Et pour cause ! Les salles de cinéma sont vraiment, sans forcer le trait du pléonasme, obscures. Car vraiment ayant basculé du côté obscur (dixit Star Wars). Plongées dans les ténèbres d'un navet de série B, «gore» (film d'horreur). Et ce, depuis l'avènement du FIS. Le Front islamique du salut (dissous), après sa large victoire des élections aux communales (953 communes sur 1539) fermera les salles de cinéma. Car la culture était jugée «satanique». Dernière séance et de générique de fin : The end. Depuis, ces salles sont tristement cadenassées-peut être devenues hantées. Certaines ont cessé d'exister, d'autres ont été rasées, ou bien ont changé de vocation, comme la majorité des librairies, transformées en remake, répliquant un «nanar» du film La grande bouffe. Des fast-foods, des pizzerias, salles de fêtes… «Moteur, ça ne tourne pas» Sans nostalgie béate, il est loin le temps où l'on posait cette question, sans jeu de mots, à loisir : ça te dit d'aller au cinéma ce soir (oui, les gens, notamment les familles, les femmes fréquentaient les cinémas sans complexe ni autre crainte). Qui se souvient du Français, Roxy, Musset, Caméra, Dounyazed, Majestic, Le Paris, Le Régent, Marivaux, L'ABC, L'Empire, Midi-Minuit, ou encore Le Marignan, à Alger, en guise d'exemple. Le cinéma s'affichait dans toutes les salles des villes du pays. C'était le celluloïd de l'âge d'or du cinéma algérien des années 1960 et 1970. L 'Opium et le bâton d'Ahmed Rachedi, Chroniques des années de braise, de Mohamed Lakhdar Hamina - Palme d'or au Festival de Cannes en 1975-, Omar Gatlato de Merzak Allouache, Les Vacances de l'inspecteur Tahar, de Moussa Hadad, Sanaoud, de Mohamed Slim Ryad, Patrouille à l'Est, de Amar Laskri, Le Charbonnier, de Mohamed Bouamari, ou encore Leila et les autres, de Sid Ali Mazif. Au même titre que Les dents de la mer (Jaws)de Steven Spielberg, les westerns Spaghetti, de Sergio Leone, Il était une fois dans l'Ouest, Les hommes du Président, d'Alan J. Pakula, Janitou, avec Shashi Kapoor…La Cinémathèque algérienne, qui, maintenant, n'est que l'ombre d'elle-même, était ce haut lieu, cette mémoire, et surtout cet éveil du cinéma. Et le projecteur… de conscience, le loup blanc de cette salle au passage obligé des ciné-clubbers, n'était autre que Boudjemaâ Karèche, qui était plus qu'un directeur de la Cinémathèque algérienne, une âme hantant ce «cinéma Paradiso» très cher à Giuseppe Tornatore. Une cinémathèque ayant vu défiler de grands noms, comme les réalisateurs Ousmane Sembene (La noire de..., Le mandat), Youcef Chahine (Le moineau), Alain Tanner (Charles mort ou vif), René Vautier (Avoir vingt ans dans les Aurès), Costa Gavras (Z), Jean-Luc Godard (A bout de souffle), Mohamed Zinet (Tahia Ya Didou), Mustapha Badie (L'évasion de Hassan Terro), Farouk Beloufa (Nahla) ou encore Gillo Pontecorvo et son fameux et historique film La Bataille d'Alger. Depuis, c'est le clap : «Silence, ça ne tourne pas». Hormis quelques salles se comptant sur les doigts d'une main - à l'exception de la salle Ibn Khaldoun, d'Arts et culture, faisant le bonheur des grands et petits en projetant en temps réel des films sortis le même jour à Los Angeles, Paris ou Berlin, comme Rogue One (Star Wars) en DCP (Digital Cinema Package). Mais une hirondelle ne fait pas le printemps-. DES FILMS PRIMéS QUI NE SERONT JAMAIS VUS Rénovées, la salle Afrique est «mystérieusement» fermée, l'Algeria, une salle, mais pas de cinéma, Sierra Maestra, une autre énigme, ne passe plus de films… Aussi, le public est frustré. Les réalisateurs algériens, les anciens et les jeunes, font des films qui participent à tous les festivals du monde, qui sont primés et encensés - une fierté bien sûr - mais ne sont malheureusement pas vus par le public algérien. Leur diffusion ne se résume qu'aux avant-premières. Et les spectateurs, les cinéphiles des 48 wilayas du pays..? Le public, en quête de divertissement, loisirs et autre détente se retrouve surtout et avant tout pénalisé, voire méprisé. On dirait que le citoyen n'a pas droit à une expression de la culture, le cinéma. Est-ce un luxe ? Ou bien c'est «donner de la confiture à des cochons». Un autre questionnement. Cette situation endémique du cinéma et cette propension à laisser les choses en l'état, à priver le citoyen algérien d'exercer et consommer un acte civiquement culturel que de se payer une «Toile», font-elle le jeu, le dessein des décideurs ? Et ce, en optant pour une fermeture «hermétique» des salles de cinéma, pour des horizons bouchés à l'émeri. Une ambivalence dans le choix et le soutien des productions de films. C'est deux poids, deux mesures, en matière d'octroi du budget d'aide aux films, surtout pour les jeunes réalisateurs comme le prometteur Hassen Ferhani, auteur d'un excellent documentaire intitulé Fi Rassi rond-point, est salué et plébiscité de par le monde. Des films algériens se sont vu allouer jusqu'à 12 millions d'euros. Et ce n'est pas une superproduction de tycoon. De quoi faire quatre bons longs métrages européens. Ou vingt films nationaux parlant de la réalité de la société, ses spasmes, ses préoccupations, ses mutations, ses espoirs, de la corruption, du népotisme, de la condition féminine, la tolérance… TOURNAGES SANS TECHNICIENS ALGéRIENS Dans les années 1970, l'Algérie avait une politique du cinéma. Des films de qualité relatant l'histoire, des faits de société, la question de la terre… ont été produits avec des succès populaires et internationaux incontestables. On est loin de tout cela actuellement. Une autre question subsidiaire - légitime - que se posent les professionnels : quand publiera-t-on les budgets des films produits sur le site du ministère de la Culture dans la transparence et non dans l'opacité ? Une autre bévue. L'ostracisme flagrant des réalisateurs algériens. Les film éponymes, Ahmed Bey, ayant combattu le colonialisme français (1786 - 1851) est réalisé par le Tunisien Chawki Al Mejri et Ibn Badis par le cinéaste syrien Bassil Al Khatib (avec une équipe de tournage entièrement syrienne). Les techniciens algériens jouissant d'une expérience reconnue se trouvent au chômage. Où est l'encouragement à la création de gisement d'emplois ? Et ce, après le lancement en grande pompe et à coups de millions de dollars, du film portant sur le biopic de l'Emir Abdelkader (1808-1883), le stratège militaire, philosophe, soufi, humaniste ayant combattu l'occupation française) qui devait être réalisé par l'Américain Charles Burnett. Le projet a capoté. Charles Burnett s'est «volatilisé». Le financement parti en écran…de fumée. Sans chauvinisme ni nationalisme mal placé ni «xénophobie ordinaire» ou encore faire dans «l'exception culturelle». Il est logique et légitime de se poser ces questions. Car c'est l'argent de l'Etat. Et de s'étonner devant ce choix sélectif au détriment des réalisateurs algériens se sentant victimes d'un ostracisme insidieux ne voulant guère dire son nom. Ils ne demandent qu'à être mis à contribution, associés, encouragés et mis en confiance. Pour exprimer modestement leur acte créatif. «L'affaire du biopic sur l'Emir Abdelkader» Les Lyès Salem, Nadir Moknèche, Merzak Allouache, Ahmed Rachedi, Abdelkrim Bahloul, Rachid Bouchareb…en sont la preuve patente. Ou alors l'on juge dans les hautes sphères qu'ils sont «incapables et indignes» d'adapter à l'écran des figures historiques de l'Algérie. Ammar Kessab, expert en politique culturelle étayera : «Je rappelle à l'actuel ministre de la Culture l'affaire du film sur l'Emir Abdelkader qui a coûté 18 millions de dollars, dont 13 se sont évaporés sans le moindre tournage, après que le producteur américain du film a disparu. Dans ses propos, le ministre semble vouloir tourner la page de ce scandale. Or, il n'a pas le droit de balayer d'un revers de la main un scandale éclatant, car l'argent volé appartient aux citoyens algériens et non pas au ministère. La justice doit intervenir, sans tarder, dans ce dossier…Nous avons peu d'informations sur les films financés. Par ailleurs, on ne connaît pas les noms des membres des comités de sélection des films, le nombre de projets financés, les critères de sélection, les montants alloués, etc. Le financement du cinéma en Algérie reste donc complètement opaque…» LES EXEMPLES DU MAROC ET DU VIETNAM Tomber de Charybde en Scylla, le cinéma est encore une fois rudement éprouvé. On lui brandit le spectre de l'argument qui est loin d'être «massue». L'austérité, les restrictions budgétaires, les coupes sombres…Tout est revu à la baisse. De quoi dissuader et décourager toute initiative et autre projet filmique. Les décideurs et les hautes sphères ont-ils décidé de traiter la culture en sempiternel parent pauvre ? Et par conséquent, la mise à mort du cinéma. Le sacrifice de la culture. Faire moins de culture, moins de films, c'est faire plus dans l'ignorance, la fermeture d'esprit, l'intolérance, l'obscurantisme… A titre indicatif, le Maroc, un pays voisin, produit plus de 20 films par an et de très bonne facture, comme Casanegra et Zéro, de Nour Eddine Lakhmari, Whatever, de Lola Want, Les Chevaux de Dieu ou Much Loved, de Nabil Ayouch. Alors que dans les années 1980, les réalisateurs marocains mettaient à contribution les techniciens algériens. Expertise oblige d'alors. Les raisons de ce succès, c'est toute une industrie et une politique efficiente en matière de cinéma. La preuve : les fameux studios de Ouarzazate où ont été tournés Kundun, de Martin Scosese, Kingdom of Heaven, Gladiator et Body of Lies, de Ridley Scott, Babel, d'Alejandro González Inárritu, Inception, de Christopher Nolan, Alexander d'Oliver Stone, War dogs, de Todd Phillips (2016), Billy Lynn's Long Halftime Walk d'Ang Lee (2016), Backstabbing for Begginers, de Per Fly( 2016)-des films qui retracent la guerre d'Irak -sans citer les séries TV, telles que Game of Thrones, Homeland, Tyrant, Prison Break, Sherlock, Vikings… Et Clint Eastwood, y a reproduit Falluja (Irak) pour American Sniper. Le quotidien britannique The Gardian a élu le Maroc deuxième meilleure destination mondiale pour les tournages de films. Un autre exemple, le Vietnam, compte 100 salles de cinéma et 33 rien qu'à Hanoï, la capitale. Et elles sont toutes opérationnelles. A méditer. Des opérateurs économiques font leur «cinoche» De front, en Algérie, une tendance se profile. La participation du secteur privé quant à d'éventuels projets culturels. Il s'implique davantage dans le domaine de la culture. La preuve édifiante est cette initiative d'un groupe d'entrepreneurs, à leur tête l'homme d'affaires, Maher Tiliba, ayant étrenné l'édition inaugurale des Rencontres cinématographiques de Hassi Messaoud, qui s'est déroulée du 18 au 22 décembre 2016, avec la participation de l'association Lumières, sous les auspices «d'acteurs» privés. Un groupe de chefs d'entreprise algériens. Des investisseurs qui ont financé et pris en charge ce tout premier festival dans le Sud algérien. Des opérateurs économiques s'intéressant à la culture dans toute sa dimension pluridisciplinaire, et plus précisément le cinéma. Et ce, en soutenant les festivals, en produisant des films…Signe des temps, le ministre de la Culture, Azzeddine Mihoubi, a exhorté, à maintes reprises, le recours au sponsoring concernant le financement des projets culturels. Pour la relance effective du cinéma en Algérie, il faudrait récupérer, bien sûr, les salles dépendant des communes et aller vers la construction de multiplex (complexe comptant plusieurs salles de projection, avec toutes les commodités, équipements…). Un bonheur pour les cinéphiles qui ne devra pas les décevoir. Comme l'effet d'annonce d'ouverture du multiplex de Bab Ezzouar. Une ouverture qui commence à devenir longuette. Tel un ouvrage de Pénélope. Remis aux calendes grecques. Un hypothétique «peplum». Et puis, l'urgence pour la relance du cinéma est une réelle décision politique. Pas uniquement sur le papier (script). Un cinéma actant aucunement figurant.