Le livre glorifie un personnage issu d'une famille dont le nom est associé à des exactions durant les premières décennies de la colonisation. La promotion d'un livre retraçant l'histoire d'un bachagha, dont des aïeuls, connus pour être des «coupeurs d'oreilles» d'Algériens durant la colonisation, a «coupé des têtes» à la Télévision publique. Un des rédacteurs en chef de la chaîne francophone Canal Algérie a été relevé de ses fonctions par la direction de la Télévision publique «en attendant de trancher» son cas. Des sources de la Télévision publique précisent que «des têtes vont tomber». Une personne travaillant à la Télévision publique, qui a requis l'anonymat, a expliqué que le rédacteur en chef «a fait une erreur d'appréciation». Le directeur de la chaîne, lui, était absent ce jour-là, nous dit-on. Mais que s'est-il donc passé pour prendre des décisions aussi radicales ? Le mardi 21 février, l'émission matinale «Bonjour d'Algérie» reçoit une écrivaine, Ferial Furon, qui vient d'éditer un livre retraçant le parcours d'un des bachaghas ayant le plus marqué, par leur opulence et parfois leur cruauté, l'histoire de l'Algérie sous-domination coloniale. Il s'agit de Abdelaziz Bengana, mort en 1945. L'arrière-grand-père, célébré dans l'ouvrage comme étant un «homme de bien», fait pourtant partie d'une lignée familiale qui a marqué les esprits de générations d'Algériens, notamment ceux qui habitent la région des Ziban et même dans Alger où la famille conserve encore des biens. «Les Bengana étaient des féodaux, ils avaient participé aux massacres des tribus dans les Ziban. Ils avaient droit de vie ou de mort sur les populations. Ils déportaient en Nouvelle-Calédonie, servaient du méchoui aux visiteurs de passage à Biskra», rappelle le journaliste Mohamed Balhi, qui a écrit un livre sur l'histoire des Ziban. Pis, «un des Bengana pratiquait le droit de cuissage, comme le Glaoui au Maroc», précise le journaliste. Des historiens, comme Ali Farid Belkadi, rapportent que Abdelaziz Bengana avait même coupé les oreilles de 900 Algériens en 1840 à Biskra. «Le bachagha Bengana (le grand-père de celui qui est évoqué dans le livre polémique, ndlr) coupait les oreilles des résistants algériens auxquels il tendait des embuscades avec ses goumiers. Puis, il les entassait dans des couffins qu'il remettait ensuite aux officiels français contre des espèces sonnantes et trébuchantes. On l'honora de menues broutilles pour services inestimables rendus à la France coloniale. Bengana envoya au général Négrier le sceau, les oreilles et la barbe du chef de guerre Farhat Bensaïd, qui fut attiré dans un guet-apens, chez les Ouled Djellal. Le fils de Farhat Bensaïd, Ali Bey, qui avait échappé aux coups des Bou Azid, alliés à Bengana et aux Français, accablé par l'événement, se rendit au général Sillègue, à Sétif», raconte l'auteur de Boubaghla, le sultan à la mule grise. La résistance des Chorfas. Cela sans évoquer les dizaines d'hectares de terres dont la famille a bénéficié –comme tant d'autres familles de supplétifs de l'administration coloniale de l'époque – après l'expropriation des populations locales. La promotion d'un tel livre fait donc polémique sur les réseaux sociaux. Une pétition, demandant la démission des responsables de la Télévision publique, circule déjà. Et pour éviter de mettre de l'huile sur le feu, deux séances de vente-dédicace, prévues à Alger et Constantine, ont été annulées. La preuve que la période coloniale suscite toujours les passions !