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Lorsque le fiscal emboîte le pas au comptable
Comptabilité analytique
Publié dans El Watan le 13 - 02 - 2017

La loi de finances pour 2017 a instauré l'obligation de tenue d'une comptabilité analytique pour les entreprises qui relèvent de la DGE, alors que les textes principaux, comme la loi comptable et le Code du commerce, se limitent à l'obligation d'une comptabilité générale, sans plus. L'absence d'une normalisation en matière de comptabilité analytique promet des développements à suivre.
Comptabilité analytique et dispositions de la loi de finances pour 2017
C'est dans la modification de l'article 152 du Code des impôts directs et taxes assimilées, consacré aux obligations des sociétés en matière d'informations et de documentation à fournir à l'appui de leur déclaration annuelle de bénéfice imposable, que l'obligation de tenue d'une comptabilité analytique est introduite.
Ainsi à l'obligation énoncée de longue date, sous ce même article, de tenir une comptabilité conformément aux lois et règlements en vigueur, le législateur a rajouté une disposition selon laquelle «les sociétés visées à l'article 169 bis du code des procédures fiscales sont dans l'obligation de tenir une comptabilité analytique et de la présenter à toute réquisition de l'agent vérificateur à l'occasion des vérifications prévues aux articles 20 et 20 bis du code des procédures fiscales».
Le renvoi à l'article 169 bis du Code des procédures fiscales laisse comprendre que l'obligation de tenue d'une comptabilité analytique n'est applicable qu'aux sociétés qui relèvent de la Direction des grandes entreprises (DGE), lorsqu'elles sont apparentées ou liées à d'autres groupes ou entreprises. Pour rappel, ces sociétés sont soumises à l'obligation de transmettre une documentation permettant de justifier la politique des prix de transfert pratiquée dans le cadre des opérations de toute nature réalisées avec des sociétés liées.
C'est justement autour de la politique de prix de transfert que s'est greffé l'intérêt, pour l'administration fiscale, d'accéder à la comptabilité analytique de ces entreprises, à l'occasion des opérations de contrôle et de recherche de la matière imposable, et sans doute pour ne pas se faire opposer l'inexistence d'une telle comptabilité habituellement dédiée au contrôle de gestion, d'en imposer la tenue.
Pour l'harmonie des différents codes, la loi de finances pour 2017 a également modifié et complété l'article 20 ter du Code des procédures fiscales, qui traite des informations et documents, à mettre à disposition à l'occasion des vérifications de comptabilité, en cas de présomption de transferts indirects de bénéfices, en rajoutant que les entreprises qui tiennent une comptabilité analytique sont tenues de la présenter à toute réquisition des agents vérificateurs.
De la sorte, lorsque le Code des impôts directs et taxes assimilées oblige à la tenue d'une comptabilité analytique pour les entreprises tenues à la production de la documentation justifiant la politique des prix de transfert appliquée, et que d'autre part le Code des procédures fiscales permet aux agents vérificateurs de la consulter, lorsqu'elle existe, il y a tout lieu de penser que les entreprises qui ne relèvent pas de la DGE mais qui tiennent une comptabilité analytique à titre facultatif seront tenues de la présenter en cas de vérification.
Lorsque le fiscal emboîte le pas au comptable
Les textes de base sur les obligations comptables sont limités à la tenue d'une comptabilité générale, plus précisément consacrée comme comptabilité financière depuis la mise en œuvre du Système comptable financier (SCF).
Le Code de commerce, dans tous les cas où il est fait référence aux livres de commerce ou à la comptabilité, sous-entend ceux qui concourent à l'établissement du bilan, du compte de résultat et au fameux inventaire du patrimoine.
De son côté, la loi comptable algérienne n'oblige en aucun cas à la tenue d'une comptabilité analytique, puisque avec plus de flexibilité, elle permet à toute entité de déterminer, sous sa responsabilité, les procédures nécessaires à la mise en place d'une organisation comptable permettant un contrôle à la fois interne et externe.
Ce n'est pas la première fois que la loi fiscale emboîte le pas à la loi comptable, car déjà avec la mise en place du SCF, sans citer expressément l'obligation de tenue d'une comptabilité analytique, l'article 140-3 du Code des impôts directs et taxes assimilées, requiert l'existence d'outils de gestion, de système de calcul de coûts et de contrôle interne permettant de valider le pourcentage d'avancement et de réviser, au fur et à mesure de l'avancement, les estimations de charges de produits et de résultats, avec un bénéfice imposable acquis obligatoirement déterminé selon la méthode comptable à l'avancement.
L'application de cette nouvelle mesure, dédiée au contrôle des prix de transfert, amènera certainement les entreprises concernées à vérifier si leur système d'information est adapté et à apporter les modifications pertinentes pour le suivi des transactions entre sociétés apparentées.
Il faut s'attendre à ce qu'à la lumière des nouvelles dispositions, les vérificateurs demandent à consulter la comptabilité analytique dans les cas où elle justifie, directement ou indirectement, une écriture comptable ou un événement repris sur les livres et pièces comptables, en rapport avec les prix de transfert.
Cependant, les domaines d'application de la comptabilité analytique, bien plus élargis qu'à celui des prix de transfert, pourraient ouvrir la voie à d'autres informations comme dans le cas de la détermination de coûts d'achat ou de production, des prix de revient ou de transfert et des marges en général.
La difficulté principale viendra certainement de la véritable frontière, difficile à cerner, en situation de vérification de comptabilité, au cas précis du contrôle des prix de transfert et surtout en l'absence de normalisation.
Sur l'absence de normalisation
A l'inverse des normes comptables applicables en matière de comptabilité financière, la comptabilité analytique est plus un outil de gestion, qui par sa nature n'est pas normalisée en Algérie. Les définitions académiques de la comptabilité analytique se rejoignent dans la plupart des cas pour la retenir comme un outil de gestion utilisé, en interne, pour apprécier la performance de l'exploitation avec comme matière principale le calcul de la rentabilité par poste, par produit, par centre de coût ou par centre de décision.
Sans limite, au cas par cas, les gestionnaires disposent d'une variété de méthodes sans orientation légale, comme celles des coûts directs, des coûts complets, des coûts standards et bien d'autres.
C'est sans doute en considération de cette diversité de méthodes, que les amendements apportés par la loi de finances pour 2017 ont été explicités par une note circulaire de la direction générale des impôts qui précise que l'accès aux éléments de la comptabilité analytique peut se faire indépendamment de la méthode adoptée par l'entreprise.
Dans ces circonstances, le vide est amplifié par l'absence de normes dédiées à la comptabilité analytique et un rapide pronostic quant à la future disponibilité de ces normes peut se faire lorsqu'il est relevé que l'IFAC n'a établi, pour l'heure, que des guides sur les bonnes pratiques de la comptabilité des coûts et de la comptabilité de gestion, que leur développement aux Etats-Unis s'est focalisé sur les marchés publics et que l'Inde reste le pays qui a le plus avancé avec un répertoire de vingt-deux normes.
Cette contrainte d'absence de normes ne concerne pas que l'Algérie, alors que la nouvelle obligation fiscale est déjà imposée dans de nombreux autres pays.
L'obligation de présentation d'une comptabilité analytique existe dans de nombreux pays et pour la plupart des cas appliquée au contrôle des prix de transfert.
Tel est le cas de la France, où l'obligation de présenter une comptabilité analytique s'impose aux entreprises qui la tiennent et dont le chiffre d'affaires excède un seuil selon le type d'activité ou pour certaines, celles dont l'actif brut dépasse un autre seuil.
Par ailleurs, à l'occasion des contrôles fiscaux, l'administration française peut demander l'ensemble des éléments gérés par les systèmes informatisés de comptabilité analytique ou budgétaire quand elle existe et qu'elle concourt indirectement à la constitution d'une écriture comptable ou à la justification d'un événement ou d'une situation transcrite dans les livres, registres, documents, pièces et déclarations contrôlés par l'administration.
Par ailleurs, les pays de l'OCDE et du G20 ont adopté, en 2013, un plan d'action qui vise à mieux faire coïncider le lieu d'imposition des bénéfices des groupes multinationaux avec le lieu d'exercice de leurs activités économiques. Sur ce sujet, les recommandations de l'OCDE laissent le choix au contribuable d'utiliser des données consolidées, sociales ou analytiques avec l'adoption de la déclaration pays par pays dans le cadre de la transparence fiscale demandée aux entreprises membres de groupes internationaux.
Pour notre pays, la nouvelle obligation de tenue d'une comptabilité analytique pour une certaine catégorie d'entreprises poussera sans doute le niveau des systèmes d'information vers le haut avec dans le plus long terme une contribution structurante de l'organisation comptable des entreprises, voire celle pour le développement de normes de la comptabilité des coûts. Pour cela, une telle obligation ne devrait pas se limiter à sa pure application fiscale.

Samir Hadj Ali
Expert-comptable


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