Economiste et banquier, Anisse Terai analyse à travers cet entretien la problématique de l'accès aux crédits pour les entreprises et les investisseurs, dans un contexte de crise financière et de rétrécissement des niveaux de liquidité bancaire. Les taux d'intérêts appliqués actuellement aux crédits sont-ils dissuasifs pour l'investissement et l'entreprise ? D'une manière générale, l'investissement privé et le développement de l'entreprise en Algérie font face à plusieurs contraintes. Parmi lesquelles la bureaucratie de l'administration, la notion précaire de la propriété privée, la défaillance du système judiciaire, l'accès difficile au foncier, l'absence d'écosystème intégré pour l'entrepreneuriat, le manque de capacités techniques et la rareté de la main-d'œuvre qualifiée. En fait, c'est tout l'environnement des affaires qui est plutôt défavorable. Plus spécifiquement, la question du financement est sans aucun doute un handicap important pour l'investissement et l'entreprise . Mais comme nous l'avons vu, il existe d'autres barrières à lever pour libérer l'entrepreneuriat et l'investissement privé en Algérie. Dans l'absolu et au-delà des taux d'intérêt appliqués, il y a un problème d'accès au financement. La raison sous-jacente est la frilosité des banques et autres institutions financières à octroyer des crédits à moyen et long termes au secteur privé. Ces dernières préfèrent financer des opérations dont le risque perçu est moindre, comme les transactions de commerce international (import-export), les besoins des institutions et entreprises publiques, ou les crédits immobiliers et à la consommation en faveur des ménages. Le peu d'intérêt que les banques consacrent à l'investissement privé se voit annihilé par la piètre qualité des projets, souvent non bancables car bâclés et mal préparés. Dans certains cas, les convictions des investisseurs font qu'ils se détournent de la dette conventionnelle, sans pour autant trouver d'autres alternatives de financement. Dans cette optique, la décision du gouvernement de positionner les banques publiques qui dominent notre secteur bancaire sur la finance islamique est salutaire. Elle va dans le sens de la diversification de l'offre nationale de financement. Le loyer de l'argent est-il trop excessif comparativement à ce qui se fait ailleurs ? Etant donné que le dinar n'est pas librement convertible et que l'accès aux financements extérieurs est très restreint, le benchmark se fait essentiellement avec les opportunités locales d'investissement. Certes, l'existence d'un marché parallèle des devises crée une distorsion dans la mesure où les Algériens ont accès à des opportunités d'investissement à l'extérieur du pays. Mais en réalité, ces opportunités restent limitées à une petite frange d'investisseurs. Elles se concentrent dans l'acquisition de biens immobiliers à l'étranger et les transactions se font essentiellement en euro (dont le rendement de base est actuellement négatif). A l'échelle nationale, la Banque d'Algérie est la seule institution habilitée à fixer le taux d'intérêt directeur, qui se répercute sur les taux commerciaux que proposent les banques. En 2016, la Banque centrale a baissé le taux de réescompte de 50 points de base pour atteindre 3,5%. En parallèle, elle a revu à la baisse les taux de réserves obligatoires des banques de 12% à 8% et elle serait prête à l'abaisser encore plus dans les semaines à venir. Dans ces conditions, l'emprunt obligataire du gouvernement en 2016 est le référentiel principal pour comparer les rendements des placements en dinar. En théorie, l'Etat présente le meilleur risque local et ainsi tout investisseur dans d'autres activités devrait s'attendre à recevoir plus que les 5% à 5,75% annuel que l'Etat offre respectivement pour les obligations de 3 et 5 ans. L'inflation a atteint les 6,4% en 2016, soit une augmentation de 34% par rapport au taux de 4,78% de 2015. Si on venait à comparer le rendement net des obligations de l'Etat, il est pour l'instant négatif, car le rendement brut est inférieur à l'inflation. L'Etat a donc accès à des financements très compétitifs. En ce qui concerne le secteur privé, les véhicules d'investissement et les placements financiers sont limités. Ils se concentrent essentiellement dans l'immobilier. Les banques qui financent l'investissement n'ont ainsi pas vraiment d'autre choix que de s'aligner sur le référentiel étatique, tout en intégrant le différentiel de risque. On se retrouve donc avec des taux commerciaux nominaux pour l'investissement qui commencent à 7%-8% hors bonification octroyée pour certains secteurs ou types d'investisseurs. Toutefois, la Banque d'Algérie a plafonné les taux appliqués par les banques. Par conséquent, on peut conclure que le coût réel des crédits bancaires est plutôt compétitif en Algérie. Compte tenu du contexte national de baisse des ressources bancaires et du retour de l'inflation, les taux d'intérêts risquent-ils d'augmenter à court ou moyen termes ? Effectivement, la liquidité bancaire a fondu ces dernières années, passant de 2800 milliards de dinars en 2012 à 1000 milliards au début de 2017. La politique monétaire conduite actuellement par la Banque d'Algérie est avant tout dirigée vers la réduction des déficits du compte courant et de la balance commerciale que la diminution des revenus des exportations d'hydrocarbures cause. Cette politique vise à réduire les importations qui deviennent plus chères à cause de la dépréciation du dinar, et à augmenter les exportations qui deviennent plus compétitives. Les importations représentent une source importante des biens et des services vendus en Algérie, l'augmentation de leurs prix induit un effet inflationniste important. Dans ce contexte, la Banque d'Algérie pourrait encore réduire à court terme les taux d'intérêts, pour finir par les remonter à moyen terme. Pour autant, cela ne résout en rien les problèmes structurels auxquels nous avons fait référence. Au contraire, l'accroissement des capitaux bon marché pourrait renforcer la spirale inflationniste. La seule alternative viable est l'augmentation de la production nationale, des biens et des services au plus proche de son potentiel. Cela passe par l'amélioration de la productivité et de la compétitivité de notre économie. La politique monétaire doit être vue comme un frein qu'on peut actionner en cas de surchauffe de l'économie. Ce qui n'est pas le cas en Algérie, la création de valeur réelle étant loin d'égaler le potentiel de création de valeur. En ce sens, la Banque d'Algérie devrait rechercher les solutions dans d'autres politiques monétaires, notamment la convertibilité du dinar à moyen terme. Le gouvernement, pour sa part, devrait aussi revoir ses politiques économiques, notamment industrielle et fiscale, et réformer l'action publique. La réforme principale étant la refondation de la gouvernance pour transformer l'économie de rente en une économie diversifiée, durable et solidaire.