C'est indéniable, les pièces tunisiennes participant au Festival du théâtre arabe présentent toutes une tendance à maîtriser les aspects techniques de la scène. Netherworld (ou La révolution de Don Quichotte, titre choisi en langue arabe) de la compagnie Clandestino, présentée lundi soir au TRO, ne déroge pas à la règle. Le potentiel des comédiennes et comédiens (Amani Belaaj, Mouna Talmoudi, Mounir Laamari, entre autres) est également immense, mais, dans son ensemble, le spectacle peine à trouver ses marques, malgré les gesticulations, les jeux de lumière, les projections vidéo et tout le reste. Prises séparément l'une de l'autre, certaines séquences peuvent en effet représenter en elles-mêmes des exercices de style dans le domaine du théâtre, mais ce patchwork scénique, censé nous donner une idée sur la Tunisie d'aujourd'hui, n'accroche pas. Décrire la Tunisie des 5 dernières années est en tout cas la prétention de Walid Daghsni, metteur en scène de la pièce. L'aspect terrifiant que le spectacle est censé donner à voir pour illustrer un monde miné par la corruption, le chaos, la violence, etc., est très vite contrasté par un jeu aux antipodes de ce qu'on veut décrire. Le metteur en scène s'ingénie parfois à convoquer le passé, notamment par le truchement des costumes, mais cette invocation paraît presque inutile. Le tissu qui emmitoufle le personnage féminin décoré, à l'image d'«eldjadoual», par l'encre des praticiens maraboutiques «tolba», renvoie à une tradition obsolète mais recèle en même temps un effet esthétique certain. Quoi qu'il en soit, la parenthèse fermée, ce n'est pas la première fois dans l'histoire que, succédant à des moments de révolte, des voix s‘élèvent pour se dresser à contre-courant du changement et même parfois pour réclamer la restauration d'un quelconque ancien régime, mais en se définissant et en présentant ses arguments, donc représentant un point de vue de la société. Ce n'est pas le cas ici et le spectacle Netherworld avance masqué. On ne sait pas qui parle et de là à nous faire comprendre que ce qui s'est passé dans ce petit pays a été fomenté par les personnages «ignobles» représentés sur scène, il n'y a qu'un pas. Mais les Tunisiens d'il y a plus de cinq ans ne vivaient pas non plus au paradis, et, spécialement pour le cas de ce pays, on peut dire sans se tromper qu'aucune «main étrangère» n'est venue perturber un ordre établi, bien au contraire, car l'ancien régime était un des alliés les plus fidèles de l'Occident. D'où vient alors cette vision extrêmement pessimiste de la situation décrite dans cette pièce ? Certainement pas de l'univers de Don Quichotte auquel le titre en arabe fait référence. L'auteur Miguel Cervantès se moque avec humour des anciennes valeurs de la société dans laquelle il vivait et son mérite est d'avoir perçu, peut-être avant l'heure, le chamboulement qui allait s'opérer en Europe et qui sera effectif avec la Révolution industrielle. Il est en tout cas le père du roman moderne, une forme plus adéquate. Vu sous cet angle, là aussi, le spectacle de Walid Daghsni, puisque c'est sa prétention, ne nous présente ni des arguments pour nous faire aimer l'ancien régime ni un point de vue qui nous mette sur une piste et nous permette d'espérer.