Partie d'une simple «incitation à l'attroupement public», l'affaire du blogueur Merzouk Touati prend de l'ampleur pour se transformer en un dossier d'«espionnage avec Israël». Des sources judiciaires font état de «liens avérés avec des activistes ‘‘séparatistes'' de la Kabylie et du M'zab, mais aussi avec d'anciens officiers du Mossad, les services secrets israéliens. Présenté par les médias tantôt comme «espion» travaillant au profit du Mossad, les redoutables services secrets israéliens, tantôt comme activiste du MAK ou du Mouvement pour l'autonomie du M'zab (MAM), le blogueur Merzouk Touati, âgé d'à peine 29 ans, suscite la polémique. Arrêté le 18 janvier dernier dans le cadre de l'enquête de la police sur les événements qui ont secoué la ville de Béjaïa les 2 et 3 janvier 2017, son affaire est vite devenue une énigme en raison de la gravité des faits qui lui sont reprochés, lui qui réside dans une petite bourgade, Dar Edjbel, à Béjaïa. Il a été interpellé par les services de police «pour avoir participé» aux appels au rassemblement et à la grève des commerçants au début de cette année. Cependant, l'enquête préliminaire a débouché sur d'autres griefs plus lourds, qui dépassent largement les faits liés aux émeutes. Ayant un mastère en sciences économiques et un DEA en commerce international, Merzouk Touati se retrouve au centre d'une affaire d'«espionnage au profit d'Israël» et de «complot contre l'intérêt du pays». Les premiers éléments de l'enquête évoquent des «liens avérés» entre le blogueur et les «séparatistes» du MAM, comme Kamel Eddine Fekhar, actuellement en détention à Ghardaïa, «et d'autres, en fuite, dont un actuellement installé au Maroc», des activistes du MAK, ainsi que des Israéliens, dont un certain Edy Cohen, professeur universitaire, qu'il alimenterait «en informations sur les juifs vivant notamment dans les régions de Kabylie et du M'zab». Des liens, il y en a. Par exemple avec un certain Gabriel Guettaf, un religieux chrétien, auquel, toujours selon l'enquête, le blogueur aurait fait appel pour aider Slimane Bouras, ancien policier converti au christianisme et condamné, en septembre dernier, par la cour de Sétif, à 3 ans de prison ferme pour avoir «porté atteinte à l'islam», ou encore un porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien, «ancien officier du Mossad, chargé de la presse arabe, qu'il aurait interviewé sur son blog et qu'il aurait sollicité pour un visa d'entrée en Israël». L'enquête fait état de contacts du blogueur avec le Palestinien de Ghaza, qui avait brûlé le drapeau algérien après avoir essuyé un refus d'obtention du visa d'entrée en Algérie (pour épouser une Algérienne). A propos des événements de Béjaïa, il est reproché à Merzouk Touati d'avoir incité la population à «la désobéissance civile» et «aux émeutes» sans recours à la violence. Le 22 janvier, le blogueur a été déféré devant la justice, puis placé sous mandat de dépôt, pour «avoir donné des informations à des agents des services étrangers à même de porter atteinte à l'intérêt du pays», et «incité la population aux attroupements et aux rassemblements sur des places publiques». Des faits pour lesquels il encourt une peine allant de 10 à 20 ans de prison ferme. Son avocat, Salah Dabouz, parle de «grave violation du secret de l'instruction» et d'«une volonté manifeste de condamner par anticipation le prévenu avant même qu'il soit jugé». L'avocat commence par préciser que son mandant «ne veut pas de déclaration sur le dossier», mais se dit «choqué par la diffusion d'informations sur l'affaire alors que le prévenu n'est même pas encore auditionné dans le fond en présence de sa défense. Je l'ai vu une seule fois à la prison, après qu'il ait demandé lui-même à sa famille de me constituer pour le défendre». Me Dabouz, très en colère, déclare : «Je dénonce énergiquement la violation du secret de l'instruction. Par cette fuite organisée d'éléments de l'enquête préliminaire, les auteurs veulent influencer le juge, l'opinion publique, mais aussi le prévenu lui-même. Ils ont porté atteinte à sa personne et à sa famille. Ils veulent le condamner avant même son procès. C'est une grave atteinte au droit à la présomption d'innocence. Comment peut-on accepter de telles dérives ?» L'avocat révèle qu'il n'a vu son mandant qu'une seule fois. «Je l'ai vu une seule fois à la prison. C'est lui qui, par le biais de sa famille, a demandé après moi. Son audition dans la forme, en ma présence, n'a pas encore eu lieu à ce jour. Il n'a également pas été confronté aux autres personnes citées dans le cadre de ce dossier. L'instruction vient à peine de commencer. Les médias et certains journaux ont publié des informations contenues dans le rapport préliminaire de la police judiciaire, alors que moi-même en tant qu'avocat je n'ai pas encore rencontré le prévenu pour m'entendre avec lui sur la stratégie de défense. Dans ce dossier, une des parties est à l'origine de cette fuite organisée dans le seul but d'influencer l'opinion publique, mais aussi le cours du procès. J'ai observé les mêmes pratiques à Ghardaïa, lorsque Kamel Eddine Fekhar a été arrêté. Avant même qu'il ne soit entendu dans le fond, il y a eu divulgation du contenu de son dossier d'instruction. Où est le respect du secret de l'instruction et du droit de la présomption d'innocence ?» Me Dabouz s'offusque contre ce qu'il présente comme étant «une campagne» médiatique contre son mandant, contre laquelle il promet de recourir à la justice. Cependant, il refuse d'aller dans le fond du dossier, qu'il dit avoir en sa possession. «Il est encore trop tôt pour parler du fond de cette affaire», lance-t-il, en rappelant que dès sa constitution, il ne s'est jamais exprimé sur les détails, mais uniquement sur la procédure. En tout état de cause, dans cette affaire, et au-delà de la véracité ou non des faits gravissimes reprochés au jeune blogueur, l'avocat est dans son rôle en dénonçant la violation du droit à la présomption d'innocence de son mandant, condamné effectivement par certains médias avant même qu'il ne soit jugé. Cependant, dans le dossier, il y a des faits extrêmement graves que la justice doit élucider dans la sérénité et en toute transparence.