Vision - Iltifef est la pièce présentée par la troupe tunisienne Clendestino. Cette pièce, qui mêle la danse à la gestuelle, se veut une relecture de la révolution tunisienne, et ce, avec un regard jeune et une approche théâtrale contemporaine. Le jeu est tantôt donné aux politiques, tantôt au peuple qui aspire au changement. Différentes visions de la société s'affrontent alors. Toutes renseignent sur la nouvelle réalité tunisienne, marquée par une recherche effrénée de soi, au milieu de profondes mutations sociales. En d'autres termes, le texte évoque le risque imminent du détournement d'une révolution en mal d'asseoir le changement. La pièce, jouée à la salle El Mougar, est écrite et mise en scène par Walid Daghsni. Celui-ci, à travers sa quête d'un théâtre du rêve et du grotesque, du risque et de la mise en danger, a voulu faire de son travail une critique satirique des abus de l'ancien régime, et ceux de l'actuel. Iltifef se distingue par la pertinence de son texte et l'interprétation magistrale des comédiens. Un jeu audacieux, direct, talentueux, traduisant toutefois sur fond comique une vision noire du présent et même de l'avenir. L'on constate que la pièce est d'actualité, d'où la question : est-ce une manière de réécrire la révolution tunisienne ? «L'artiste, par définition, se doit d'être en parfait accord avec l'actualité qui l'entoure», explique Walid Daghsni, et de poursuivre : «Il se doit de ressentir et de traduire, artistiquement parlant, le présent avec ce qu'il englobe comme événements. Nous avons, à notre manière, participé à cette révolution, mais nous ne devons pas nous arrêter. Je pense qu'en tant qu'artiste, je me dois de tirer un maximum de profit de cette révolution confisquée. Notre travail d'artiste, c'est aussi d'écrire l'histoire et de la transmettre aux générations à venir.» Celui qui estime qu'il est nécessaire que les acteurs de la culture, ceux du théâtre notamment, doivent prendre part activement au débat d'idées, diabolise l'élite et ce, au-delà de l'engagement. «J'avoue que cette pièce est riche en symboliques. J'ai eu recours à cela surtout pour dénoncer ceux qui tentent de récupérer la révolution d'un peuple. C'est pour cela que les artistes doivent maintenir le peuple en éveil. L'artiste est un être révolté par nature et c'est pour cela que défendre la révolution est considéré comme un devoir avant tout. L'élite est la première responsable de ce qui se passe chez nous en Tunisie. Je pense qu'elle a pour rôle de préserver la révolution, mais hélas ce n'est pas le cas. La démission collective des intellectuels tunisiens a, à mon avis, beaucoup nui à la révolution. Cet abandon a permis à des étrangers de s'immiscer dans nos affaires, d'où la raison de la diabolisation de l'élite. Je dis qu'elle a failli à sa mission.» Iltifef s'inscrit dans ce qu'on appelle communément le théâtre de l'urgence. A cela, Walid Daghsni répond : «Le théâtre contemporain tunisien s'est installé dans ce qu'on appelle le théâtre de l'urgence. Cette nouvelle tendance a commencé déjà bien avant la révolution, mais depuis, cela a pris de l'ampleur. Ce genre de théâtre nous permet de raconter un maximum de faits et de suivre l'actualité. Je pense que toute cette agitation artistique qu'on observe chez les comédiens, musiciens et autres artistes tunisiens est due à la situation post-révolution. La Tunisie n'est pas la seule à connaître ce phénomène. Cela a aussi touché les autres pays ayant connu ledit Printemps arabe.» Ainsi, la pièce pose, selon le metteur en scène, le problème de l'urgence à s'unir autour d'un modèle de vie qui garantisse un avenir prospère à la Tunisie permettant aux valeurs républicaines, telles la liberté, la justice sociale et la tolérance de régner en maître.