notre base de données. Par exemple, le groupe «El Dey» a choisi de déclarer tous les membres sur chaque morceau. Des producteurs d'émission à la radio ou à la télévision déclarent également leurs œuvres et perçoivent des droits. Serial Tagger de Yazid Aït Hamadouche ou Culture Club de Karim Amiti sont par exemple déposées à l'ONDA. J'appelle tous les auteurs à déposer leurs œuvres, mais aussi les interprètes, les acteurs, les musiciens, les danseurs, les arrangeurs à s'enregistrer. Beaucoup d'auteurs pensent que le montant des droits est dérisoire. Je vous assure qu'il atteint souvent des chiffres très intéressants, de l'ordre de 800 000 DA et plus par an. Il peut atteindre 500 000 DA pour un musicien. - L'ONDA a également mis en place une redevance sur les cd vierge et le matériel informatique. Comment cela fonctionne concrètement ? On appelle cela la redevance pour copie privée. Aujourd'hui, l'Algérie devient un exemple, même pour les pays européens, pour faire face à la crise de l'industrie musicale. C'est un système qui permet de compenser les préjudices du piratage et de la copie. Quand un consommateur achète un album, il le prête souvent à ses voisins et amis qui en font des copies. Cela porte préjudice à l'auteur, à l'interprète mais aussi au producteur qui a investi de l'argent. Le législateur algérien a donc mis en place ce système au niveau des douanes concernant les fabricants et importateurs d'appareils de reproduction et supports vierges. Ces derniers doivent passer par l'ONDA avant de faire entrer leur marchandise. 50% de nos recettes proviennent de la redevance sur la copie privée. Il faut souligner que la copie a évolué. Au départ, cela passait par le CD. Ce support est maintenant sur le déclin et la copie se fait plus sur flash-disk, disque dur, téléphone ou en ligne... - Comment est redistribuée cette redevance ? 30% de la redevance est reversée aux auteurs et compositeurs, 25% pour les producteurs, 15% pour les interprètes et les 30% restants sont destinées à l'ONDA pour soutenir la création artistique, l'activité culturelle et la préservation du patrimoine. La copie privée permet à l'ONDA d'avoir une aisance financière et nous sommes sur des taux de croissance importants. Pour 2016, nous terminons à 4 milliards 970 millions de dinars de chiffre global. C'est un record ! La copie privée représente près de la moitié de ce montant. De plus, la redevance sur copie privée nous permet de bonifier les revenus sur les droits d'auteur. Si les artistes touchaient uniquement les revenus rapportés par la vente de disques, le montant serait dérisoire. Grâce à la redevance sur la copie privée, nous pouvons multiplier leurs revenus par 3,5. - Vous avez effectué récemment la redistribution des droits voisins. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ? L'auteur est celui qui crée une œuvre. Il perçoit les droits d'auteur. Les droits voisins reviennent à ceux qui permettent l'exécution de ce cette œuvre : les comédiens, danseurs, chorégraphes, musiciens mais aussi les producteurs. En 2016, nous avons par exemple un producteur qui a perçu 28 millions de dinars. Il a fait du bon travail et produit des dizaines d'artistes… En 2015, un jeune producteur de Sétif a perçu 9 millions de dinars de droits voisins. Cette somme lui a permis d'ouvrir un studio d'enregistrement très performant et, cette année, il perçoit 17 millions de dinars ! Nous avons près de 60 producteurs de différentes régions d'Algérie qui perçoivent des droits voisins, mais également des artistes interprètes comme Kader Japonais, Khaled, Mami, ainsi que les jeunes groupes comme El Dey, Caméléon, Freeklane… Les jeunes adhèrent volontiers à l'ONDA et je tente de sensibiliser les anciens à la nécessité et à l'intérêt de leur adhésion. Suite en page 14 - Les dernières années ont été émaillées d'affaires où des auteurs algériens, ou leurs ayants droit, se sont manifestés pour réclamer leurs droits sur des œuvres déclarées à l'étranger sous d'autres noms. Que peut faire l'ONDA dans ces cas ? Je suppose que vous voulez parler principalement de la France et de la Sacem. Nous avons une convention avec cette société qui dit qu'un auteur algérien qui veut y adhérer doit être résident en France. Et même dans ce cas, l'artiste est enregistré à la Sacem, mais c'est l'ONDA qui le représente en Algérie. La convention stipule également que la documentation algérienne prime. Autrement dit, si l'on vous autorise à adhérer à la Sacem et que vous reprenez un titre, ce sont les informations contenues dans notre base de données qui seront reprises. Si un auteur voit que son œuvre a été volée, il doit se manifester et l'ONDA peut intervenir à condition d'être saisie. Nous avons de très bons rapports avec la Sacem. - Qu'en est-il des œuvres du patrimoine que s'approprient des interprètes ? C'est malheureusement une pratique qui a été constatée même chez quelques artistes connus. Vous avez des artistes qui reprennent des titres du patrimoine traditionnel et les déclarent en leur nom. Nous avons effectué des actions avec la Sacem pour récupérer ces droits. Dans certains cas, les artistes ont même remboursé les sommes qu'ils ont perçues. Jusque-là, la Sacem ne s'embarrassait pas de détails pour les œuvres relevant du patrimoine. En France, les œuvres du patrimoine appartiennent au domaine public et elles sont libres de droits (Ndlr : 70 ans après la mort de l'auteur). Chez nous, le patrimoine est protégé et payant, même plusieurs siècles après la mort de l'auteur. Plusieurs pays en Afrique ou en Asie font de même. Nous sommes des pays à très forte richesse patrimoniale. Ce patrimoine a été transmis, sur plusieurs siècles et parmi différentes civilisations, de manière orale. L'argent que nous récupérons sert à fixer ces œuvres. Pour l'andalou, le chaâbi ou la musique kabyle, nous répertorions les œuvres, nous enregistrons et rassemblons leurs interprétations par de grands artistes. Nous avons des coffrets enregistrés par Sid Ahmed Serri, El Hachemi Guerouabi, Akli Yahiaten, Mohamed Tahar Fergani… Ces enregistrements du patrimoine sont à la disposition des universités, des bibliothèques et des chercheurs. Notre service de documentation est à la disposition des chercheurs pour avoir toutes les informations à propos des œuvres (auteurs, interprètes, paroles, musique…). - Quelles sont les actions pour répertorier ce patrimoine ? Des commissions d'experts se réunissent à notre niveau pour éplucher les dossiers de ce patrimoine et vont aussi sur le terrain recueillir informations et enregistrements. Nous souhaitons renforcer notre collaboration avec les chercheurs pour mieux documenter ce patrimoine et en transcrire les textes et la musique. Par ailleurs, nous œuvrons à développer notre site web pour permettre un large accès et un rayonnement de notre patrimoine. Pour vous donner une idée du rayonnement des œuvres algériennes, la dernière demande qui nous est parvenue pour Ya Rayah émanait des pompiers de New York ! Leur fanfare souhaitait interpréter la chanson de Dahmane El Harrachi pour une fête. Cela prouve que l'Algérie se place au niveau international sur la question des droits d'auteur. Autre exemple, l'UNFA (ndlr. Union nationale des femmes algériennes) a utilisé pour l'affiche de son université d'été le slogan «Yes, we can do it». Cette phrase, qui a inspiré plus tard Obama, est de Martin Luther King. Figurez-vous qu'une association américaine pour les droits des Noirs américains a vu l'affiche de l'UNFA sur internet et nous a contactés pour protester contre l'usage de ce slogan déposé. Nous avons contacté à notre tour l'UNFA pour qu'elle change d'affiche. C'est cette culture des droits d'auteur que nous travaillons à propager en Algérie. - Qu'en est-il justement du positionnement de l'Algérie à l'international sur la question des droits d'auteur ? Le dernier rapport établi par les USA, même s'il classe encore l'Algérie parmi les pays les moins avancés sur ce sujet, note avec beaucoup de satisfaction les avancées de notre pays sur la question des droits d'auteur. Je peux vous dire que la question des droits d'auteur est centrale dans le dossier d'adhésion à l'OMC. Je fais partie du groupe qui négocie l'adhésion de l'Algérie pour tout ce qui touche à la propriété intellectuelle. Je vous assure que près de 40% des questions relèvent de ce domaine : marques, contrefaçon, industrie culturelle, programmes informatiques… - On a beaucoup parlé du contrat effectué avec YouTube et Google. Quelles en sont les retombées ? Les retombées sont déjà financières. YouTube est actuellement à son septième trimestre. J'avoue que les sommes sont beaucoup moins importantes que ce qu'on escomptait. Les recettes de YouTube proviennent des publicités générées sur des vidéos diffusées. Certains clips à succès comme Ya zina de Babylone génèrent des millions de vues et la somme peut être intéressante… Par ailleurs, nous sommes parmi les rares pays africains à avoir signé un accord avec Microsoft (via l'alliance d'éditeurs de logiciels BSA de Casablanca). Cet accord concerne la protection des logiciels, mais aussi la sensibilisation des institutions et de la société civile. En octobre dernier, nous avons organisé un side event au siège de l'OMPI à Genève pour promouvoir le patrimoine algérien dans toute sa diversité. C'était pendant l'assemblée générale de l'OMPI en présence de 197 pays représentés par des ministres, dont notre ministre de la Culture, et l'événement a eu beaucoup de succès. - L'ONDA a communiqué en avril dernier autour de la destruction de 2 millions de CD piratés. Au-delà de ce type d'événement, quelles actions à long terme pour lutter contre le piratage ? Je n'aime pas la langue de bois et je vais vous parler franchement. Nous avons réussi principalement sur un plan : mobiliser avec nous des partenaires. Il y a 5 ou 6 ans, quand un de nos agents s'adressait à un commissariat de police ou une brigade de gendarmerie pour demander assistance, ses interlocuteurs ne savaient même pas ce que c'était que l'ONDA ou les droits d'auteur. Aujourd'hui, nous avons signé une convention avec la DGSN (Direction générale de la sûreté nationale) qui est affichée dans tous les commissariats. Je signale que les agents de l'ONDA sont assermentés et ont la qualité d'officier de police judiciaire. En partenariat avec la police, la gendarmerie et les douanes, nous pouvons intervenir très rapidement et le territoire est pratiquement contrôlé. Nous ne sommes plus à des saisies de 400 CD, mais de 40 000... Nous privilégions les grosses prises et visons les laboratoires qui alimentent le marché de la contrefaçon. Nous intervenons après enquête avec les brigades économiques et judicaires et ce sont des camions de supports que nous saisissons. Les gens ne voient que le vendeur à la sauvette qui expose une dizaine de CD, mais c'est à la source que nous tenons à intervenir. La tendance est vraiment à la baisse. Bon, en plus de nos actions, il y a d'autres facteurs qui entrent en jeu. Le CD lui-même tend à disparaître au profit d'autres supports… C'est ce qui s'est passé pour la VHS. A mon sens, dans deux ans le CD va totalement décliner. Outre cet aspect, nous enregistrons une évolution de la sensibilisation, notamment auprès des jeunes. Il faut que le citoyen soit conscient que l'achat d'un cd piraté est un acte illicite. Il faut en finir avec la banalisation. Il reste du travail à faire pour sensibiliser, y compris les magistrats, sur la gravité du piratage. - Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur la carte d'artiste. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste la carte octroyée par l'ONDA ? Et sur quels critères ? Il y a confusion sur ce sujet. Nos amis du Conseil national des arts et des lettres délivrent une carte d'artiste. Celle-ci n'a rien à voir avec la nôtre. Notre carte implique un enregistrement sur une base de données internationale. Elle atteste de la qualité de l'artiste : auteur, compositeur, interprète, comédien… Elle peut même en attester auprès des ambassades étrangères pour une demande de visa. Notre carte comporte un matricule qui permet de consulter les œuvres déclarées par l'artiste à l'ONDA et de faire valoir ses droits à l'échelle internationale. Pour avoir cette carte, le seul critère est l'exploitation publique d'une œuvre. Cela concerne les auteurs ou compositeurs, mais aussi les musiciens, comédiens… L'exploitation d'une œuvre peut être une scène, une exposition, un enregistrement, un passage à la radio ou à la TV… - Qu'en est-il du soutien à la création ? Nous soutenons beaucoup les jeunes talents. A titre d'exemple, c'est l'ONDA qui a payé le studio pour l'enregistrement du dernier album du groupe Freeklane. Idem pour Caméléon, El Dey, Smoke, Démocratoz, les Jaristes… Nous aidons également des festivals qui permettent l'émergence de jeunes talents comme le Dimajazz, ou encore l'école des Beaux-arts et la fondation Asselah. Nous pouvons aider des jeunes à monter des pièces de théâtre, nous aidons les Journées cinématographiques de Béjaïa, le Festival international du film engagé… Il y a une phrase qui circule à mon propos. On dit que Bencheïkh demande aux partenaires «goulou bark» : dites seulement que l'ONDA vous a aidés. C'est la seule contrepartie que nous demandons.