Les élections législatives arrivent, mais tout citoyen qui se respecte a le droit de se demander à quoi elles serviront si, d'abord, les vainqueurs du scrutin sont connus d'avance, et si, ensuite, elles sont frappées, comme les précédentes, de l'apriori, selon lequel elles ne pourront pas apporter un souffle plus démocratique à la pratique du pluralisme politique dans notre pays. A quoi en effet serviront-elles, si elles n'interviennent pas pour créer la dynamique du changement que tout le monde attend, celle de l'alternance au pouvoir, si nécessaire à l'exercice de la démocratie , et si ce sont les deux partis du pouvoir — le FLN et le RND — qui vont encore être majoritaires dans les tribunes parlementaires et donc influer sur tous les textes législatifs qui seront promulgués dans le pays. La réponse est claire : l'intérêt suprême pour le pouvoir d'organiser ces élections est de maintenir le système de gouvernance en l'état, avec ses principaux garde-fous, en perpétuant en même temps l'illusion d'une vitrine démocratique sans faire la moindre concession de fond à l'opposition. Le vrai enjeu reste donc le rapport de force qu'il faut inverser pour prétendre transformer la configuration de cette compétition électorale, qui s'adresse bien évidemment aux forces de l'opposition ayant pris l'engagement d'une participation utile et efficace. En refusant la théorie de la chaise vide, ces partis posent cependant le problème de leurs capacités à pouvoir désintégrer l'ordre établi et donner ainsi plus de consistance au pluralisme actif, seul garant d'un rééquilibrage efficient au sein des deux Chambres. Comment inverser une tendance trop lourde avec une représentativité populaire largement entamée et une crédibilité sans cesse remise en cause par une opinion publique qui attend peut-être plus qu'il n'en faut de la part des partis d'opposition ? En fait, bien que regroupée dans un seul centre de contestation, et alliée conjoncturellement de surcroît dans une diversité presque contre nature entre démocrates et islamistes, l'opposition a elle-même pris conscience de ses limites, pour ne pas dire de ses faiblesses, en matière de mobilisation. Dispersée, fragilisée par le pouvoir qui l'empêche de s'exprimer en mettant sur son passage tous les moyens d'obstruction possibles et imaginaires, l'opposition semble mener depuis des années un combat qui n'a aucune chance d'aboutir, et qui, avec le temps, a fini par devenir purement symbolique pour ne pas disparaître totalement. C'est le constat implacable que les observateurs font du parcours des partis d'opposition, notamment ceux qui appartiennent réellement au camp démocratique, les plus affectés assurément par les méthodes répressives du pouvoir, car les plus dangereux pour sa survie. Contrairement aux formations de la mouvance islamiste, rompues à la politique de l'entrisme qui leur permet de pratiquer l'équilibrisme sur tous les volets gagnants, et qui ne voient aucun inconvénient à soigner la façade démocratique comme le prouvent leurs engagements respectifs dans les coalitions contrôlées par le gouvernement, les démocrates sont les plus ciblés pour la cohérence de leurs convictions et la justesse de leurs aspirations patriotiques. Une mobilisation permanente menée sans compromissions en faveur de l'instauration d'un régime républicain, qui se substituerait au régime autoritariste qu'a connu l'Algérie depuis son indépendance, mais qui manque terriblement de profondeur en raison du peu d'échos qu'elle obtient. Pourquoi donc l'opposition démocratique est-elle si inaudible ? Pourquoi rencontre-t-elle tant de difficultés à se faire entendre et à étendre son influence au sein de la société ? Si les remparts dressés contre elle par le pouvoir pour limiter son activité au strict minimum peuvent se vérifier à tout moment, si la déculturation politique est aussi un phénomène palpable, notamment au niveau de la jeunesse, il reste que la responsabilité des partis démocratiques dans leurs retranchements actuels appartient en premier lieu à leurs carences internes, qui touchent aussi bien le domaine de l'organisation que celui de la militance sur laquelle il y a beaucoup à dire. Contrairement aux partis du pouvoir, qui peuvent se permettre le luxe d'avoir des «fonctionnaires» qu'on déplace au gré des circonstances dans les salles et qu'on présente comme des adhérents actifs sur lesquels sont bâties les séquences médiatiques pour faire impression, les formations du courant démocratique ne peuvent compter que sur les militants du terrain pour avancer. C'est la grande différence qui sépare, par exemple, le FLN et le RND, les deux cylindrées représentant l'Etat, auxquelles sont accordés tous les moyens d'expression pour les mettre en valeur devant l'opinion publique, même si leur représentativité populaire est loin de refléter la réalité, et les partis d'opposition comme le FFS ou le RCD, qui sont obligés de s'investir sur de vrais partisans qui viennent pour des convictions politiques et idéologiques affirmées et non pas par affairisme. Il se trouve cependant que c'est cette militance inconditionnelle qui est recherchée pour faire progresser les idées des partis démocratiques qui connaît un sérieux problème d'extension. Cette militance existe et les dirigeants des partis lui rendent à juste titre hommage pour les sacrifices qu'elle consent quand il s'agit de faire front contre l'injustice et de faire triompher les idéaux de progrès, mais elle demeure bien faible par rapport à l'immensité du travail de mobilisation à accomplir et aux besoins politiques pour imposer l'impératif de l'alternance. En vérité, c'est la culture militante elle-même qui n'est pas suffisamment développée chez nous pour créer de généreuses impulsions partisanes. Alors que les militants des partis démocratiques en Europe, ou ailleurs, battent le pavé pour récolter des voix, et font du porte-à-porte pour valoriser leurs propositions et leurs programmes, c'est la réunion du parti qui reste le centre des activités des militants chez nous, réunion où tout se discute pratiquement en cercle fermé. Le contact direct avec les citoyens est absent, et cette lacune qui relève d'une culture militante vieille comme le monde est pour beaucoup dans la stagnation des partis qui font du terrain leur lieu de prédilection de leurs offensives.A. M.