Quoi de plus naturel pour un être humain de révérer ses aïeux et de vouloir croire qu'ils étaient parés de vertu, de droiture et de générosité. Chacun a parfaitement le droit d'envisager sa légende familiale selon les termes qui lui conviennent. Mais c'est une autre paire de manches que de vouloir en convaincre les autres. Madame Ferial Bentchikou-Furon vient sans doute de s'en rendre compte en venant proposer au lectorat algérien la biographie de son arrière-grand-père maternel intitulée Si Bouaziz Bengana, Roi des Ziban. Si elle a réussi une chose, c'est de se faire connaître dans son pays natal à une vitesse fulgurante, elle qui était passée inaperçue en 2015 à Alger où elle était venue promouvoir le mouvement FARR (Franco-algériens républicains rassemblés), créé une année auparavant et dont elle est la fondatrice et la présidente. Pharmacienne de formation, la polémique née de son ouvrage devrait la convaincre que l'écriture de l'histoire ne relève pas de l'alchimie. En effet, faire passer son ancêtre pour ce qu'il n'était pas paraît aussi impossible que transformer une pierre en or. Pour se défendre du révisionnisme dont elle est accusée, elle a usé de nombreux arguments qui signalent le talent rhétorique avec lequel elle a construit sa carrière en marketing pharmaceutique et politique. Deux d'entre eux méritent l'attention : On voit l'histoire avec une grille de lecture du XXIe siècle et La résistance s'est faite dans une complexité inouïe. Bien joué, car il s'agit de remarques fondées. Mais en nous appelant à éviter le simplisme réducteur, ce sont des circonstances atténuantes qu'elle cherche à son aïeul qu'elle a, encore une fois, le droit (sinon le devoir ?) d'aimer quand la mémoire nationale vomit jusqu'à son souvenir. En attendant de lire son livre – encore qu'il ne fasse pas partie de mes priorités – j'ai été frappé par le marketing de la couverture : une peinture de l'ancêtre au visage sage et doux, loin de la photographie où il apparaît dans toute sa morgue de larbin colonial (dit «de grande tente»), une mine de satrape réjouie avec ses broderies dorées indécentes en une ère de guenilles et, au premier plan, ses molosses tenus en laisse, gueules ouvertes et crocs déployés… Une image réelle et si symbolique. J'ai été aussi frappé par les propos de l'auteure interviewée par ma consœur Nassima Oulebsir (El Watan, 23/02/17) : «Couper les oreilles des Algériens ? Il faut comprendre le contexte.» Et de nous expliquer que ce n'était pas pour des raisons coloniales mais dans le cadre de conflits de tribus pour un parcours d'élevage. Et d'ajouter, CQFD, que les oreilles furent envoyées par le «roi des Ziban» au commandant français à Constantine ! S'entendait-elle parler, elle qui dispose pourtant d'oreilles ? On parle d'interdire ce livre. Mais pourquoi faire ? N'a-t-on pas confiance dans la conscience historique des Algériens et des Algériennes, leur sens critique et leur vigilance de lecteurs ?