A voir le taux de création d'entreprises par rapport à la norme mondiale, il est clair que l'entrepreneuriat n'est pas le choix de prédilection des chercheurs d'emploi en Algérie. Face au confort du salariat et de la Fonction publique et aux multiples entraves à l'investissement, l'acte d'investir peut difficilement faire le poids. Le problème se pose avec encore plus d'acuité s'agissant des femmes. Les trois quarts de la population occupée féminine sont salariés (dont 50% ont un emploi permanent) contre les deux tiers chez les hommes, selon l'Office national des statistiques (ONS). Alors qu'elles sont deux fois plus touchées par le chômage que les hommes, les femmes sont pourtant 7 fois moins nombreuses à prendre le risque de l'aventure entrepreneuriale. Leur part dans l'auto-emploi dépasse à peine les 10%. Faut-il pour autant y voir uniquement le révélateur d'une société conservatrice, encore dominée par les préjugés ? Pas sûr. Les femmes représentent aujourd'hui 20% de la population occupée. Autant dire que les débats sur l'insertion de la femme dans le monde du travail n'est plus d'actualité. Son introduction pourtant dans le monde de l'entrepreneuriat est une autre paire de manches. «La femme participe très peu à la vie économique, alors qu'elle représente plus de 50% de la population», déplore Yasmina Taya, chef d'entreprise. Doit-on pour autant appréhender la question de l'entrepreneuriat féminin comme une problématique à part ? Si les hommes ont déjà du mal à prendre le risque d'entreprendre, que dire alors des femmes, serait-on tenté de penser. «Investir est un parcours du combattant. C'est difficile pour un homme et ne l'est pas moins pour une femme», souligne Zaim Bensaci, président du conseil consultatif de promotion de la PME. Selon les chiffres du CNRC, le nombre de femmes gérantes d'entreprise est passé de 4451 en 2010, à 8754 en 2015, soit à peine 10% du nombre d'entreprises (personnes morales) enregistrées, selon le recensement économique de 2011. «On parle de 13% de femmes qui ont bénéficié du dispositif Ansej, c'est très faible», commente Samira Hadj Djilani, présidente du Réseau algérien des femmes d'affaires (RAFA). Certes, la progression de l'entrepreneuriat féminin est lente et laborieuse, mais d'aucuns diraient qu'elle est à l'image de l'acte d'entreprendre en Algérie. Les résultats des enquêtes de l'ONS et les recherches sur les intentions entrepreneuriales des étudiants présentent «l'entrepreneur motivé par la nécessité de créer une entreprise parce qu'il n'existe pas d'autres opportunités d'emplois rémunérés viables. On est donc en présence d'un entrepreneuriat de nécessité qui émerge des faveurs du contexte», explique Aziz Nafaa, chercheur au Cread. Ce type d'entrepreneuriat a souvent peu de perspectives de croissance et ses processus de production sont caducs, nous explique-t-il. L'entrepreneur motivé par les opportunités est, lui, davantage dans une optique de «positionnement stratégique». La logique de rente qui a longtemps prévalu au détriment d'une économie productive a pesé sur le développement de l'entrepreneuriat. Certes, il y a eu des dispositifs d'aide à l'investissement type Ansej, CNAC, etc., qui ont contribué «positivement à réduire les effets négatifs des réformes économiques engagées», mais les entreprises créées sont restées confinées dans des secteurs «non productifs (cyber, transport...)» très vite saturés. Ces créations dans leur majorité ont été lancées dans un type «d'entrepreneuriat dit de nécessité et de contraintes (chômage, précarité..)», précise Nafaa. Particularité Entreprendre est de ce point de vue une question de nécessité avant d'être une question de genre, même si l'entrepreneuriat reste foncièrement une affaire d'hommes. Certains acteurs du monde de l'entreprise refusent d'ailleurs d'aborder la question de l'entrepreneuriat féminin comme une problématique à part. «Je suis contre ce distinguo. Quand on parle de l'entreprise, on en parle dans sa globalité, qu'elle soit gérée par un homme ou par une femme», s'exclame Zaïm Bensaci. D'ailleurs, dans les textes, les avantages accordés dans le cadre des dispositifs d'aide à l'investissement s'adressent à tout le monde et ne présentent pas de discrimination envers les femmes. Pourtant, si on refuse de traiter l'entrepreneuriat féminin comme une particularité, la réalité l'impose quand même. «Oui, il y a une spécificité appelée entrepreneuriat féminin tant que les préjugés existent et pèsent sur la femme entrepreneur», reconnaît Samira Hadj Djilani. «Certes, on partage les mêmes problèmes avec nos homologues hommes d'affaires, mais il faut rajouter le poids culturel et de la société». Une réalité qui rappelle celle de la présence de la femme en politique qui a tiré profit du système des quotas. C'est pourquoi, RAFA exige la prise en charge de «cette spécificité féminine» de la même manière que cela a été fait en politique. Concrètement, accorder aux femmes chefs d'entreprise un quota de 30% dans les marchés publics serait une bonne solution au problème, selon Samira Hadj Djilani. Les femmes entrepreneurs sont une particularité, car «elle sont à la merci de l'administration. Souvent, elles n'ont pas envie de s'engager dans cet environnement et d'aller cavaler pour le foncier, pour le crédit… Certaines peuvent être découragées», explique Zaïm Bensaci. Il y a aussi une dimension familiale. Pour Meriem Chakirou, responsable du projet AWEP (l'Algerian Woman Entrepneurship Program), auprès de l'association Sidra, les femmes «ont peur de l'échec et souvent elles ne sont pas encouragées par leur famille». Encouragement Dans cet environnement peu favorable, des initiatives émergent pourtant et certaines sont portées par les jeunes. C'est notamment le cas de l'AWEP. Son objectif est simple : «Donner les mêmes chances de réussite aux femmes qu'aux hommes», selon Lamine Zellag, membre de Sidra. Cette dernière se propose de jouer le rôle d'intermédiaire entre les jeunes femmes porteuses de projets et les institutions en charge des dispositifs d'aide à l'investissement. La formation, l'information et l'inspiration sont son credo. «On ne les finance pas. On les informe, on les forme et on les pousse vers les dispositifs d'investissement existants», explique Meriem Chakirou. Dans le cadre du programme, une vingtaine de jeunes femmes porteuses de projets ont été sélectionnées après un concours. Elles bénéficieront donc d'actions de formation et de mise en réseau. Certaines sont encore à l'université, d'autres en formation professionnelle et leurs projets touchent des secteurs aussi divers que l'artisanat, les TIC ou la communication. Elles ont été sélectionnées parmi 400 candidatures. Preuve s'il en est «qu'il y a un engouement des femmes pour l'entrepreneuriat», remarque Meriem Chakirou. Même si ce n'est pas toujours évident de les convaincre. Selon les chiffres du CNRC, plus de 90% des entités économiques gérées par des femmes sont des personnes physiques, dont près de 50% sont versées dans le commerce. Autrement dit, la création d'entreprises même de petite taille est limitée même avec les dispositifs Ansej, Angem et CNAC. Un constat qu'il y a lieu de relativiser, puisque l'écrasante majorité des entités économiques recensées en Algérie sont des personnes physiques présentes majoritairement dans le commerce. Quant aux femmes, la conviction est de plus en plus présente que la solution viendra des jeunes, et c'est dans ce cadre que RAFA compte sillonner le pays pour convaincre les femmes universitaires de créer leurs entreprises.