On observe le même silence radio des officiels quand les pontes du système, ou leurs subordonnés, sont pris dans la nasse des scandales politico-médiatiques. Silence gêné, mais complice, pour ne pas aller au fond de la vérité. L'insonorité qui frappe les remous suscités par le livre de Feriel Furon, arrière-petite-fille du bachagha Bengana, et notamment son passage sur le plateau de Canal Algérie pour tenter de réhabiliter le parcours félon de son aïeul, est identique à celle qui a caractérisé les fracassantes révélations des Panama Papers sur les capitaux douteux détenus par des personnalités du régime dans des comptes offshore. Certes, il n' y a aucun lien dialectique, ni aucun rapport, entre une publication au contenu sulfureux, qui veut «blanchir» un collabo avéré et condamné par l'histoire récente de la Guerre de Libération et des affaires de… blanchiment d'argent qui ternissent la fiabilité d'une gouvernance, qu'on présente comme irréprochable et qui, de surcroît, ont des conséquences considérables sur la société. Mais l'embarras et le malaise sont les mêmes quand il s'agit pour les dirigeants de faire preuve d'impartialité et de rectitude face aux événements qui sortent de l'ordinaire et alimentent une actualité au relent plutôt pernicieux. Autant dire donc que quels que soient les méfaits ou les agissements à l'actif des représentants du système, le premier réflexe des autorités est de ne pas s'impliquer pour éviter d'enfoncer encore davantage ces derniers. Se taire, fuir ses responsabilités et faire le dos rond reste ainsi l'attitude la plus rentable pour s'en sortir sans dégâts. C'est ce comportement, en tous cas, qui a été adopté en toutes circonstances pour éviter aux mauvais élèves du système de rendre des comptes sur leurs forfaitures ou concussions, et qui dénote le cohérent esprit de duplicité qui anime les instances qui nous gouvernent quand leurs intérêts communs et leur image sont mis à rude épreuve. C'est d'ailleurs dans cette optique que le mutisme le plus total a été observé concernant la polémique créée autour du livre sur le bachagha Bengana et que tout a été fait pour que les éclaboussures, alors que l'auteure de l'ouvrage a été reçue avec les honneurs dans l'émission matinale «Bonjour Algérie» de la chaîne publique la plus suivie, ne remontent pas jusqu'au premier responsable de la Télévision nationale. Invitée pour parler de ce livre qui a scandalisé les Algériens par son contenu tendancieux et falsificateur, Feriel Furon a profité pour faire la promotion d'un personnage honni, connu pour ses trahisons au titre funeste de caïd des harkis, sans que personne en soit troublé sur le plateau. Il y a eu au contraire de la joie, de la cordialité, une ambiance bon enfant qui a aidé l'arrière-petite-fille du sinistre collabo à exprimer librement ses arguments de réhabilitation, en commettant effrontément un déni historique qui ne laissera pas inflexibles les téléspectateurs. En somme, concernant un sujet aussi sensible, on a servi sur un plateau ( c'est le cas de le dire) une occasion en or pour affranchir publiquement un traître à la nation. Du point de vue professionnel et déontologique, et même émotionnel, l'erreur est monumentale. Partout dans le monde, en pareille circonstance, elle ne devrait pas rester sans effets. Et partout dans les institutions qui se respectent — dans le cas des télévisions étatiques qui ont un rôle de service public — un tel scandale au retentissement incommensurable, ressenti comme une grave atteinte à la dignité des martyrs de l'Algérie ne saurait épargner celui qui assume la première responsabilité de la faute, en l'occurrence le directeur général de la Télévision nationale. Cette affaire, notons-le, a affolé la Toile au point que les réseaux sociaux se sont déchaînés pour réclamer des autorités des sanctions au plus haut niveau. La vox populi s'est exprimée, mais la sentence a touché le maillon faible de la chaîne en la personne du red chef de l'émission, qui est loin d'être un protégé du système. Comme pour le journaliste vedette du JT de 20h, débarqué abusivement pour une broutille, il sert de bouc émissaire dans un registre qui le dépasse politiquement. L'important est que la tête du grand boss n'ait pas été inquiétée outre mesure dans le magma d'une bévue, qui aurait mérité une appréciation plus exemplaire. C'est la justice à deux vitesses qui est mise en avant pour régler en catimini une affaire d'une extrême gravité. Une affaire grave traitée avec légèreté, parce que Feriel Furon, qui milite dans une association ayant pour ambition de redorer le blason des harkis n'est pas une inconnue pour les milieux officiels algériens. Elle a ses entrées dans les arcanes du Pouvoir et du parti FLN où ses idées ont toujours été bien reçues. Elle s'est fait aussi une réputation de démarcheuse de la bonne cause dans les coulisses diplomatiques, au point qu'elle est accueillie avec respect dans notre chancellerie parisienne. L' ex-ambassadeur d' Algérie, Mohamed Bedjaoui, s'est même offert une photo de famille avec la jeune femme où on la voit s'afficher avec la couverture de son livre, publicité oblige. Tout cela pour dire que l'activité en Algérie, littéraire ou autre, de l'arrière-petite-fille du bachagha n'a jamais été innocente. Elle est toujours venue en mission, et c'est la raison pour laquelle nos officiels se sont montrés et ont fait comme l'autruche lorsque son livre à débordé. Une attitude qui laisse transpirer une incommodité palpable à chaque fois que les bruissements médiatiques se font plus insistants et difficiles à esquiver. Nous avons vécu cette ambiance de faux-fuyants, quand les Panama Papers ont atterri chez nous. Des noms sont apparus, des sommes d'argent, des preuves sur des pratiques illicites… mais silence radio. Circulez, il n'y a rien à voir ! Un reportage très récent diffusé par une chaîne de télé publique française est revenu sur ces transferts colossaux d'argent pour échapper au fisc, pour dire que dans de nombreux pays, la justice s'est auto-saisie pour ouvrir des enquêtes sur leurs auteurs. Dans les sphères gouvernementales et judiciaires, on s'est montrés très réceptifs à ce gigantesque travail d'investigation effectué par les journalistes indépendants pour dénoncer ce genre de trafic ,qui porte une grave atteinte aux économies, un travail qui les a énormément aidés à faire inculper de nombreux pontes jusque-là intouchables. Chez nous, rien de cela. Entre l'image et la justice, on préfère l'image.