Le maréchal Khalifa Haftar est désormais sous pression. Il a perdu la semaine dernière le contrôle des grands terminaux pétroliers de Sidra et Ras Lanouf, au profit des Brigades de défense de Benghazi (BDB). Haftar a aussitôt mobilisé ses troupes de l'Armée nationale libyenne (ANL) et les a lancées pour reprendre ces cartes maîtresses de l'échiquier libyen. Escalade en vue Le maréchal Khalifa Haftar est considéré comme l'homme fort de l'Est libyen, notamment après avoir repris le contrôle des terminaux du Croissant pétrolier et assuré la reprise de l'exportation du pétrole, en septembre dernier, en plus de l'alignement de la majorité des tribus de la région derrière lui. Les déboires des forces de l'ANL, délogées des ports de Sidra et Ras Lanouf, affaiblissent donc Khalifa Haftar sur le terrain des négociations, notamment avec les puissances étrangères, auprès desquelles le maréchal affirme sa mainmise complète sur l'Est libyen. Par ailleurs, le revers a été ressenti comme une défaite nationale, à l'Est, d'où ces réactions politiques de rupture du dialogue national, émanant du Parlement de Tobrouk et ses appels pour prendre la revanche sur les terroristes et les mercenaires, selon les communiqués du Parlement et les déclarations du porte-parole de l'ANL, Ahmed Mismari. Equation complexe La situation aux ports de Sidra et Ras Lanouf est complexe. Le général Driss Boukhmada, chargé par Fayez El Sarraj de commander la garde des installations pétrolières, dit avoir repris le contrôle de ces ports de la part des BDB. Mais Ali Gatrani, membre du Conseil présidentiel, considère que cette nomination est illégale, car l'autorité de nomination, c'est le Parlement. Et, de fait, les deux ports sont fermés. Les pétroliers sont dirigés vers les ports de Zouitina et Briga, 200 kilomètres plus à l'Est, en direction de Benghazi. L'Entreprise nationale du pétrole (ENP), basée à Tripoli, essaie de garder ses distances par rapport aux autorités de l'Est et de l'Ouest pour pouvoir continuer à travailler. Au-delà des ports de Sidra et Ras Lanouf, les troupes de Khalifa Haftar dominent les champs pétroliers et la majorité des autres ports. L'ENP ne peut donc pas entrer en conflit avec elles, de peur de les voir bloquer la production. L'impact de cette crise est, jusque-là, limité. La moyenne des exportations journalières est passée de 715 000 barils à 650 000 barils. Le maréchal Haftar se trouve face au risque de voir les troupes de Jadhrane, le commandant des ports délogé en septembre, exécuter leur menace de mettre le feu aux grandes citernes de pétrole des ports de Sidra et Ras Lanouf. Menace qui a déjà été proférée plusieurs fois par le passé. Haftar les a juste pris par surprise en septembre. Un risque à prendre en considération lors de l'attaque attendue de ces sites par les troupes de l'ANL. Le monde observe Hormis le porte-parole du ministère égyptien des Affaires étrangères, Abou Zid, qui a accusé des troupes proches d'Al Qaîda de participer à l'attaque contre les ports du Croissant pétrolier libyen, le reste de la communauté internationale critique cette montée des tensions autour des ports pétroliers et appelle à la reprise du dialogue entre les belligérants libyens. Seul l'ambassadeur italien à Tripoli a dit que le contrôle des ports pétroliers par les forces relevant du Conseil présidentiel est un pas dans le bon sens. Le politologue libyen Ezzeddine Aguil explique cette prudence des autres puissances par le fait qu'elles savent que «le rapport de force sur le terrain est favorable à l'ANL de Haftar, si on compare ses troupes avec celles des Brigades de Benghazi». Mais Aguil attire l'attention sur le fait que «Charkassi et ses brigades sont soutenus par le ministère de Défense de Tripoli». Il pense donc qu'il y a «un risque de confrontation globale en Libye». Pour appuyer son raisonnement, le politologue souligne que «Haftar a protégé la ville de Ajdabya avant d'annoncer la contre-attaque sur les ports de Sidra et Ras Lanouf». Pourtant, souligne-t-il, les BDB n'ont pas le potentiel pour arriver jusqu'à cette ville-clé de l'Est libyen. Mais, conclut-il, Haftar a peur d'une attaque des troupes de l'Ouest, le Bouclier soudé, en soutien à Charkassi et ses brigades. Ce raisonnement rejoint les accusations du porte-parole de l'ANL, Ahmed Mismari, qui affirme que le ministère de la Défense du gouvernement de Tripoli, le Qatar et la Turquie ont équipé les Brigades de défense de Benghazi de matériel militaire moderne qui leur a permis de brouiller les équipements de l'armée libyenne, facilitant ainsi la perte des terminaux pétroliers. La situation est donc très compliquée. La Libye n'en finit pas avec ses multiples sources de tension.