Le 9e Festival du théâtre arabe se déroule à Oran et Mostaganem jusqu'au 19 janvier 2017. El Bahia accueille les spectacles en compétition et en Off alors que Mostaganem, qui sera capitale du théâtre durant une année, abrite les pièces du théâtre universitaire et des ateliers de formation aux arts dramatiques. Le 9e Festival du théâtre arabe, qui est organisé par l'Institut du théâtre arabe et l'Office national de la culture et de l'information (ONCI), a débuté, mardi soir au Centre de Conventions Ahmed Ben Ahmed d'Oran, par le spectacle Hizia, mis en scène par Fouzi Benbrahim avec la participation d'une cinquantaine d'artistes. Hizia est, sans doute, le love story algérien le plus célèbre. Il a été immortalisé par le poème élégiaque de Mohamed Benguittoune, repris en chanson par Khelifi Ahmed, Abdelhamid Abbasa et Rabah Derriasa. Azzouni ya m'lah fi rayss lebnet est un refrain qui a traversé les âges et qui rappelle le chagrin de l'homme qui a perdu sa bien-aimée. Saïd a pleuré pendant des mois la mort de Hizia, sa cousine. L'histoire s'est déroulée au milieu du XIXe siècle entre Sidi Khaled, au sud de Biskra, et Bazer Sakhra, dans la région de Sétif. Ahmed Bel Bey avait forcé sa fille Hizia au départ vers le Nord pour l'éloigner de son amoureux et pour éviter le «scandale» au sein de la tribu. Tribu régie par des codes anciens. Hizia n'avait plus retrouvé goût à la vie après la tranchante et terrible décision de son père. Elle est morte en 1875 à l'âge de 23 ans, emportée par la douleur de la séparation avec son amoureux. Saïd s'était retiré dans une kheima sans se marier en signe de deuil et par fédélité à Hizia. Le jeune metteur en scène Fouzi Benbrahim a repris l'opérette jouée en 1995 en introduisant des modifications artistiques pour en faire un show plus actuel en son, en lumières et en interprétation scénique. «Nous avons écrit ce spectacle, inspiré du patrimoine populaire, en 1995 pour dire que le peuple algérien était capable d'amour et que les Algériens n'étaient pas violents et sanguinaires, comme cela a été présenté ailleurs. A l'époque, nous vivions une situation difficile», a souligné Azzeddine Mihoubi, ministre de la Culture et auteur du texte. Le regretté Mohamed Boulifa a composé les musiques du spectacle. Hassan Lamamra a fait des arrangements en introduisant des notes plus fraîches, mais sans recourir aux instruments traditionnels comme le ney ou le bendir. Khimda Abdelkader, responsable de la troupe des arts populaires de l'ONCI, Farid Houch et Toufik Kara ont assuré la chorégraphie. Le jeu théâtral a été quelque peu limité, les dialogues sont parfois complétés par les chants, relancés par la danse. «D'où le choix de chanteurs interprètes. J'aurais pu prendre des comédiens en les doublant par des voix, mais j'ai préféré faire jouer des rôles à des chanteurs. Nous allons les gagner peut-être en comédiens pour le théâtre», a confié Fouzi Benbrahim. Mohamed Adjaïmi (le père de Hizia), Djahida Youcef (la mère), Lamia Battouche (Hizia), Abdelnacer Attaoui (Saïd), Adjrad Yughurtha (narrateur), Omar Benharma et Adel Daoud (amis de Saïd) se sont relayés sur scène. Le jeu est appuyé par un support vidéo et des lumières vivantes qui ont constitué le gros de la scénographie. Le metteur en scène a choisi la technique des tableaux courts pour donner une dynamique au show et éviter «le discours» artistique habituel des épopées. Fouzi Benbrahim a regretté de n'avoir pas pu avoir un orchestre pour la musique vivante. «Techniquement, c'était quelque peu difficile de mettre en pratique cela. Il faut qu'on travaille davantage pour que dans le futur la musique soit jouée en live autant que l'interprétation des chants. Le défi était de reprendre le même texte et les mêmes musiques en essayant de rafraîchir le tout. J'ai été quelque peu limité dans la reprise de Hizia. Mon rêve reste toujours la mise en scène de grands spectacles, des comédies musicales», a-t-il dit. Najat Chaoui, Nacera Khettab et Mourad Belkacemi ont réussi quelque peu à restituer les costumes d'époque. «Nous avons veillé à ce que le chant et les dialogues soient clairs et précis. L'idée était de mieux communiquer avec les invités arabes du festival. Le spectacle leur a permis d'avoir au moins une idée sur notre patrimoine musical et poétique», a soutenu Fouzi Benbrahim. Le combat de Tounes Aït Ali Mercredi soir, le Théâtre régional Abdelkader Alloula était archicomble pour le premier spectacle en course pour le prix Al Kacimi, Tholth al khali (No man's land) de l'Algérienne Tounes Aït Ali. Ecrite par Mohamed Chouat, scénographiée par Chawki Khouatri et produite par le Théâtre régional d'El Eulma, la pièce évoque le drame de trois femmes (Amel Delhoum, Houria Bahloul et Ryma Attal) qui ont eu, chacune, «une histoire» avec l'homme. La première a perdu son époux durant les années de violence, les années 1990, et qui ne veut plus se lier à un homme. La deuxième rêve de se marier, la trosième a décidé de divorcer pour reprendre sa liberté. Entre elles naît un conflit, des dialogues animés, des disputes, des petites réconciliations, des moments de rires... Le tout dans une scénographie dynamique structurée autour de l'idée du procès et de la suspension avec une exploitation assez juste de l'espace. Les femmes jugent symboliquement l'homme. Cet homme, personnage absent-présent, qui marque son existence par des bruits de pas et par des froufrous préparant l'écriture de quelque chose. Mais qui a raison ? Qui a tort ? L'homme ? La femme ? Tounes Aït Ali se défend d'avoir mis en scène une pièce féministe. «Le procès fait à l'homme est dans l'absurde. Dans le monde arabe, la femme pose toujours problème. Que veut la femme ? Cette question demeure toujours posée. La femme veut-elle son émancipation ? Dans la pièce, nous abordons la question de la femme en tant qu'être humain. Nos comédiennes sont jeunes, mais portent une grande cause», a souligné Tounes Aït Ali, lors d'un débat avec les journalistes et les invités du festival. Pour elle, le quatrième personnage est le public lui-même, la société par extension. «Mohamed Chouat m'a fait confiance et m'a laissé adapter aux planches le texte à ma manière. Je voulais proposer le sujet en tant que personne, pas en tant que metteure en scène. Aussi ai-je supprimé le personnage de l'homme qui était présent dans le texte original. J'ai essayé d'entrer dans la profondeur de chaque femme sur scène. J'ai ajouté par exemple l'histoire de la femme qui a perdu son époux durant la décennie noire. Une thématique qui n'a pas encore été explorée chez nous. Durant cette période, beaucoup de femmes ont perdu leurs enfants, leurs frères, leurs pères, leurs époux, leur dignité...», a relevé Tounes Aït Ali. «Les braises entre les mains» L'artiste irakien Aziz Khioun a lu, lors de la cérémonie d'ouverture du festival, la lettre du théâtre arabe, écrite par le Jordanien Hatem Sayed, fondateur du Festival du théâtre professionnel en Jordanie et membre fondateur du théâtre pour jeunes dans le même pays. Un appel y est fait pour tous les hommes de théâtre arabes pour apporter des réponses à des générations qui se posent beaucoup d'interrogations. «Vous qui avez la braise entre les mains, comment pouvez-vous fabriquer la joie à l'ombre de la destruction et au milieu de la noirceur ? Comment pouvez-vous nous faire vivre les temps agréables, le temps de l'unité, le temps de l'optimisme au moment où la mort se pose en alternative à la vie ? Comment pouvons-nous en tant qu' artistes et intellectuels affronter ceux qui se posent en tuteurs de la vie, ceux qui se posent en remplaçants d'Allah, décident de ce qui est licite et ce qui ne l'est pas ? Comment pouvons-nous faire réunir la nation autour de grandes idées et de grands rêves ?» s'est-il demandé avant d'ajouter : «Comment pouvons-nous accepter l'autre et demander à l'autre de nous accepter si nous ne présentons pas ce qui est humain, rassembleur, au-dessus de tout égoïsme ? Comment pouvons-nous faire du théâtre une liberté pour l'âme, une liberté pour la réflexion, une liberté pour l'imagination, une liberté pour le rêve... ? Oui, je rêve comme je veux, pas comme tu veux. Que notre théâtre soit celui de la vérité, pas de celui de la trahision. Que notre théâtre soit celui de la conscience, pas de la fausseté. Que notre théâtre soit celui de la vie, pas de la mort.» Le 10 janvier de chaque année est consacré Journée arabe du théâtre. Mercredi, l'Institut du théâtre arabe a rendu hommage au comédien algérien Azzeddine Medjoubi (assassiné en 1995) à travers un débat et des témoignages animés, entre autres, par Djamila Zegaï, Abdelnacer Khellaf, Abderrahmane Zaâboubi, Omar Fetmouche et Amina Medjoubi. Najet Taïbouni a présenté un montage vidéo d'une vingtaine de minutes sur les travaux de Azzeddine Medjoubi dont les pièces Hafila Tassir ; Alem El Baaouch ; Galou larab et Irfaa essitar... Des images rares ont été montrées. Azzeddine Medjoubi n'a presque pas donné d'interviews filmées de son vivant. Dommage.