Amin Khan est l'auteur de l'ouvrage collectif Nous autres, éléments pour un manifeste de l'Algérie heureuse, publié dernièrement aux éditions Chiheb. Dans cet entretien, cet homme de lettres modeste donne son appréciation sur une Algérie heureuse. Comment l'idée de cet ouvrage s'est-elle présentée à vous ? Ce livre est né de notre volonté de créer un espace de liberté intellectuelle et de le nourrir par des analyses et des réflexions hétérogènes, mais de façon ultime, rendues harmonieuses par le partage de la conscience que l'exercice d'une telle liberté est aujourd'hui urgente et nécessaire. Notre ambition est de contribuer à nouer les fils d'une réflexion complexe sur nous-mêmes, sur notre capacité à faire face aux problèmes complexes qui se posent à nous en tant qu'individus complexes et en tant que société complexe. Le titre de votre ouvrage est quelque peu intrigant. A quoi renvoie donc Nous autres ? Nous autres désigne celles et ceux qui ont l'ambition de penser, de travailler, de lutter et d'aimer dans l'Algérie d'aujourd'hui et dans celle de demain, celles et ceux qui ont le désir de connaître leur histoire, qui ont le courage d'affronter la difficulté de connaître et d'agir en connaissance de cause, qui ont l'audace de considérer que nous avons des devoirs à assumer vis-à-vis des générations qui nous ont précédés et des générations qui nous succéderont, qui font le pari que nous sommes capables de forger les instruments de la maîtrise de notre destin, qui refusent la soumission à l'ordre du monde, la domination, la fatalité. Nous autres sommes conscients de la nécessité de penser par nous-mêmes, de travailler dans tous les domaines, au moins aussi bien que les autres sociétés, de lutter sans relâche pour avancer dans la voie étroite que nous dessine et nous impose le rapport de forces entre nous et les autres, de libérer l'immense potentiel d'amour qui gronde au fond de nous. Nous refusons les fausses évidences, les choix tronqués, les idées frelatées, le mensonge des onctions de circonstance, la corruption matérielle et la corruption des consciences. Nous ne sommes pas enfermés dans une identité définitive, nous avons par contre l'ambition de rêver un avenir ouvert et d'œuvrer à le réaliser, et ce, non par un grand soir, une action d'éclat, une forme ou une autre de démagogie, mais par des actes modestes mais concrets, qui soient des éléments épars mais fertiles d'une vision d'un avenir désirable et possible. Les textes sélectionnés sont, certes, différents, de par les thèmes abordés, mais rigoureux de par la pensée... Je vous remercie pour cette appréciation que vous faites sur la qualité des contributions qui forment cet ouvrage. Je pense en effet que ces textes sont denses, rigoureux et qu'ils présentent une réelle valeur pour tous ceux qui s'intéressent aux différentes questions abordées ici. Ce sont des textes sans concession par rapport aux réalités qu'ils abordent. Les auteurs de ces textes ne se sont pas enfermés dans de quelconques discours, mais ils sont animés par une volonté commune de dire les choses comme elles sont, et aussi comme elles devraient et pourraient être, sans pour autant prétendre apporter des solutions toutes faites, des recettes, des remèdes miracles. Les textes proposés ici forment néanmoins quelques éléments d'une analyse complexe qui devra se former progressivement et se développer à l'avenir. J'espère que les jeunes, notamment, liront ces textes et en discuteront, car c'est d'eux, de leur désir de connaître et de leur volonté d'agir, que dépend l'avenir. Votre texte introductif «Nous autres de la voie étroite entre rêves et illusions» commence par un constat, en effet, sans concession... Si l'on souhaite faire face à la réalité, identifier les problèmes, s'efforcer de les analyser, avec l'espoir de les résoudre, on ne peut pas faire autrement que de dire ce qu'on pense, le plus clairement possible, avec les moyens dont on dispose. Vous dites que «pour sortir du marasme, il faut construire une Algérie heureuse...» Je pense que cela est à la fois possible et nécessaire. L'Algérie heureuse est un pays libre et indépendant, respecté dans le monde, un pays où les citoyens sont égaux en devoirs et en droits, où le droit s'impose à la force, où les enfants sont respectés, où ils sont éduqués dès leur plus jeune âge à penser et à s'exprimer, à travailler et à jouer, à créer, à inventer, à aimer les autres et tous leurs environnements, où les femmes sont respectées et égales aux hommes, un pays en lutte permanente contre l'injustice et les inégalités, un pays doué de mémoire, un pays conscient de la richesse de son histoire et de sa culture, un pays ouvert sur le monde et les cultures du monde, un pays qui produit ce dont il a besoin pour nourrir demain cinquante millions d'Algériens, pour les soigner, les éduquer, un pays capable de construire ses infrastructures, ses routes, ses usines, ses laboratoires, un pays se dotant d'une capacité de création culturelle et scientifique significatives, et au cœur de cela, d'institutions capables de défendre et de promouvoir l'intérêt général. L'Algérie heureuse est un pays où la société permet l'épanouissement des individus et par là même son développement harmonieux. Construire ce pays-là est possible. En fait, cela est non seulement possible, mais nécessaire à notre survie dans ce monde… Il faut ici aussi préciser que dans notre conception, le «bonheur» n'est pas un état donné, mais il réside dans la dynamique même de la poursuite d'une telle ambition, de la réalisation d'un tel désir. L'ouvrage Nous autres sera-t-il suivi d'une seconde publication ? Nous espérons en effet publier très prochainement, sur le même principe, un autre volume de Nous autres, éléments d'un manifeste pour une Algérie heureuse, sur le thème général de notre rapport au monde.