Ce timing peut se voir faussé si, par exemple, une réévaluation discrétionnaire — hors-marché — du dinar était adoptée. Cette réévaluation bouleverserait en effet la donne économique algérienne : elle annihilerait une partie de nos efforts d'attractivité au plan des coûts (du travail, du foncier industriel, des inputs nationaux, etc.), car les étrangers achèteront un dinar plus cher (et ils ne viendront plus, alors que d'autres se désengageront certainement !). Ce que donc M. Abdeslam et une partie de notre patronat ne prennent pas en compte, c'est cette ouverture de notre économie. Ils ne prennent pas en compte le fait qu'elle crée de nouvelles possibilités de réaction aux mesures discrétionnaires. Ils ne prennent pas en compte qu'elle accroît : 1°) l'instabilité des liaisons entre les variables économiques pertinentes ; 2°) l'incertitude du décideur public (pouvoirs publics ou autorités monétaires). Ils font comme si ce dernier était un big brother ayant une bonne connaissance : 1°) de l'interdépendance entre les variables macroéconomiques (dont ils postulent une stabilité des liaisons) ; 2°) des stratégies des autres acteurs de la vie économique. Or, il n'en est rien, c'est de la pure fantasmagorie. Ils oublient qu'en situation d'incertitude, deux principes doivent être respectés : 1°) la précaution : il faut employer d'autant moins un instrument que l'incertitude sur son efficacité exacte est forte ; 2°) la diversification : il faut utiliser l'ensemble des instruments disponibles, même s'il ne s'agit que d'atteindre un seul objectif (et pour nous : l'implémentation des métiers à travers le transfert, d'où les partenariats). S'agissant de monnaie et de change, les autorités ont, partout dans le monde, souvent été gradualistes (en application du principe de précaution). La cible leur permettant de mieux concilier objectifs intérieurs et extérieurs (et donc pratiquer la diversification) n'est pas le taux de change mais l'inflation (et/ou l'activité, précisément à l'output gap dont nous ne tiendrons pas compte). Une grande majorité d'économistes (spécialistes du domaine) conclut que le canal du taux de change n'a pas d'effet direct sur le choix de la politique monétaire. Le rôle important du taux de change réside dans son effet indirect. S'il faut inclure les fluctuations du taux de change — malgré sa non-significativité (par rapport à la cible « inflation ») — c'est en essayant de capter l'effet indirect de cette variable sur le taux d'intérêt de court terme (comme vient de le faire la Banque centrale américaine à la suite de l'éclatement de la bulle « immobilière »). Mais ils postulent que le taux de change fournit des informations additionnelles sur l'allure future de l'inflation qui ne sont pas capturées par l'inflation d'aujourd'hui (mais cela n'est pas démontré en tout lieu et en tout temps). Ainsi, la relation entre le taux de change et l'inflation n'est pas des plus simples quand ce taux n'est plus « administré », n'est pas soumis au régime des politiques discrétionnaires (avec ses subventions coûteuses et ses oukases dispendieux). Or, c'est à cela qu'on nous propose de continuer à rester arrimés (oubliant notre silence majoritaire, nos 87% !). Il y a trop de monnaies pour trop peu de biens, nous dit-on. Tel est aussi le point de vue adopté par B. Abdeslam. La monnaie en circulation augmente, les particuliers accroissent leurs demandes sur les différents marchés (de biens et services) ; et si cette demande ne s'accompagne pas d'une augmentation de production (et/ou des importations), les prix montent. L'inflation provoque donc une instabilité des prix : pendant que certains prix augmentent, d'autres restent stables. Que faire ? Le remède est lié au diagnostic : d'où vient cette instabilité, cette inflation ? Selon la représentation qu'on se donne de l'économique, l'origine est attribuée soit aux luttes sociales de répartition de la richesse, soit à l'excès de liquidités. Dans la première optique, elle correspond à la reconstitution des marges bénéficiaires des entreprises (et des importateurs) dont les prix augmentent — au détriment de tous les autres, en particulier les détenteurs de revenus fixes (salaires, loyers, impôts et taxes). Pour la seconde, dominante actuellement, les économistes élaborent des modèles afin de déterminer sur quelles variables doit-on agir pour stabiliser les prix. Plusieurs recherches y sont menées pour déterminer l'instrument adéquat pour conduire une politique monétaire (visant à lutter contre l'inflation) et fournir ainsi des règles (qualifiées d'optimales dites fonctions de réactions) aux Banques centrales. Leurs études montrent que ces règles (ou fonctions) diffèrent d'un pays à un autre et d'une période à une autre pour le même pays. Les différences se manifestent : 1°) dans les poids accordés aux différentes variables économiques et 2°) dans les variables à inclure dans telles règles - puisqu'il existe : a) des différences des structures économiques et des systèmes monétaires et financiers nationaux b) des différences dans leurs évolutions dans des contextes nationaux et internationaux mouvants. De façon très brève, ces études (dans un premier temps) se sont concentrées sur le taux de change étant donné qu'il présente un canal de transmission des chocs extérieurs. Mais, rappelons le contexte : le système de change fixe établi par Bretton Woods (1944-1977) faisait de la maîtrise de l'inflation aux Etat-Unis le point d'ancrage de la stabilité des prix dans les autres pays. Après l'effondrement de ce système (entre 1971 et 1973), quelques pays ont continué à appliquer un taux fixe et s'en sont servi pour maîtriser l'inflation, en rattachant leur monnaie à la monnaie d'un autre pays (ou groupe de pays) à faible inflation. Du fait de l'instabilité des flux des capitaux que la crise du système monétaire et financier a engendrée — et des importantes innovations financières qui l'ont accompagnée — il est devenu extrêmement difficile de satisfaire aux conditions nécessaires pour maintenir un taux de change fixe. Aussi (deuxième temps), a été adopté le système de taux de change flexible (dans la plupart des pays industrialisés). Le besoin d'un nouveau point d'ancrage, cette fois intérieur, pour assurer la stabilité des prix s'est naturellement manifesté. La politique dite des objectifs de croissance des agrégats monétaires est apparue : la Banque centrale viserait des objectifs intermédiaires de taux de croissance monétaire (devant conduire au taux d'inflation souhaité). L'expérience observée de réduction de l'inflation par cette politique a fait ressortir des échecs répétés. L'instabilité persistante de la relation entre la croissance monétaire et l'inflation a amené à cesser de cibler les agrégats monétaires. Alors (troisième temps), les banquiers centraux et les chercheurs universitaires (du domaine) se sont tournés vers de nouvelles variables à cibler et de nouvelles politiques à mettre en place visant de maîtriser l'inflation. D'où l'apparition (à la fin des années 1980) d'une nouvelle politique économique dite « ciblage d'inflation ». En peu de mots, cette politique correspond à une règle de décision : accroître la transparence autour de la politique monétaire menée. Pour cela, trois conditions se sont avérées nécessaires : 1°) Les pouvoirs publics se doivent d'assurer l'indépendance traditionnelle de la Banque centrale (qu'elle soit libre de poursuivre ses objectifs — d'inflation et/ou d'activité — sans pressions des politiques). 2°) Les pouvoirs publics doivent explicitement s'engager à atteindre un objectif (d'inflation et/ou d'activité) prédifini dans un délai prédéterminé. 3°) La dernière condition est d'annoncer cet objectif au public pour assurer la crédibilité de la politique menée. Ainsi, en annonçant clairement le niveau de l'inflation ciblée, la Banque centrale tente de rendre son action plus prévisible et plus lisible par les agents et, par là, de réduire les mouvements erratiques sur les marchés : la notoriété de la Banque centrale est fonction de la crédibilité de sa politique. En réalité, plusieurs problèmes se posent. D'un côté, l'adoption d'une politique monétaire crédible, ciblant l'inflation, exige que l'indice des prix (pris en compte) ne soit pas beaucoup trop volatile pour raisonnablement devenir un objectif pour la Banque centrale. En Algérie, la flambée actuelle des prix - dont les sources internes (les produits locaux) sont aussi fortes que les « chocs externes » (les produits importés) — entraînent une forte volatilité qui réduit, nous nous en rendons compte chaque jour, les marges de manœuvre (1) des décideurs publics (gouvernement et Banque d'Algérie) ; mais cela ne justifie pas leur immobilisme (seront-ils tétanisés ?). D'un autre côté, et en supposant (ce qui n'est pas le cas chez nous) qu'il n'y a pas remise en cause de l'indice des prix à la consommation - indice IPC standard — l'inflation intertemporelle ainsi calculée peut s'avérer assez éloignée des aspirations originelles des pouvoirs publics : à travers le pacte économique et social, il s'agissait de contenir, pour un délai de 4 à 5 ans, les revendications salariales (afin de rendre lisibles, pour les investisseurs, les coûts salariaux), mais voilà que les biens-salaires flambent érodant le pouvoir d'achat Enfin, pour trouver des applications pratiques satisfaisantes, toute règle de transparence — ciblant l'inflation (appréhendée à travers l'IPC de l‘ONS) ne peut ignorer l'incidence de certaines variables financières dont les rôles sont déterminants. Il s'agit (chez nous) des cours des actifs fonciers (agricoles ou industriels) ou immobiliers, des différentiels sectoriels des retours d'investissement, des taux de change (sur place-hors place, comptant-à terme...), du spread des taux d'intérêt (officiels/souterrains) etc. Ces variables devraient-elles être « ciblées » par les autorités monétaires ? De par leur contenu, ne devraient-elles pas constituer des guides pour la Banque d'Algérie ? Une vaste littérature internationale (et des travaux récents) sur les règles monétaires s'interrogent s'il est optimal que les Banques centrales accordent aux prix de ces autres variables le même statut de cible que celui attribué à l'inflation (et/ou l'output gap quand ce dernier est pris en compte comme aux USA). Telle est la thématique centrale de la conduite de toute politique monétaire dans un univers incertain, une thématique entièrement ignorée par notre ex-chef du gouvernement. Dans cette thématique plus une variable revêt une place importante, plus la prise en compte des prix qui la représentent (mais là, comme pour l'IPC, il n'y a pas d'accord entre les économistes) accroît l'incertitude. En résumé : Malgré les querelles entre écoles économiques, il y a l'accord qu'une fois des règles de comportement actives sont adoptées par les décideurs publics, qui leur assurent de la souplesse, l'engagement de ces décideurs doit être immuable. Ce qui, en particulier, préserve les autorités monétaires de l'incohérence temporelle (et du biais inflationniste). C'est là un « moindre mal »(comme aurait dit l'autre) que tout régime des politiques discrétionnaires. Car, là, les autorités monétaires seront soupçonnées par les agents privés de vouloir faire de l'inflation surprise pour stimuler l'activité. Dans le régime des politiques discrétionnaires, les décideurs publics (militaires ou civils, gouvernementaux ou monétaires...) sont toujours peu crédibles. Cet esprit, ces considérations, ce socle d'un débat serein, contrôlé, responsable sont malheureusement absents, même encore aujourd'hui ! Les politiques économique et monétaire ne s'improvisent pas. Elles se construisent autour de consensus et non dans une logique autoritaire. Vouloir faire croire aux Algériens qu'en pleine montée du terrorisme armé, il était possible de punir les « corrompus et les corrupteurs » par des mesures discrétionnaires (de seigneuriage) est une faute. Le passage de l'économie fermée à l'économie ouverte modifie l'articulation entre les instruments et les objectifs de la politique économique en général, de la politique monétaire en particulier. En économie fermée, les particuliers (les ménages et les entrepreneurs individuels) disposent de moyens variés pour contrecarrer une politique monétaire restrictive : crédit interentreprises, déthésaurisation d'encaisses monétaires préalablement constituées (dans le secteur « informel », par exemple), procédure de « face-à- face » (pour les importations où beaucoup se sont rempli les poches), etc. L'ouverture de l'économie leur fournit des moyens additionnels : l'endettement sur le marché international des capitaux (à travers le crédit-bail, le leasing .. comme dans le cas du groupe Khalifa pour sa flotte aérienne, par exemple) peut servir à compenser l'encadrement du crédit ou toute autre forme de politique restrictive. Et il faut ici distinguer l'endettement extérieur encouragé par les pouvoirs publics eux-mêmes (cas des sociétés nationales), de l'endettement (tel que le crédit concessionnel) à l'initiative des seuls agents « privés » ; ce dont nous nous sommes concrètement rendu compte lors du remboursement de notre dette : la partie restante (non encore remboursée) en provient. Pour les économistes, elle est représentative d'une contestation de la politique monétaire adoptée (et une réévaluation du dinar rend son remboursement moins onéreux, ne l'oublions pas !). Cette ouverture est venue se greffer sur le dualisme foncier de notre économie — une économie « officielle » et une économie « souterraine ». Un dualisme qui, depuis longtemps, a été l'un des points d'achoppement de nos politiques économique et monétaire. Il est à la source de toutes les difficultés que rencontrent nos banquiers centraux (quels que soient leur qualité, leur compétence et leur savoir-faire) pour édifier des règles prudentielles de supervision, de surveillance et de contrôle des banques primaires et autres établissements financiers (dont, par ailleurs, ils partagent cette mission avec ceux qui les ont nommés). Il mine leur indépendance opérationnelle (vis-à-vis du pouvoir politique). Dans le dualisme sous le régime des politiques discrétionnaires, le chevauchement des domaines de compétence — les périmètres d'activité des pouvoirs publics et des autorités monétaires — est plus fort : l'économie « officielle » est immergée dans l'économie souterraine, aussi toute traçabilité des opérations économique (à travers les écritures en banque, en douane, au fisc, par exemple) devient-elle une « affaire d'Etat ». De cela, nous en convenons avec M. Abdeslam. C'est parce que nous nous en sortions à peine que nous n'approuvons pas ce que, par chance pour l'Algérie, il n'a pas pu mettre en œuvre. (1) On peut d'ores et déjà s'interroger s'il ne serait pas utile de revoir certains des paramètres ayant servi à définir les grands axes de notre stratégie industrielle, notamment les choix dans les filières (par exemple agroalimentaire).